Dix-huit minutes longues … longues …
C’était en Algérie, loin d’Oran, dans le Sud, près d’une petite oasis, Bou Semghoun (prononcez bou-semroun). Détachés pour une opération avec héliportage les quatre hélicoptères HSS-1 de la Flottille 32F, un "canon" et trois "cargos", étaient en alerte auprès du camp installé par un commando et où se tenait le PC du patron de l’opération en cours.
Sikorsky HSS-1
Le "canon" était un hélico armé d’un canon de 20 mm, d’où son appellation, son équipage se composait d’un officier, chef de bord (Cdt d’aéronef), un co-pilote et deux servants du canon, un armurier et un mécanicien de bord. Son bâti était fixé dans le plancher de l’hélicoptère et centré sur le milieu de la porte du cargo.
Les “cargos” étaient du même modèle mais disposant seulement de banquettes pour une douzaine d’occupants : toujours un siège pour le mécanicien de l’hélico, dit “chef de cargo” et dont la place était à droite en entrant, juste sous le siège du pilote de droite, dit “premier pilote”, car il disposait de toutes les commandes permettant le pilotage. Le poste de gauche pouvait piloter mais n’avait pas de pédales pour les freins des roues, et son “manche à balai”, ce “bâton” vertical, commun dans tous les aéronefs traditionnels (excluant les ultra-modernes qui “ridiculisent” les commandes en les réduisant et les replaçant contre toutes les traditions !), est utilisé sur les “hélicos”, à orienter le rotor principal donc à faire aller l’appareil dans la direction que le pilote a choisie (qui ne sera pas, forcément, la meilleure !), son manche, donc, ne disposait pas de tout le “boutonnage” dont était orné celui de droite ! Et il en était de même pour le manche “collectif”, cet autre “bâton”, situé à gauche des pilotes, qui avait deux utilisations très précises et ... vitales : le contrôle des mouvements verticaux de l’appareil en le levant ou l’abaissant et, par une poignée tournante, fixée au bout, ajuster “délicatement” la puissance nécessaire à délivrer par le moteur ! (ces manœuvres, nécessitées par certaines particularités du moteur à pistons, ont été supprimées par l’adjonction d’un régulateur automatique sur les turbines équipant les hélicoptères, par la suite).
Il était donc possible de piloter de la place de gauche, dans les conditions de vol normales, y compris décollage et atterrissage. Mais il y avait des circonstances et des conditions qui rendaient obligatoires le contrôle complet uniquement par le premier pilote qui disposait, en outre, de la vue de la roue droite, roue située juste en avant de la porte “cargo”, seul accès à l’intérieur de l’hélicoptère.
C’était le cas, en particulier, lors de “posés” où une seule roue pouvait prendre contact avec le sol, lorsque la déclivité empêchait l’atterrissage complet : de deux, ou trois roues (la roulette de queue, beaucoup plus petite, pouvait trouver appui au sol quand le sol le permettait : déclivité nulle ou faible, présence de végétation ... roches le permettant).
Les appuis sur les deux roues principales étaient souvent possibles. Mais comme il arrivait que pente et/ou végétation, rocailles, empêchaient tout posé complet, les commandos devaient alors sauter de la porte, hélico en stationnaire, aussi bas que possible. Ce n’était pas toujours sans risque et sans dommage ! Fractures, foulures... n’étaient pas rares, mais, heureusement, peu fréquentes “chez nous”. [...]
Exemple de posé sur une roue avec un HSS (Coll. M. Couthures)
Nous sommes le 12 octobre 1960, encore en été dans cette région du sud Oranie, à 320 km dans le sud d’Oran, à la lisière du Sahara. Notre campement est intégré dans celui, bien provisoire, des commandos que nous sommes venus appuyer, la 32F et un renfort de la 33F, récemment équipée du même type d’hélicoptère: H.S.S., dit, aussi H-34 dans l’Armée de l’Air, ou encore Sikorsky S-58 pour le fabricant américain.
Nous venions juste de terminer le repas de midi, sous la tente réfectoire, qu’un officier de ma flottille vient me demander de décoller rapidement pour aller au secours d’un commando qui, tombé du haut d’une falaise, vient d’être signalé en triste état : fractures multiples, dont, au moins une crânienne !
Étant encore sous-officier, j’ai mon mécanicien “sous la main” qui part préparer l’appareil pendant que je relève sur la carte l’endroit de la chute, déterminé par le chef de la section du blessé.
Mon co-pilote, le LV Miget, me rejoint. C’est sa première participation en mission opérationnelle. Je suis moniteur, mais ne puis laisser le poste de droite à un pilote tout juste admis en vols opérationnels. Après le “lâcher” en pilotage “ordinaire”, j’occupe donc le poste de premier pilote, disposant de toutes les commandes du H.S.S, ... en principe !
Mon mécano est le SM Even, encore jeune “mecbo” (mécanicien de bord) mais sérieux et de toute confiance !
Le réchauffage est rapide, la température étant encore estivale, décollage dans un nuage de poussière et cap direct vers l’extrémité nord du Djebel Tamedda.
Un virage à droite nous fait voir la falaise et, rapidement on distingue des commandos ratissant, les uns le haut de la falaise d’où est tombé le blessé, les autres, la partie pentue séparant les deux falaises !
Je décide une présentation directe vers l’endroit qui semble le plus accessible... vraiment peu de surface disponible ! Rien entre les deux falaises, j’avance toujours... zut ! Un bout de rocher dépassant de la falaise paraît accessible mais tout juste pour une roue ! Mais j’ai trop de vitesse et je décide de faire une autre présentation, sur le même endroit, mais doutant de pouvoir persister si je rate mon coup !
Au bord d’une falaise, verticale : environ 100 m d’à-pic ! Le blessé est tombé d’une autre falaise, à près de 100 mètres du point de posé de l’hélicoptère : entre les deux une zone de végétation serrée d’arbustes de faible hauteur et de rocaille, de plus, zone en pente, interdisant tout atterrissage.
La roue arrive près du bout de rocher, je ne dispose guère que de 50 cm et une touffe d’herbe garnit l’autre coté ! Mais on va tenir bon !
Heureusement, il n’y a pas de vent, ou très peu, et pas de turbulence, et je ne puis me présenter que dans ce sens, la porte de l’hélico est à droite et la roue droite est juste de mon côté : mais il n’est pas très aisé de viser ce bout de rocher tout en contrôlant les “tours moteur” à la poignée des gaz que je tiens dans ma main gauche ! La roue arrive près du bout de rocher, je ne dispose guère que de 50 cm2 et une touffe d’herbe garnit l’autre coté
Mais on va tenir bon ! Le mécanicien me signale la présence d’un arbuste à proximité du rotor anti-couple ! Je fais très légèrement pivoter l’hélico pour l’éloigner de l’arbuste ... mais il faudra s’en approcher pour embarquer la civière avec son occupant, car le peu d’espace entre la porte de l’hélico et la falaise donne sur ce vide d’environ 100 m. Il me faudrait activer le frein des roues, surtout pour celle de droite ! Mais si la tirette est à portée de ma main gauche, je ne peux lâcher la poignée des gaz et elle est hors de portée de mon co-pilote.
Tableau de bord du premier pilote : le haut du manche “cyclique” qui contrôle l’attitude de l’appareil
(et ses boutons divers dont celui de la radio et interphone seul à être partagé avec celui du co-pilote.
Le cadran du tachymètre (compte-tours) moteur étant le 4ème en haut à partir de la gauche, il est délicat
de le surveiller étroitement en même temps que la position de l’hélico par la porte pilote de droite.
La tirette des freins est cette tige en bas du tableau dont la poignée est horizontale, pas facile à attraper
par le copilote sanglé sur le siège de gauche.
2 minutes... ça va... 3 minutes... mes pieds entament une espèce de danse sur les pédales des freins, secousses que j’ai quelque peine à calmer... encore trois minutes... je semble prendre la “pose” mais une impression curieuse me fait regarder ma main gauche ! Elle est en position normale mais il me semblait que le poignet avait "tourné" de 90° sur la droite !
Et le temps passe : je n’ose pas essayer de voir vers la droite, si le blessé arrive, trop pris par le contrôle de l’appareil : l’assise sur ce bout de caillou, sans appuyer pour ne pas risquer de le faire décrocher de son logement, et tout en veillant à garder une petite distance entre le rotor anti- couple et “son” arbuste! Le moindre accrochage signifierait la perte de contrôle complet de l’hélico ! Je savais que le mécano veillait lui aussi !
Enfin ! Even m’annonce l’arrivée du “client” et me guide pour réduire au mieux la distance avec le bord de la falaise. “Paré, cargo !” m’annonce le chef du cargo. Ouf !
Je regarde la montre, 18 minutes d’attente !
Mes mains et mes pieds se sont tellement habitués à leur position crispée qu’il me faut faire de gros efforts pour en reprendre le contrôle.
Le blessé est bandé de partout et Even me confirme le triste état de fractures multiples : tenant compte de cela, et sachant que pour de tels cas (factures du crâne, fractures ouvertes...) il faut éviter les variations amples et/ou rapides en altitude, j’entame un large virage par la gauche tout en commençant une descente très progressive.
L’extrémité nord du djebel passé, on aperçoit l’oasis, le camp et l’endroit d’atterrissage signalé par un autre mécanicien. Un autre hélico, de la 33F, prend “mon” blessé et l’emmène à la Base de l’Armée de l’air, près de Méchéria, à 80 km. Un avion va le transporter sur Alger où un autre avion va l’emmener à Paris et l’Hôpital du Val de Grace le récupère enfin. Quelques semaines plus tard on nous apprendra que notre blessé est sauvé !
Les minutes d’attente ont semblé bien longues, j’ai été tenté un moment de faire un tour... mais je n’étais pas du tout certain de retrouver mon caillou. Un vent venant du nord ou de fortes turbulences auraient rendu le posé sur une roue très risqué.
Michel COUTHURES
Michel Couthures à Dièn-Bièn-Phù, après son crash (Coll. M. Couthures)
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Date de dernière mise à jour : 06/04/2020
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