Patrouille serrée

Cet après-midi nous avons fait nos adieux à Tangmere. Nous allons à Acklington, toucher de nouveaux zincs dont on dit merveille, les Typhoon, nom prometteur.

Typhoon
Hawker "Typhoon"

Le départ ne s'est pas fait sans déchirement. Depuis longtemps nos pilotes sont les enfants chéris des pubs voisins et les filles de Chichester versent des larmes. Du moins je le suppose.

Au moment du décollage, devant nos Hurricane noirs rangés en abord du terrain, Mac nous réunit :

- « Vieux copains, on nous met pour quelques temps au vert. Le moins possible, j'espère. À l'arrivée je veux un dégagement de tonnerre ! Piqué sur les marguerites en trois colonnes, puis gerbe en éventail avec tonneau lent, atterrissage par section à 30 secondes. »

C'est de tradition, quand une grande escadrille comme la nôtre arrive dans une nouvelle base, de faire quelques excentricités. Les tonneaux à 20 m du sol sont bien défendus, mais qui osera reprocher quelque chose à Mac Lachlan, l'as aux 16 victoires ? Comme de coutume, je suis son sectionnaire, aussi il ajoute pour moi, avec un clin d'œil :

- « Old Ju, vous vous posez dans mon aile. »

Dans un vol sans histoire, par un après-midi ensoleillé, nous quittons le pittoresque Kent pour les prairies du Yorkshire et enfin arrivons en Écosse.

Notre nouvel aérodrome est une immense prairie coupée de magnifiques pistes en asphalte dans une plaine entourée de mamelons boisés. Après notre acrobatie d'arrivée, l'escadrille se disloque et nous nous présentons, Mac et moi, les premiers pour atterrir. Le vent d'ouest doit souffler assez fort, si j'en juge par la raideur de la manche qui oscille à peine autour de son mât.

Après un tour de terrain, Mac dépasse largement la piste en service. Je me demande pourquoi, quand je le vois amorcer une glissade. La radiotéléphonie me précise :

- « Old Ju, je l'ai manqué, venons en glissade. Est-ce que ça va ? »
- « OK »

Je comprends très bien ce que veut faire Mac. Il a passé par distraction l'axe de la piste ; il se rattrape par une acrobatie difficile à faible vitesse sur ces avions lourds.

Car, pour la première fois que nous venons ici, une nombreuse assistance attend l'arrivée de l'escadrille n° 1. Ce serait minable de boucler un tour de plus et si nous parvenons à faire croire que nous comptions atterrir en glissade serrée on passera vraiment pour des merles.

Glissons ! Mais comme je suis à toucher l'avion de Mac, il me sous-vente et, pour la même vitesse, je "tombe" légèrement plus vite que lui. Je m'accroche désespérément sans pouvoir empêcher que mon aile gauche vienne heurter le fuselage de mon leader. Au moment où, très doucement, je veux la dégager, elle refuse de s'en séparer.

Je sais bien qu'on dira que c'est une histoire. Pourtant, aussi invraisemblable que cela paraisse, je parviens à maintenir la formation et, au sol, à rouler jusqu'aux baraques sans nous séparer.

Le plus fort, c'est que, s'il a senti quelques impulsions anormales dans la course de son avion, Mac était bien loin de se douter de la vérité. Quand, son moteur stoppé, il saute à terre et s'aperçoit que mon appareil est dans cette drôle de position, encastré dans le sien, il n'en peut d'abord croire ses yeux, puis se précipite sur moi et m'embrasse. Personne de loin n'a vu l'accident et aux yeux des spectateurs cela n'a jamais été qu'une acrobatie serrée pour laquelle ils vont nous féliciter. Mac n'a de cesse qu'on ait pris une photo de son avion endommagé ;  je l'ai gardée en témoignage.

Patrouille serre e
Mac Lachlan devant son avion (Coll. A. Jubelin)


André JUBELIN

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Date de dernière mise à jour : 20/04/2020

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