Pas prévu pour voler

Quelque part dans le golfe du Tonkin, à bord du porte-avions Arromanches.

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Le porte-avions Arromanches

Entre les 20 et 26 novembre 1953, en 7 jours, 8 missions, dont deux le 22, ainsi suis-je "oublié" sur la feuille des vols de ce 27 novembre.

Correspondance, un peu de lecture ... la matinée est longue : seul, au bout de la "Rue Trabuc", cette impasse, porteuse du nom d’une célèbre voie de la basse-ville de Toulon donne sur une coursive transversale sous l’avant du pont d’envol.

C’est dans cette "rue" que logent les officiers-mariniers pilotes des Flottilles 11F et 3F embarquées : deux chambrées à 6 occupants et une autre, plus grande, pour le PM Lucas, dit "Fifi’, pilote d’hélicoptère, et le SM Goizet, le plus ancien des second-maîtres pilotes de la 11F.

Il faut quand même dire que notre rue dispose aussi, de douches et de baignoires ... à l’eau de mer (ce qui pose quelques difficultés avec le savon ordinaire) et des WC. Du luxe par rapport à d’autres. Donc, mes cinq co-occupants sont en mission. Ils vont rentrer, à moins d’être déroutés sur Bach-Maï (Hanoï) ou Cat-Bi (Haï-Phong) pour recompléter carburant et munitions afin de porter secours à une "urgence" : convoi attaqué, poste harcelé ?

La diffusion générale annonce à tout le bateau :

- « Aux postes d’aviation, ramassage de 8 Hellcat dans 10 mn ! ».

Instantanément, cette communication accélère le rythme de la vie du bord : les équipes du pont d’envol se saisissent de leurs matériels et se hâtent vers leur poste de travail : directeurs avec leurs petits fanions, hommes des cales et des saisines, "sécuritars" en "hommes d’amiante" et les oisifs du moment, du bord ou des flottilles, qui vont jouir du spectacle depuis les rares postes d’admiration vite saturés, dans les hauts de l’îlot, non loin de la passerelle, cet étroit domaine du "Pacha" (le commandant du PA) et du personnel indispensable à la conduite du navire et au contrôle des manœuvres d’aviation.

Je n’aime pas voir apponter, dans la crainte d’un ... raté, de beaucoup je préfère apponter moi-même !

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Appontage d'un "Hellcat" sur l'Arromanches sous la direction du LV de Castelbajac

Il est bientôt midi, l’heure de passer à table où le menu est, habituellement ... menu.


Les avions, posés sans casse, sont remis en condition de vol, les pilotes aussi. À peine le temps d’un rapide débriefing et d’avaler trois bouchées on redemande les mêmes pour une "urgence" :

- « Et moi ? »

Or, Régis, qui en revenait, fatigué, demande à être remplacé et Daniel qui avait obtenu d’aller à Saïgon où réside sa sœur, préfère ne pas repartir. Il convient de préciser que demain, 28 novembre, les pilotes doivent partir "à terre" pour 5 jours de répit, chacun étant libre de sa destination, sous réserve d’être de retour à temps !

L’affaire du remplacement se trame en salle d’alerte, au niveau du pont d’envol, où ma présence est, ce jour, inutile.

Oui, mais ... rue Trabuc le téléphone sonne. Étant seul, je me précipite pour répondre : c’est justement pour moi !

- « Décollage dans 10 minutes, emportez de quoi passer les 5 jours de repos car vous laisserez votre avion à Cat-Bi ! ».

Le temps de bâcler la valise Valtex, légère, spéciale pour emporter en vol, de courir à l’arrière du bateau, 2 ponts plus bas, pour récupérer ma ceinture d’armement (avec le Colt 45, le poignard de para, et la trousse de secours, en fer), d’enfiler, au caisson de vol, la combinaison kaki-clair, de happer le jeu des 125 cartes carroyées et le plateau de navigation sans oublier le joli casque doré et me voilà sur le pont.

Au tableau des vols c’est le 11F-14 qui m’est confié. Cet avion avait été assez gravement abîmé quelques temps avant, remis en état de vol et avait subi des essais en vol.

Le mécanicien chargé de l’entretien de l’avion et pour cela appelé "patron d’appareil” prend ma Valtex pour la mettre en soute dans le ventre de l’avion par une trappe sous le fuselage. Je ne sais pas pourquoi je lui ai recommandé de bien la ficeler... on ne sait jamais !

Le temps de grimper au poste de pilotage, m’insérer dans les sangles du parachute, de fixer celles me liant au siège, de positionner la hauteur dudit siège tout en contrôlant l’état des différents contacts, cadrans, manettes et commandes de vol, sans oublier le pistolet mitrailleur Thompson (9 kilos de bois et d’acier !)...

Le Chef-Avia du haut de sa passerelle accolée à celle du Commandant, ordonne, par haut-parleur :

- « En route les moteurs ! » 

“Ça” tousse un peu puis “ça” rugit dans un beau nuage bleu : les 2.100 chevaux du moteur donnent de la voix. Régime de réchauffage stabilisé, il faut amorcer le circuit d’essence sur le belly-tank, gros cigare fixé sous l’avion, réservoir devant assurer 45 mn de vol en appoint des réservoirs propres à l’avion. La commande rouge du sélecteur des réservoirs est située en contre-bas, à gauche, en arrière du bloc des manettes du moteur : poignée à tourner dans le plan horizontal.

Les positions habituelles des 2 réservoirs principaux et du central passent aisément, comme d’habitude. Tiens, la position du supplémentaire est atteinte en douceur contrairement aux autres avions où il faut forcer. Pour être sûr, je repasse sur les autres positions et reviens au supplémentaire : pareil, tant mieux ! Mais, pour décoller, il me faut remettre sur central.

Point fixe : essai des magnétos, du mélange (air-essence), sortie des volets, essai de la radio.
Tous les avions sont prêts, l’alignement commence, les 4 premiers sont catapultés, ne disposant pas d’une longueur suffisante de pont pour décoller “roulé” (cela permet d’économiser la seule et unique catapulte).

Mon chef de patrouille est Jean Colonge, son appellation opérationnelle est Madeleine : ancien de la 12F, il avait participé à la campagne précédente et avait obtenu de conserver son pseudo. Le mien est Minondas (pour Épaminondas, général grec de l’antiquité).

Madeleine parti, le directeur me fait aligner à cheval sur le rail de la catapulte, élingue en place, un servant me montre un panneau qui récapitule les dernières vérifications puis le directeur de son pavillon me fait mettre "plein pot". Régime au maximum de la puissance du moteur, ça vibre fort, coup d’œil rapide sur les cadrans ... c’est bon. La tête collée contre l’appui-tête ... salut militaire de la main droite ... le pavillon vert s’abaisse et ... c’est parti ... collé au dossier ! Au bout du pont l’élingue se décroche, l’avion chute un peu vers l’eau, les roues sont rentrées, la vitesse augmente et on prend de l’altitude à la recherche du chef de patrouille.

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Un "Hellcat" de la 11F s'aligne sur l'une des catapultes de l'Arromanches"

Pendant le catapultage je réalise, quand même, avec horreur, que si, dans ma précipitation, je n’ai pas oublié mon gilet de sauvetage, j’ai oublié la cravate noire de mon uniforme et, aussi, une pellicule neuve pour l’appareil photo qui pend sur mon estomac. Trop tard, or, il me semble qu’il ne reste plus qu’une seule vue disponible sur le film en place. Ça commence bien. Normalement, je n’aurais pas dû partir avec des affaires dénonçant mon identité et mes qualités, mais, allant en repos à Hanoï il me fallait bien en disposer !

Pourquoi Hanoï ? Saisir une occasion de voir de plus près ce qu’il m’est donné de voir d’en haut, certes oui, mais aussi parce que j’espère bien y retrouver deux camarades de La Rochelle, comme moi, et de l’Aéro-Club, comme moi, mais, eux sont dans l’Armée de l’Air.

300 m à l’altimètre, je rallie Madeleine qui a effectué un large virage pour mettre le cap sur Diên-Biên-Phù. On passe sur le réservoir supplémentaire ça passe bien.

Le camp de Diên a été initié le 20 novembre et, nous a-t-on dit, la piste de l’ancien aérodrome, remise en état, est accessible.

Notre trajet nous fait transiter dans les environs de Tuan-Giao, un endroit mal famé. Et pour cause ... je vois l'avion de mon leader faire des déroutements brefs et désordonnés en même temps j'entends annoncer :

- « Attention ! il y a de la DCA »

Effectivement, j’aperçois quelques flocons et des traçantes qui semblent bien nous être destinées. Pour dérouter les tireurs, comme mon chef, je fais faire à l’avion de nombreux et rapides changements de cap.

La zone franchie, le ciel redevient calme. La plaine de Diên en vue, le PC "Torri rouge" nous dirige vers le sud où un Criquet (Morane 500 d’observation) va nous marquer un objectif, à l’aide d’un fumigène.


Au-delà des premières collines, couvertes d’une végétation très dense, on aperçoit le petit avion en orbite, il tourne en rond en nous attendant, et dès qu’il nous estime suffisamment proches nous annonce qu’il va marquer l’endroit à bombarder. Le petit avion descend, lance son fumigène et remonte rapidement : une belle fumée blanche monte de la forêt, notre but est là.

Madeleine annonce qu’il amorce une première passe pour deux bombes.

Le suivant de loin je veux quitter le réservoir supplémentaire, maintenant presque vide et aussi par sécurité, pour passer sur un des deux réservoirs principaux.

C’est dur ! Même très dur alors que je viens d’activer mes deux premières bombes et d’amorcer un piqué, j’interromps la passe en reprenant de la hauteur, larguant les deux bombes, tout cela en tentant vainement de changer de réservoir.

Las, déception du Criquet : mes bombes sont tombées loin de l‘objectif. Las encore, mais pour moi : la commande de changement de réservoirs cède mais c’est pour tourner à vide : la tige s’est rompue et il ne doit plus rester que quelques gouttes dans le bidon.

Cap sur Diên. Je largue mes deux autres bombes, au hasard. Cris de joie du Criquet : les deux ont fait but.

Dès le début de mon problème, tout en triturant le sélecteur, maniant l’avion, surveillant l’extérieur, dont le fumigène, et préparant les bombes, je voulais prévenir mon chef de patrouille qui m’entend mal, comme je le comprends ... de même :

- « Madeleine ! Ici Minondas : je ne peux pas changer de réservoir ! »
- « Suis-moi ! Suis-moi ! »
- « Ici Minondas : je suis en panne de sélecteur d’essence ! »
- « Suis-moi ! »
- « Je te dis que je vais être en panne d’essence ! »
- « Qu’est-ce que tu dis ? Suis-moi ! »
- « Je te dis que je vais me crasher ! » (il me semble que j’ai dit clairement autre chose ...)

La pression d’essence est à zéro, le moteur s’arrête, le réservoir supplémentaire, vide donc inutile, ne peut que freiner ... je le largue !

Maintenant que j’ai un peu de temps, je suis pris par la frousse : le crash ! 
Sans doute des Viets en bas, en comité de réception avec leurs "délicates" attentions ... Je sens mon estomac se nouer, mes yeux s’agrandir : la panique ! 


Mais, tournant la tête à droite, je vois le Criquet essayant de m’accompagner, la queue par-dessus les plans, piquant tant qu’il le peut ... c’est émouvant, réconfortant et amusant, tout à la fois.

Alors la panique s’envole, elle n’a pas duré longtemps : sans moteur le Hellcat chute plus qu’il ne plane, le sol va vite arriver et il faut préparer un atterrissage sur le ventre sur quelle surface ? 


Ouvrir la verrière, tiens, elle est ouverte, la verrouiller, elle l’est aussi, couper les magnétos. Elles le sont. Mais pas la batterie pour pouvoir utiliser mes 6 mitrailleuses au cas où j’apercevrais le "comité" : rafale et crash dedans, c’est clair.  Foutu pour foutu, vite, j’arme les "pétoires". Bretelles bien serrées et verrouillées. 
Conserver les 145 nœuds au badin (environ 265 km/h) pour obtenir la plus grande distance franchissable.

Sans moteur : en une fraction de seconde j’ai le souvenir du vol en planeur à La Rochelle-Laleu : manœuvrer pied et manche, bille au milieu, sans effet de couple de l’hélice c’est plus facile.

Le sol semble "monter" de plus en plus vite ! Où poser ? Un grand pré qui me paraît plat, bordé d’une longue et haute haie peut nous accueillir sans trop de secousses.

Un voile de nuage empêche les ombres portées et ce n’est qu’assez bas que je me rends compte que le pré est une rizière sèche, avec des diguettes sèches, donc dures ... à ne pas prendre de plein fouet.

Et la haie ? Cap sur la belle haie. Oui, mais n’étant plus très haut, je m’aperçois que la haie cache un fossé et que l’autre berge est un talus bien haut. Pied et manche à gauche, pas la haie, mais une magnifique meule de paille de riz. Juste la place de virer encore un peu et l’avion percute la meule par l’emplanture de l’aile droite, à la jonction de l’aile avec le fuselage.

Le temps de “revivre ma vie” en une fraction de seconde, l’avion pivote juste assez pour franchir les diguettes avec le dièdre de l’aile.

Quel bruit assourdissant, malgré le casque et les écouteurs.
 Quel chahut et ça saute ! Combien de diguettes sur 200 m environ ?
Persuadé que j’allais "y passer" j’ai gardé les yeux ouverts, voir comment "ça" fait !

Et, brutalement, TOUT s’arrête : le bruit et les secousses. Un calme et un silence qui me paraissent énormes !
 Suis-je mort ? "Ça" ne fait pas mal. La poussière retombant, je distingue un gros brin de paille descendre très paisiblement.

Je vois, donc ... je vis ! Il n’y a pas à attendre ... je réalise : la panne, le crash, le Criquet, mon chef de patrouille ... les Viets ... il faut que je m’en sorte. Et je ne ressens aucune douleur. Quelle chance !

La forêt est au pied des premières collines, à peine à 300 m sur la droite ... personne en vue, il est vrai que la présence du Criquet et de l’autre avion peut être dissuasive, à gauche : rien, pas plus derrière ... la haie : calme.

Dégrafer sangles et bretelles, sortir de l’avion, encore un coup d’œil circulaire : calme partout.

La Thompson ! Ficelée contre le siège, un coup de poignard pour la libérer, vite un chargeur en place, armer. Zut, la culasse semble bloquée, non, elle est en place sur l’arrière, elle s’est armée toute seule, dans les secousses : c’est dire l’importance des cahots.

Ne pas gaspiller les munitions, sécurités : sur "feu" et sur "coup par coup", j’appuie sur la détente : je n’entends rien mais le coup est parti : j’ai bien senti le recul ! ça fonctionne !

Ne pas s’encombrer d’une arme, surtout lourde, si elle ne peut servir ! Par contre, en garder les munitions : deux chargeurs, du 11.43, les mêmes cartouches que pour le Colt 45 que je porte à la ceinture : quelle bonne idée, la même munition pour ces deux armes pourtant si différentes !

Et me voilà parti, à pied, vers Diên-Biên-Phù que j’avais repéré pendant la descente (ou, plutôt, chute contrôlée).

Ma brassière de sauvetage (en mer), jaune d’or, est bien visible, je m’en débarrasse en marchant.

Et mes cartes ! Demi-tour, retour à l’avion. Je récupère rapidement ma sacoche et les 125 cartes ainsi que le plateau de navigation inséré dans le tableau de bord ... quant à la valise ... l’avion sur le ventre, la trappe est inaccessible. Tant pis, d’autant plus que j’aurais eu l’air d’un touriste égaré, en ces lieux cela ferait déplacé.

Un bruit de moteur d’avion, c’est mon chef de patrouille qui me fait un signe d’au-revoir amical, lui il rentre à bord. Plus fort que moi : je lâche tout pour lui répondre d’un "bras d’honneur" non moins amical.

Le Criquet passe très bas pour m’indiquer la direction du camp.

J’ai idée de mettre le feu à l’avion, pas d’allumettes mais un briquet tout neuf, à essence, mais il est ... sec ! des 900 litres d’essence qui restent dans l’avion je ne peux rien tirer, les purges sont sous les ailes.

Le Criquet repasse et me fait signe ... d’accélérer. Alors je presse le pas vers la haie, mon casque toujours sur la tête, jaune et brillant ... belle cible. Je le laisse tomber.

J’arrive au fossé ... s’il y avait "du monde" ? Rien, ni personne, ni à gauche, ni à droite ! Ouf ! D’un bond je franchis le fossé, à sec ; ayant gravi le talus j’inspecte rapidement les environs, rien de particulier : une autre rizière devant moi, à 100 m : un bosquet. J’avance dans la rizière et aperçois des silhouettes en bordure droite du bosquet ... des Viets ? Je me cale à plat ventre dans un angle entre deux diguettes, cartes et plateau posés, la Thompson prête à faire feu.

Sur la gauche du bosquet apparaissent d’autres silhouettes : des visages d’européens. Ouf ! (il m’aura fallu beaucoup plus de temps à écrire tout cela qu’à l’avoir vécu).
M’étant relevé, en confiance, les paras arrivent près de moi, l’un d’eux me débarrasse de mon pistolet-mitrailleur et le désarme. Leur chef est le Cdt Bréchignac, commandant le 2ème Bataillon du Premier Régiment de Chasseurs Parachutistes, son adjoint est le SLt Subrégis.
C’est donc en leur bonne compagnie que je reviens à "mon" pauvre avion, après avoir refranchi haie et fossé. Les paras connaissent bien le coin, y étant passés un moment avant. La veille ils avaient "rencontré" dans les 200 Viets occupant la haie et le fossé ! Ils m’assuraient qu’il y en avait sûrement là-bas, à l’orée de la forêt. Remarquant les paras marcher avec circonspection dans les traces de l’avion, dans la paille éparpillée, je leur demande s’ils ont perdu quelque chose, le lieutenant Subrégis me demande :

- « Il n’y avait pas une meule de paille, par là ? »
- « Si ! Je m’en suis servi pour amortir ! »
- « Il n’y a pas eu de bruit ? »
- « À part le tumulte du crash, je n’ai rien remarqué de particulier, pourquoi ? »
- « On venait de la miner ! »

Comme quoi, la chance, quand ça s’y met !

Voulant récupérer du matériel : postes de radio, armes, munitions, instruments de bord, je fais demander au Criquet s’il était possible d’avoir des outils. Le Morane va au terrain de Diên et revient un moment après nous lancer un paquet de chiffons entourant des clés : hélas, ce sont des outils à cotes françaises et le Hellcat est d’origine américaine. Mon canif y laisse son ressort. Avec l’aide des paras un petit tas se constitue autour de mon parachute avec mon casque et mon gilet de sauvetage, avec mes cartes et le plateau de navigation, sans oublier le parachute et son dinghy.

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Michel Couthures après le crash

À propos de parachute : m’ayant vu extraire cet équipement du poste de pilotage, l'un des paras s’étonne :

- « Tu avais un parachute et tu n'as pas sauté ? »

Il est vrai que les parachutistes, s’ils acceptent de monter dans des avions c’est pour pouvoir en sauter car ils ont toujours la hantise de l’atterrissage qu'ils ne peuvent pas contrôler. Ainsi ils préfèrent ... descendre en marche. Quand je lui ai expliqué que, si j’avais sauté, le vent m’aurait entraîné chez les Viets, il a admis mon "oubli".

Problème : les postes de radio et ma valise sont dans le fuselage et la trappe est inaccessible. Dans le crash le fuselage s’est déchiré juste derrière le poste de pilotage, la "plaie" est légèrement ouverte mais l’espace est très insuffisant, même pour y passer la main.

L'un des vietnamiens du groupe est muni d’un magnifique coupe-coupe qu’il me prête de bonne grâce, cet instrument providentiel me permet, illico, d’agrandir la plaie, suffisamment pour tordre la tôle et me faire un passage confortable : grand étonnement des vietnamiens qui viennent toucher les bords de la tôle ! C’est bien mince, ils étaient persuadés que les coques étaient "en massif". 


Valise et les deux postes radio sortis j’essaie de trouver un autre instrument "délicat", l’IFF qui permet, par un codage secret, de marquer l’identification de l’avion sur les radars : je ne trouve que l’emplacement : dans les chocs il s’est arraché de son siège et je l’aperçois tout au fond du fuselage, inaccessible.

Autre problème : comment transporter ce tas ? Un bruit céleste apporte la réponse : un hélico Siko 55 atterrit à proximité. Venu de Muong-Saï, un poste encore tenu, au nord de Diên, il me permet non seulement de transporter mon matériel, de poursuivre ma route en vol et, de plus, de prendre mon baptême d’hélicoptère.

Le pilote est le Cne Jourdan, de l’Escadrille de Liaison Aérienne 53, de l’Armée de l’air (il perdra la vie quelques années plus tard au cours d’un sauvetage périlleux sur les pentes du Mont-Blanc).

Sur le terrain de Diên : à peine le temps de débarquer le matériel qu’une jeep arrive dont le conducteur me demande de l’accompagner. Persuadé qu’il s’agit, déjà des "suites administratives" du crash, je suis bien étonné de voir que le véhicule s’approche d’une rangée constituée par une dizaine d’officiers, cela pour m’accueillir. Ici, au moins le "comité d’accueil " est plutôt sympathique. Le premier me félicite en termes "choisis" de la chance qui m’a souri, j’ai quelque peine à trouver ses galons qui ne sont pas sur des épaulettes, mais j’aperçois sur son blouson deux étoiles sur un petit rectangle de tissu tenu par un bouton, c'est le Gal Gilles, le patron du secteur. Le jeune second-maître que je suis est très ému d’être ainsi reçu. Les autres officiers : colonels, lieutenant-colonels et chefs de bataillons sont tous au même diapason. Parmi, je note l’accent particulier d’un chef de bataillon qui deviendra célèbre, son nom : Bigeard.

Je n’ai, hélas, pas retenu tous les noms. L’État-Major de Diên-Biên-Phù est presque complet, il ne manque que ceux qui, comme le Cdt Bréchignac sont ... de sortie dans les environs.

Tout à coup, une explosion énorme. Tout le monde sursaute sauf moi, mes nerfs sont peut-être blasés par les émotions précédentes.

C’est une batterie de 105 qui ouvre un tir pour traiter un objectif désigné par un groupe en investigation.

Très aimablement, le Gal Gilles me propose de rester quelques jours "en vacances" au camp. La proposition est très alléchante : vivre un peu en compagnie de ceux avec qui on travaille sans les côtoyer, et presque sans les voir ! Mais là-bas ... on attend déjà, sûrement le compte-rendu de l’accident, "mécaniquement" c’est suffisamment important : l’incident du sélecteur de réservoir pouvant se produire sur un autre avion.

Aussi, est-ce avec beaucoup de regret que j’embarque avec mes "bagages" dans un Dakota qui repart sur Hanoï avec ses convoyeurs et un lot de parachutes.

Pour moi c’est encore un "baptême", celui du Dakota, avion célèbre. Le pilote aux commandes, le chef de bord, me fait venir au poste de pilotage ; il fait presque nuit mais je peux lire sur la visière de sa casquette "ni dieu, ni maître". Bras tendu vers la droite il désigne des feux clignotants qui semblent se diriger vers Diên. Il me renseigne :

- « C‘est un Privateer (bombardier lourd de l’Aéronavale ) qui arrive pour te protéger, avec 24 bombes. »

Trop tard !

À Hanoï, le Dakota se pose à Gia-Lam, le terrain de l’aéroport et des "lourds".

Le LV Klotz, de la 11F, donc de "ma" flottille (et du PA Arro.), détaché auprès du GATAC Nord (Groupement Aérien Tactique pour le Tonkin) est venu m’attendre avec une jeep. Le matériel embarqué, heureusement sans les 6 mitrailleuses et leurs munitions laissées sur l’avion par manque d’outillage US, nous voilà en route pour le centre-ville, franchissant le Fleuve Rouge par le célèbre Pont Paul Doumer.

Dans une large avenue à peine éclairée et déserte en raison du couvre-feu ... un cahot, un bruit de chocs se succédant ... on s’arrête : je vais vers une masse noire qui me rappelle quelque chose ! C’est un des deux postes de radio VHF qui ‘a "fait le bord" pour caracoler et s’arrêter sur le trottoir. Rembarqué et bien calé il ne bougera plus.

De retour sur le Porte-Avions je recommanderai au personnel radio de bien vérifier le fonctionnement de ce poste : le contrôle confirmera un état tout à fait normal, seules, des traces aux arêtes de la boîte peuvent rappeler un "incident de parcours". Malgré deux crashes, c’est du solide.

Le LV Klotz m’emmène d’abord au Mess des Officiers où un solide sandwich comble un certain vide, car il se faisait tard. Mon Cne, l’Officier de permanence et le Médecin de service me font raconter mon aventure.

Puis on me fait conduire dans une chambre où je peux, enfin, quitter mes chaussures et me rendre compte que, si mes pieds sont douloureux, ce n’est pas forcément dû à la longueur de la journée : s’ils sont gonflés et si j’ai de la peine à les extirper c’est qu’ils viennent, depuis des heures, d’être "massés" par, chacun, une poignée de riz.

Qu’il est bon de se glisser dans des draps, dans une chambre qui ne vibre pas, qui ne bouge pas et où il n’y a pas le souffle d’une ventilation, aussi je m’endors sans avoir recours à un quelconque somnifère. Pourtant, j’aurais dû, normalement, avoir d’autres "réactions" : car, la bière qui m’a été offerte avec le sandwich avait été dopée avec une bonne dose de …? (rhum, whisky, ?) m’a-t-on confié le lendemain. Encore en plein sommeil je me mets à rêver qu’une horde de Viets hurlants sort de la forêt et se précipite vers moi. Je me réveille en sursaut : ce n’est que le bruit, pour moi, terrifiant, d’un aspirateur débutant son travail matinal dans le couloir !

Ouf !
Rasé de frais, je me renseigne pendant un bon petit déjeuner (les émotions : ça creuse) pour parfaire mon habillement. Une jeep m’emmène en ville où, rapidement, j’acquiers, d’abord, une cravate noire, puis un rouleau de pellicule photo.

Après le crash, en attendant l’hélico et en discutant, un des paras voit mon appareil photo et me propose, aimablement, de me prendre sur l’aile. Après, j’ai voulu avoir "mon avion et mes Paras" : la bobine était finie, je le regretterai toute ma vie !

Et ce fut le compte-rendu écrit, et oral, au GATAC, auprès d’un officier venu de l’Arromanches (le CC Varela de Casa, ex-commandant de la 11F), je suis en tenue de sortie AVEC une cravate (par la suite il m’a été dit que cela avait fait un peu sensation auprès du personnel de l’Armée de l’air).

L’aventure me permet de passer quand-même quelques jours de repos, avec des "escales" reconstituantes dans de bons restaurants en compagnie de plusieurs de mes collègues de la 11F et de la 3F, donc de l’Arro., mais aussi avec mes deux copains de l’Aéro-Club, qui, de l’Armée de l’air, sont en poste à Hanoi.

De retour sur le " bateau-plat", je veux présenter mes excuses au "patron" du 11F-14 pour ne pas avoir ramené son avion. C’est lui qui m’apostrophe :

- « Sais-tu ce que tu m’as dit avant de monter dedans ? »
- « Oui, de bien ficeler la valise ! »
- « Oui, mais tu as ajouté : regarde bien ton avion, tu ne le reverras plus ! » Pressentiment ? J’avais complètement oublié. Dire que je ne devais pas voler ce 27 novembre 1953. 
Des années après... en 2006, feuilletant mon album photo, je me suis aperçu que le 23 octobre, donc un mois plus tôt, au cours d'un bombardement de dépôt, l' avion que je pilotais avait son volet de courbure gauche abîmé par un obus de 20 mm cet avion était le ... 11F... 14 ! »

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Additifs

1 - Comme je désirais que l’avion soit détruit, les paras m’ont promis de s’en occuper :

- « Avec les 900 litres restant dans les réservoirs ... il ne devrait pas y avoir de problème ! ».

L’avion, m’a-t-on dit quelques jours plus tard, a résisté à plusieurs chargeurs de fusil-mitrailleur. Le lendemain le "passage était occupé" et, c’est, me semble-t-il, deux jours après le crash, que c’est du plastic (ou de la dynamite ?) qui a eu raison de la résistance des réservoirs ... auto-étanches.

Le 12 janvier 1954, au cours d’une autre mission (pour laquelle j’avais bien été prévu pour voler), dans le sud de la plaine j’ai pu apercevoir, non loin d’une haie, comme une ombre qui ressemblait fort à celle d’un ... Hellcat ...

2 - Au 27 novembre 1953, "mes" Paras ne croyaient pas devoir demeurer très longtemps dans cette plaine dominée de tous côtés par des hauteurs couvertes d’une végétation dense, donnant une "certaine impression d’insécurité". Ils s’attendaient à en partir ou à occuper les pitons nord et sud si "on" tenait à verrouiller la route menant vers le Haut-Laos ... parce que la plaine serait vite intenable, mais il n’y aurait plus d’accès libre vers la piste d’aviation, pourtant nécessaire, pour les ravitaillements, les relèves et aussi, pour d’éventuelles évacuations sanitaires. De toute façon, m’ont-ils précisé, les Viets sont capables de nous en déloger (des pitons).

J’ai bien compris que ceux qui "crapahutent" et savent tenir compte de ce qu’ils peuvent observer, ont une appréciation des possibilités qui leur sont accordés, comme des risques qu’ils encourent, beaucoup plus précise et réaliste que ceux qui les "manipulent" de loin. Il leur fallait, aussi, éviter l’erreur qui consiste à sous-estimer l’adversaire.

Le Viet est chez lui, dans un pays difficile par son relief, sa végétation et son climat. Il est doué d’une patience particulièrement soutenue, il est astucieux, et, de plus, il reçoit des renforts non négligeables de certains "participants" occultes qui le fournissent en matériel (camions Molotova), armement et munitions, et, fort probablement, en personnel, le tout lui parvenant du nord et du nord-est.

Qu’en est-il devenu du Camp Retranché de Diên-Biên-Phù ?

Tous les 27 novembre, j’ai une pensée pour la chance qui m’a souri en celui de 1953, mais j’ai, aussi, une pensée pour tous ceux qui ne l’ont pas eue là-bas ...

3 - Complément de détente à mon aventure :
 le 28 novembre au matin, je suis conduit, avec mon matériel récupéré, à la Base de l’Armée de l’air où sont stationnés les chasseurs, les avions de liaison, et les avions d’observation : Bach-Maï. Déposés auprès d’un NC-70, bimoteur léger, nous attendons le pilote. Au bout d’un moment arrive un aviateur en tenue de vol. Il n’a pas l’air content car réveillé alors qu’il est de repos. Mais, quand il voit son "client", sa colère disparaît d’un coup et son visage s’éclaire d’un large sourire ... c’est si sympathique de se retrouver si loin de La Rochelle et de l’Aéro-club. Le pilote, c’est mon "vieux" camarade de vol à voile : Jean-Bernard Ledoux, il est de l’Escadrille de Liaisons Aériennes, ELA 53.

Du coup, je prends mon baptême de Siebel, avion que j’aurai grand plaisir à piloter dans un an, en Bretagne, mais cela, je ne le sais pas encore.

4 - Le 6 mai 2004, à l’École du Transport aéroporté près de Pau, lors des cérémonies du Cinquantenaire de la chute de Diên-Biên-Phù, j'ai eu, non sans émotions, les surprises de retrouver un de ceux qui sont venus à mon secours le 27 novembre 1953, Michel Chanteux (qui a été essentiel dans la création de l’Association nationale des Combattants de Diên-Biên-Phù), celui qui m’a accueilli à ma descente du Dakota, à Hanoï, devenu l’Amiral Klotz. Et "en prime", au cours du repas, en face de moi, je faisais enfin connaissance avec Jean Kéromnès, l'un des deux survivants des deux Privateer abattus entre le Delta et Diên. L’Amiral Klotz, Michel Chanteux et Jean Keromnès ont dû subir les dures "faveurs" de l' "oncle Ho" avant de retrouver la liberté.

C’était… il y a… 53 ans !!

Michel COUTHURES,
dit "Minondas"

Texte trouvé sur Internet, origine exacte inconnue

Date de dernière mise à jour : 13/04/2020

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