Les Mirages zaïrois
Je viens de regarder quelques petites vidéos, recues sur le web, et qui montrent comment sur l'aéroport de Kinshasa on arrive, en 2011, à utiliser sur des lignes régulières de vieux avions russes, entretenus plus que sommairement, et qui normalement devraient aller à la casse.
Et cela m'a rappelé des souvenirs datant de 1976 alors que nous essayions vendre des armes à l'Afrique et qu’une section du troisième bureau de l'État-major de l'Armée de l'air était chargée pour l'Armée de l'air de ces problèmes. Le président Mobutu venait de décider d'acheter 17 Mirage. Le président Kadhafi venait d'ailleurs d'en acheter 125 ainsi que des pièces de rechange pour plus d'un siècle. Des pilotes libyens, et zaïrois, ainsi que des mécaniciens de ces pays étaient entraînés sur la base de Dijon.
Je venais de passer deux ans en Polynésie comme chef des moyens opérationnels de l’atoll de Hao et j’étais un colonel pratiquement sans emploi. J'ai donc été affecté à cette section du troisième bureau pour m'occuper de cette affaire des Mirage zaïrois en attendant d'être affecté pour deux ans à Kinshasa comme chef de la Mission militaire s'occupant de cette opération.
Il y avait déjà à Kinshasa, à l'Ambassade de France un colonel de l'Armée de terre qui avait la fonction d'attaché militaire et qui ne voyait pas d'un bon oeil arriver ce concurrent d'une autre arme. Il y avait aussi un Lcl pilote de l'Armée de l'air.
Le Zaïre, qui n'avait pas encore d'avion d'armes, avait confié sur place l'entraînement de début de ses pilotes à l'Italie. Ils utilisaient des MB-326. Il avait en outre envoyé en France des jeunes gens triés sur le volet qui devaient commencer à voler sur Fouga Magister. Ces derniers devaient par la suite se mutiner : ils n'avaient pas été payés par leur ambassade. Et il s'est avéré que c'est au niveau de cette ambassade que leur argent avait été indûment retenu.
C'est dans ces circonstances que je suis envoyé au Zaïre avec deux autres pilotes. Muni d'un passeport diplomatique accordé par l'Ambassade parisienne du Zaïre, je vais donc passer une quinzaine de jours dans ce pays pour préparer l'installation de nos ressortissants. En effet, il était prévu que les Mirage soient stationnés au Shaba sur la base de Kamina. Je devais choisir une centaine de mécaniciens de l'Armée de l'air qui seraient volontaires pour assurer sur cette base la maintenance des appareils. Comble de ridicule, nous sommes envoyés en civil : qui trompe qui ? Certainement pas les Américains qui avaient déjà un oeil sur le Zaïre. Ce sont des décisions stupides prises par les jeunes énarques qui au Ministère de la défense dominent de tout leur orgueil des vieux généraux qui pourraient être leur père.
La base de Kamina, est située à une trentaine de kilomètres au nord-est de la ville de Kamina à un peu plus de 200 km au nord de Kolwesi. Elle avait toutes les caractéristiques d'une base de type OTAN (pistes de 2.400 m). Elle avait été abandonnée par l'armée belge en 1964. Il était prévu d'y regrouper les installations de maintenance des appareils ainsi que les moyens de subsistance du détachement français. Et tout le matériel de cuisine, pour le mess, et de couchage était déjà stocké en France. Je me suis par bonheur opposé à leur transfert immédiat sur le site.
Nous arrivons donc à Kinshasa où nous sommes remarquablement bien accueillis à la fois à l'Ambassade de France et par le chef d'État-major de l'Armée de l'air zaïroise. Pendant quelques jours que nous passons dans un hôtel luxueux, nous découvrons cette capitale. Il y règne une extrême misère. Dans la principale avenue du centre-ville, bordée d'immeubles modernes, nous constatons que les étals des vitrines sont vides, totalement vides. Impossible de trouver fusse une brosse à dents ou un tube de dentifrice. Peu de voitures particulières. Mais dans la cour de la présidence il y avait des dizaines de luxueuses Mercedes. Nous étions promenés dans l'une d'elles avec la climatisation poussée à fond et nous nous gelions sur les sièges arrière alors qu'à l'extérieur il régnait une atmosphère insupportable de hammam.
Nous sommes conviés à des visites et notamment à celle d'une aciérie située au bord du fleuve Zaïre à une cinquantaine de kilomètres au nord de Kinshasa.
Au cours des voyages d'études que j'avais effectués dans le cadre de l’École Supérieure de Guerre Aérienne (ESGA), j'avais visité des aciéries à Dunkerque et au Japon. Dans l'autocar qui nous amenait à cette visite, je constatais, avec surprise, que arrivé à une dizaine de kilomètres au sud du site, je ne voyais à l'horizon aucune fumée. Normalement pour faire de l'acier, il faut disposer de charbon et de minerai en grande quantité, et c'est pourquoi presque toutes les aciéries modernes sont situées près d'un port. Ici rien de tel à part la source d'énergie presque inépuisable que constitue le fleuve Zaïre (ex Congo). Nous traversons de grandes cités ouvrières presque désertes et nous arrivons sur le site.
On nous explique alors que l'acier est obtenu à partir de fours électriques avec des métaux de récupération. La construction de l'ensemble avait été confiée à des sociétés italiennes. Nous continuons la visite en passant des fours aux longues chaînes de laminoirs. Tout est silencieux, rien ne tourne. À l'extrémité des laminoirs des rouleaux de tôles entreposés. Il semble que les Italiens, après avoir fondu quelques vieilles voitures et sorti quelques kilomètres de tôle se sont faits payer et sont partis. En tout cas ce jour-là tout est arrêté.
Nous sommes souvent à l'Ambassade de France et nous constatons que la préoccupation principale des personnels, consiste à commander hors taxes des objets sur les catalogues de La Redoute et de feu la Manufacture d'armes de Saint-Étienne. Ils nous avaient demandé de leur ramener des objets de première nécessité et notamment des brosses à dent et des fromages.
Nous sommes également reçus à l'État-major de l'Armée de l'air dont le général et le chef d'état-major nous accueillent amicalement. Je me souviens d'une phrase de ce dernier, alors que nous étions attablés à une terrasse et qu'il dégustait une énorme chope de bière. Il me déclarait :
- « Nous avons rejeté tout ce qu‘avaient voulu nous laisser les Belges ».
D'ailleurs ils parlaient tous français et refusaient de prononcer le moindre mot de flamand. 38 ans se sont écoulés depuis ces événements et je ne voudrais pas massacrer le nom du général. Je l'appellerai par la suite le général X.
Il fallait bien en arriver à l'essentiel de notre mission qui consistait à aller apprécier l'état de la base de Kamina. Dans ce grand pays, presque coupé en deux par une zone de forêt tropicale peu habitée et sans voies de communication, l'avion est le moyen de transport obligatoire. Kamina est à environ 1300 km de la capitale et c'est avec le Mystère 20 personnel du président que nous nous y rendons. En dehors du général X et de son chef d'état-major, nous constatons parmi les passagers la présence d'une personnalité américaine.
Dès l'atterrissage et le retour au parking, nous sommes accueillis par les traditionnels groupes folkloriques. Je suis étonné de voir que le général X récompense les danseuses en leur glissant un petit billet dans le soutien-gorge. Nous passons au déjeuner sur la base et chemin faisant, j'ai eu la possibilité de constater que le plein du Mystère 20 était en train de se faire à partir de fûts de 200 litres et de pompe à main. Nous passons ensuite à la visite des installations :
- Nous visitons les hangars laissés par les belges 12 ans plus tôt et dans lesquels on devait installer les matériels techniques destinés à la maintenance deuxième échelon des futurs Mirage. On avait besoin pour cela d'installations électriques en bon état, de prises d'air comprimé etc. Hélas, les hangars avaient été pillés il n'y avait plus ni prise de courant ni robinets, ni rien.
- On m'affirme que la soute à carburant ainsi que les pompes sont en bon état. Pourtant j'avais aperçu que l'on faisait le plein du Mystère 20 avec des pompes à main ?
- Enfin je demande à voir l'état de la piste. Et là, horreur : elle est couverte de gravillons issus d'un revêtement en très mauvais état. Je fais part de mon étonnement au général X et je lui dis qu'il est impossible de faire décoller un Mirage d’une telle piste : le réacteur risque d'avaler des gravillons et d'exploser. Il me répond calmement :
- « Le revêtement de cette piste sera complètement refait dans 15 jours ».
Je recule un peu à l'intérieur du groupe de visiteurs et j'aborde l'ingénieur italien chargé des travaux publics. Il me dit que ces travaux ne seront pas réalisés car le cargo qui contient le bitume destiné à cette réfection est immobilisé dans le port d'Anvers car ils n'ont pas payé la facture.
Je rentre donc à Paris tout en étant destiné à passer deux ans à Kinshasa. J'avais déjà ma villa réservée là-bas et m'occupais des formalités pour y faire venir ma famille. Mais lorsque je rends compte en haut lieu des constatations effectuées sur place, on a décidé au niveau de l'État-major, et sans doute du constructeur Dassault, que je n'étais pas suffisamment coopératif. Je reste au sein de l'État-major de l'Armée de l'air pour suivre le début de l'opération tandis que, dans mon dos, on désigne un autre colonel à l'échine plus souple, qui lui restera deux ans là-bas et y gagnera ses deux étoiles.
Les 17 Mirage étaient en préparation chez Dassault et le président Mobutu les voulait à une date bien précise (peut-être son anniversaire). Comme ils n'étaient pas prêts à cette date, le constructeur a obtenu que l'Armée de l'air lui prête 17 Mirage quitte à faire l'échange par la suite. Ce sont donc 17 Mirage français, peints aux cocardes zaïroises chez Dassault, qui ont fait le voyage avec des pilotes français. Et au jour choisi, ils ont pu défiler sur Kinshasa.
Bien sûr je ne suivais cela que depuis Paris mais j'ai pu obtenir une coupure de journal que je ne peux m'empêcher de mentionner. Le président Mobutu s'est fait photographier dans le cockpit d'un Mirage et la presse, qui affichait la photo en première page le lendemain, typographiait en lettres de plusieurs centimètres de haut sa déclaration :
- « Nous sommes le premier peuple d'Afrique Noire à être supersonique »
Quelques semaines plus tard l'échange avec les vrais Mirage zaïrois s'est fait progressivement au fur et à mesure de leur sortie d'usine. Lorsque les nôtres sont rentrés en France il a bien fallu remplacer leurs cocardes par des cocardes françaises. J'ai demandé que le constructeur, qui était à l'origine de cette mascarade, procède à cette substitution. Il a refusé et ce sont des mécaniciens de l'Armée de l'air qui ont repeint les cocardes françaises.
Un autre détail mérite d'être mentionné : la commande des avions était accompagnée par une commande importante de pièces de rechange. Ces dernières ont été livrées sur l'aéroport de Kinshasa en une montagne de caisses. Pour les exploiter et les ranger il fallait avoir formé des techniciens capables de suivre par une gestion informatique le classement et la délivrance de ces pièces. Le Zaïre a envoyé en Belgique deux capitaines qui devaient être formés à cette gestion. Ils s'y sont trouvés tellement bien, qu'ils y ont pris épouses et qu'ils ne sont jamais rentrés au Zaïre.
Étant nommé à un autre poste, je n'ai pas pu suivre la fin de cette aventure mais je sais que les Mirage n'ont pas rejoint Kamina et sont restés sur l'aéroport civil international de Kinshasa. Leur carcasse s'y trouve peut-être encore ?
Enfin un autre fait mérite d'être porté à la connaissance de nos concitoyens : vu l'état de misère et de faillite de l'État zaïrois, je suis presque sur que cet achat a été financé par la COFACE (1) et donc par le contribuable français.
Maurice CAVAT
(1) COFACE (COmpagnie Française d'Assurance pour le Commerce Extérieur) : le Groupe Coface, un leader mondial de l’assurance-crédit, accompagne les entreprises, quels que soit leur taille, leur secteur d'activité ou leur nationalité, dans leur développement sur leur propre territoire et à l'international.
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Date de dernière mise à jour : 30/03/2020
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