Histoires de convoyages (1/2)

1er convoyage de 4 T-33 vers Singapour

Octobre 1980
Déjà 40 ans que je fus contacté par un ancien colonel me demandant si je serais intéressé par le convoyage d'avions T-33 « T-Bird ». À l'époque j'avais quitté l'Armée de l'air depuis 6 ans (certificats du PL en poche, pas de recrutement), alors, sans réfléchir 10 secondes, j'ai répondu oui. Le temps passe, puis début janvier 1981, un rendez-vous est pris à Paris, afin de rencontrer le vendeur des avions, de savoir où l'on met les pieds, ce qu'il faudra préparer, etc.

Mi-janvier, nous sommes à Paris avec deux autres camarades et nous apprenons que 20 T-33 sont destinés à Singapour et 12 autres pour la Thaïlande.

Départ de Châteaudun, avec du matériel prêté par l’Armée de l'air, les avions sous cocardes de Singapour (RSAG) et le choix de l'itinéraire en fonction des relations des pays à traverser et ce sans assistance. Les moyens seront la connaissance du matériel, la débrouille française et surtout les dollars. Il semble que la mission soit possible avec un 1er départ dans la 1ère quinzaine de février, il ne faut pas traîner. 
1 - Commander les cartes « Jeppesen » et les fiches de procédures des terrains. 
2 - Établir un itinéraire en fonction de l'autonomie de l'avion en carburant et en oxygène ainsi que des groupes de démarrage : Châteaudun, Solenzara*, Athènes*, Le Caire*, Djeddah, Bahreïn, Dubaï* (repos), Karachi*, Delhi, Calcutta*, Rangoon*, Songla, Singapour. 
* Ravitaillement en oxygène (O2).
3 - Recruter deux pilotes + un « spare », un mécanicien T-33 et un radio.
4 - Pour les formalités, la direction avait suivi les conseils d'un ancien officier qui avait pour mission de recueillir les autorisations de survol et d'atterrissage par télex. Nous avions formulé qu'un numéro diplomatique nous serait indispensable.
5 - Pour l'équipement des avions :
-    Leader et N° 3 : VHF + UHF, VOR-ILS et TACAN, 1 R/C, alticodeur ; 
-    Avions 2 et 4 : VHF + UHF, TACAN, 1 R/C. 

Le mécanicien se charge d'un peu de documentation, plus de raccords d'oxygène avec différents pas de vis. Le radio emportera un poste de secours VHF et du petit matériel.
Les autorisations nous arrivent petit à petit et les vols de contrôle après déstockage sont effectués à Châteaudun. Des pannes radio, VOR et fuites O2 sont réparées par l'Armée de l'air.
Nous apprenons que les escales à Solenzara, Athènes et Rangoon sont verrouillées. Pour la 1ère escale, tractations entre commandants de base, pour les autres, tractations avec les attachés militaires des ambassades. Il ne reste plus qu'à parfaire et attendre le feu vert, sachant que la mousson commence le 15 mai. 

L'aventure commence le 14 mars 1981.
Châteaudun - Solenzara : 2h00.
Météo : 3000 pieds et visi 5 km.
Décollage individuel, rassemblement des 4 avions puis montée en patrouille serrée (« PS »).
RSAF 909 est en l'air et contacte France Contrôle vers le FL 330.
1 transpondeur « HS ». Anecdote avec le contrôleur : « Alors on fait du commerce ? ».
Réponse : « Il faut bien vivre ».
Contact avec « Zara », percée puis atterrissage. Une heure d'escale pour remise en œuvre des avions et négociations avec les Italiens pour une montée directe sur le point de report. 

Solenzara - Athènes : 2h20.
Décollage et montée au FL 330, contact difficile en UHF, mais mauvais état de la patrouille : N°1, pas de pressurisation, N°2, panne d'alternateur, N°4, plus de VHF.
Arrivée à Athènes, percée à 4 avions, passage verticale terrain et atterrissage individuel.
Formalités effectuées et sortie aéroport vers 18h30. Taxi recherche d'un hôtel, etc. 

15 mars 1981
Athènes - Le Caire : 2h10.
Levé à 5h00, arrivée l’aéroport à 7h00. Olympic-Airways nous apporte son assistance et nous fait parvenir la citerne carburant. Pour l’O2 pas de basse pression, les raccords ne correspondent pas (visite à la base américaine, sans résultat), il faut procéder à une adaptation de fortune et nous arrivons, à faire le plein à haute pression sous notre responsabilité et avec grande précaution.
Le plan de vol est effectué. A 11H00, nous cherchons toujours une solution. Enfin, tout est prêt, mais la note O2 est de 800 $. 
13h00. Décollage, montée au FL 330, des cirrus apparaissent, le N°4 n'est pas en place et annonce sur UHF qu'il nous a perdu. Par recoupement et par description des îles, le contact est rétabli, 5 minutes après. Contact avec « Le Caire Control » en VHF, qui ne possédait pas de radar à cette époque, descente et passage vertical à 10.000 pieds, vent arrière et atterrissage individuel. Notre séjour au Caire commence. 
Nous avions demandé l'assistance d'Égypte Air, nous l'attendons encore.
Les N°1 et 3 vont au contrôle pour le plan de vol et renseignements divers. A 16h00, formalités d'usages, suspicion de l'immigration (des civils français sur des avions Singapouriens ...). Par malchance à ce même moment arrivée d'un liner avec 300 pax. Attente interminable, transbahutés de bureaux en bureaux pour remplir les innombrables formulaires, les visas, etc. A 19h00, enfin, nous sortons, non sans avoir été inspectés minutieusement, un par un, par des fonctionnaires sourcilleux. Contact avec l'Office du tourisme local, les hôtels proches de l’aéroport sont complets, ce n'est pas gagné, enfin, tout s'arrange.

T33 1

16 mars 1981
Le Caire - Djeddah : 2h20.
Arrivée à l'aéroport vers 6h30, il est, aussi, difficile d'entrer que de sortir, après 1h30 de palabres, à 8h00 nous sommes, enfin au pied des avions.
Décollage prévu à 9h00, seulement nous n'avons pas d'assistance (carburant, O2 et groupes de démarrage). Visite à Air France où nous expliquons la situation. Le directeur est sceptique, mais nous fournit un agent et matériel, sans O2. Visite à Égypte Air qui nous vend 2 bouteilles d’O2, mais bien entendu, les raccords ne correspondent pas. Recherche sur un tas de ferrailles, nous avons perdu 2 h, dépôt d'un nouveau plan de vol et paiement des taxes diverses. Entre temps les contrôleurs aériens se sont mis en grève pour la 1ère fois !
À l'écoute sur VHF, la demande de mise en route est réclamée et nous sommes N° 12 avec un espace de 15 en 15 minutes, soit 3 h d'attente. Pas question de garder le groupe de démarrage à 300 $ de l’heure. Certains commandants de bord, en attente depuis 30', menacent de débarquer leurs passagers, en bout de piste. 
Nous annulons le vol, et après des formalités un peu longues, il nous faut trouver un hôtel possédant un télex. 

17 mars 1981
Une journée folle débute, étape prévue Le Caire - Djeddah : 2h20.
Arrivée à l’aéroport à 06h30, contact avec Air France qui par des chemins détournés mais efficaces nous fait entrer dans l'enceinte aéroportuaire. A 08h00, nous sommes à pied d'œuvre, nous apprenons qu'il y a une amélioration dans la grève du zèle. Les taxes et l'assistance sont réglées, par contre il est nécessaire que le mécanicien et le radio changent d'avion à cause de l’O2 qui est à moitié. A 08h30 nous sommes à l'écoute radio pour la demande de mise en route, nous n'avons qu'un seul groupe pour les 4 avions, il faut bien compter 15 minutes si tout va bien et sans faux démarrage. Demande refusée. 
11h00, enfin, mise en route autorisée pour un décollage rapide, le N° 1 met en route, puis le N° 2 termine la sienne quand la tour de contrôle (« TWR ») ordonne le roulage immédiat, les autres sont en attente du groupe. Palabres pour gagner du temps, rien n'y fait, il faut rouler. Les 2 premiers avions roulent fort lentement sur le taxiway avec un espacement important. Menaces de la « TWR » qui impose de rouler plus vite, sinon, retour au parking. Le N° 3 roule, la « TWR » s'impatiente, il faut accélérer le mouvement, enfin, le N° 4 quitte le parking, le mécanicien saute sur l'aile de façon acrobatique et s'installe sur son siège. C'est la course poursuite sur les taxiways, mais nous saurons plus tard, qu'Air France n'avait jamais vu ça !! L'alignement est effectué, sans arrêt, avec décollage immédiat, les N° 3 et 4 sont encore loin. Actions vitales partiellement exécutées, le N° 1, dans la précipitation, oublie de sortir les volets, mais la piste est très longue. 
Manœuvre pour rassembler tout le monde en montée au FL 330. Contact avec « Le Caire Sud » qui nous demande notre N° d'atterrissage à Djeddah ! Il est peut-être dans le dossier ? Déjà nous pensons que des problèmes se préparent à notre arrivée.
Traversée de la Mer Rouge, mise en descente puis atterrissage à Djeddah. On nous trouve un parking isolé au fin fond du terrain (4 km). 
Des commandos armés jusqu'aux dents nous entourent et nous autorisent, enfin, à descendre de nos avions et de ne plus bouger. A 03h00, on nous conduit vers le contrôle, les 2 autres resteront 2h00 aux pieds des avions (45° à l'ombre) et sous bonne garde. Que se passait-il, alors ? 
Air France ne veut pas nous assister (pas d'ennui avec l'Arabie), car suite à notre télex du Caire demandant un soutien technique, il a été ajouté par un employé zélé : « méfiance, affaire bizarre ... ». Nous trouvons une compagnie suisse sympathique qui nous vient en aide spontanément. 
Comme nous le pressentions, notre N° d'atterrissage n'a rien à voir avec le N° d'accord diplomatique. Complications, nous volons sous l'indicatif « REP.SIN.AIR-FORCE » et quand nous sommes arrivés, une patrouille « ROYAL SAOUDI AIR FORCE » était en vol, confusion à la « TWR » lors de notre passage vertical, ce n'étaient pas les mêmes avions. Les autorités sont sur les dents, violation des frontières par des appareils militaires, nous paierons 1000 $ d'amende pour cette pseudo-infraction. 
Le commandant de !’aérodrome, en partance pour Paris, arrive pour démêler cette affaire. Il est contrarié et fort soucieux, car il avait déjà un pied dans l'avion. Après maintes palabres, nous avons le choix entre : être mis sous surveillance à l'hôtel et départ le lendemain, ou expulsés immédiatement, après avoir signé une décharge, comme quoi nous nous engageons à ne pas nous reposer en Arabie-Saoudite. 
Il est 17h00 locales (nuit à 18h00). La remise en œuvre des avions demande plus de 2h00, d'où un décollage de nuit vers Djibouti. 4 avions à rassembler dont 2 sans moyen de navigation et radio HS ... Il faut discuter, palabrer et le commandant de l’aérodrome connaissant notre prochaine destination : Bahreïn (émirat estimé assez dur), téléphone à son collègue pour renseignements. Nous attendons, le temps passe, puis la sonnerie retentit. Le dialogue s'engage et l'on peut voir un net soulagement dans la voix, suivi d'un soupir… Revirement, nous sommes autorisés à rester jusqu'au lendemain 11h00 et consignés à l'hôtel Sheraton. 
Après renseignement du côté des pétroliers, ces derniers veulent être payés en rials, mais après avoir payé l'assistance suisse, les parkings, les navigations, et l'amende, plus la plaisanterie du Caire, les liquidités en dollars nous font défaut. Par bonheur, une grande banque est encore ouverte et nous nous présentons au caissier six « Traveller's » de 1000 $ chacun. Ces derniers sont signés par le commanditaire devant et derrière, mais la signature du passeport ne correspond pas. Notre transaction est refusée, encore une erreur. 
Retour à l'hôtel et envoi de télex à Paris pour rendre compte de la situation. Pourparlers avec la Direction afin de changer le mode de paiement, téléphone avec Paris, la réponse est, non. Il faut réfléchir et agir. Le lendemain je téléphone à un attaché militaire de l'Ambassade de France (un ami m'en avait donné le nom au cas où et c'est vraiment le cas. Exposé de la situation avec scepticisme de la part de l'ambassade, qui se renseigne auprès du Quai d'Orsay. Que font six Français à Djeddah, sans que nous le sachions ? Alors que les télex ont été envoyés à toutes les ambassades et consulats. 
Rendez-vous est pris avec le directeur de la banque de Suez. Ce dernier se trouve être le frère d'un pilote passé au 1/7 « Provence » quelques années plus tôt. Cela arrange bien les choses. Il accepte, après avoir eu la certitude, de nous changer 5000 $. Retour à l’aérodrome, il est midi. Décollage à 13h00, avec le peu d'oxygène qui nous reste. 

18 mars 1981
Djeddah - Bahreïn : 2h20.
Décollage, puis montée en patrouille serrée. Quelques « cunimbs » nous obligent à des déroutements, puis descente et atterrissage à Bahreïn, RAS.
Quelques petits problèmes à la sortie de l’aéroport et sitôt à l'hôtel, télex à Paris pour instructions sur les « Traveller's » et le moyen d'avoir du « cash » en dollars. Un transfert d'argent sera effectué dans les 24 h dans une banque.
Que faire durant 24 h ? L'un d'entre nous revient après avoir échangé un « Traveller » sans problème. Aussitôt nous parcourons la ville et les officines de change qui sont moins strictes. Nous réussissons à obtenir 20.000 $ avec une légère perte. Le 19, pas de nouvelle des dollars transférés. Le 20, tout arrive. Un détachement se rend à la banque, l'autre à !’aéroport afin de préparer le vol suivant.

T33 2

20 mars 1981
Bahreïn - Dubaï : 1h00.
Décollage à 13h00, montée FL 330, et rassemblement sans problème, puis descente et atterrissage à Dubaï, où de gros ennuis nous attendent. Il nous faut trouver un « sponsor » afin de quitter l’aéroport. Le consulat est fermé pour cause de week-end. Le téléphone chauffe entre Paris et le consul afin d'obtenir un visa de 3 jours. En fait nous allons attendre 11 jours le N° d'accord pour Karachi. Pourquoi ? Je vais vous le dire. La Marine américaine effectuait des manœuvres dans le Golfe de Karachi et débarquait de l'armement pour l'Afghanistan. 
Entre temps il fut nécessaire de vidanger les bidons, dont les pétroliers ne veulent pas reprendre le carburant. Plus de visa, deux pilotes veulent rentrer, ça fuit de partout, plus d'02. Nous demandons à Air France de nous en fournir, réponse négative, elle n'en a pas. Pour finir direction l'hôpital pour acheter deux bouteilles, afin de refaire les pleins, nous laisserons lesdites bouteilles vides sur place. 

31 mars 1981
Le N° d'accord arrive, enfin, pour Dubaï - Karachi - Delhi. Mais déjà les difficultés apparaissent pour obtenir un départ en IFR (pas de HF). Enfin nous concluons pour une montée en VFR au FL 330. Il ne nous reste que 2 VHF et 2 UHF utilisables, mais pas sur les mêmes avions. R/C inopérant avec les « cunimbs ». Nous arrivons sur Delhi, après 4h40 de vol, par l'itinéraire normal, alors que nous aurions dû prendre un itinéraire obligatoire donné par les militaires, grâce à un message : jamais reçu. 

1er avril 1981
Delhi - Calcutta : 2h20.
Le chef d'escale d'Air France nous aide au maximum. Nous avons un N° d'accord militaire avec une heure de passage précise. Mais problème avec la citerne, nous trouvons de l'02 uniquement en haute pression et sans embout adéquat. Le règlement est effectué, mais il y a 2 $ que le caissier tient absolument à rendre. Enfin, après deux reports de plan de vol, nous arrivons à décoller, avec des « cunimbs » partout. C'est la joie avec 4 avions là-dedans, nous nous distinguons à peine ! Nous nous posons à Calcutta dont nous mettrons 5h00 pour sortir de l'enceinte de l’aéroport. 

2 avril 1981
Calcutta - Rangoon : 1h55.
Arrivée à l’aéroport vers 06h00, nous devons attendre la police, la douane pour les scellés sur les avions, afin que le plan de vol soit accepté. Il doit être signé par le « Météo », douane et police, chef d'aérodrome ... 5h00 de formalités diverses. 
Arrivée à Rangoon en milieu de l'après-midi, vers 13h30, les formalités se règlent à coup de « bakchichs ». La température locale oscille entre 45° et 50° avec un taux d'humidité de sauna. Dès 15h30 nous pouvons décoller, record absolu de remise en œuvre. Il faut régler la note en monnaie locale, pas en dollars. Donc direction la banque pour le change, mes poches de combinaison ne sont pas assez grandes pour la masse de billets correspondante.

Rangoon - Hat-Yai (sud Thaïlande) : 2h20.
Nous sentons que le but approche et que notre passage a été programmé. Nous sommes attendus et nous réglons 800 $ pour toute l'assistance technique avec en plus un chauffeur et un garde du corps. 

3 avril 1981
Rangoon - Singapour : 2h30.
À 07h00, nous sommes à l’aéroport, aucune formalité, parfait.
Vol sans histoire. À l'arrivée à Singapour, percée au milieu des « liners », puis passage en « box » et atterrissage individuel. Les formalités de douane, immigration sont menées promptement et nous pouvons récupérer nos équipements (casques, parachutes, transpondeurs). Remise des documents et signature des contrats. Retour sur la France afin de préparer le prochain convoyage. 
Ici s'achève ce convoyage épique, pleins de rebondissements, ce fut quand même une belle aventure.

Conclusion
Ce 1er convoyage fut une expérience hors de ce que l'on pouvait connaître avec !'Armée de l'air. Des situations mondiales nous ont été défavorables, les suspicions, la non-coopération des services locaux ou étatiques, plus les pannes radio, le manque d'oxygène, la météo, etc.. ont fait que nous parvinrent à Singapour après 21 jours de galère, en un peu plus de 24h00 de vol avion effectif, (voyage qui s'effectue aujourd'hui en 18h00, en vol direct avec Singapore Airlines en A 380). 
J'ai volontairement occulté les problèmes liés au ravitaillement du personnel, course aux boissons, repas non pris, hôtels à trouver, températures de à 35° à 50° en tenant compte, aussi, de la moiteur des lieux visités. 
Notre mécanicien joua un très grand rôle aux différentes escales, surveillant les pleins carburant et jouant avec les accessoires défaillants ou introuvables, le système « D » bien en vigueur dans la mécanique française a encore une fois démontré le savoir-faire de la débrouillardise de notre mécano. Il sut jongler avec les groupes de démarrage afin d'assurer, dans le temps, les mises en route, souvent acrobatiques. Il a de même, assuré les différents dépannages, lors des trois pannes sérieuses survenues lors de ce convoyage. 
Pour les convoyages suivants, nous utiliserons les appellations et codes français (F-GDWE) et les équipages s'habilleront en pantalon bleu, chemise blanche avec galons. Pas un convoyage ne se déroulera de la même façon, avec tant de problèmes et d'anecdotes. Pour rallier Singapour, 8 jours nous suffiront désormais. La totalité des avions (32) sont arrivés à destination. 
Pour moi même ce fut une grande satisfaction.

2ème convoyage de 4 T-33 vers Singapour

Nous nous préparons à repartir et nous pensions qu’avec les immatriculations françaises et en tenue pantalon bleu et chemise blanche cela serait plus aisé… pas du tout !

17 avril 1981
Châteaudun - Solenzara
Après le décollage de Châteaudun et transférés à France Contrôle, les deux transpondeurs ne ressortent pas. Retour et verticale terrain, ça refonctionne !
Passé Saint-Tropez le poste VHF n° 1 tombe en panne. Quinze minutes après France Contrôle nous annonce que Solenzara est rouge météo et nous annonce 600 à 800 m de visibilité et 200 ft de plafond.
Contact avec Zara, tous les moyens sont bons.
Pas de problème, nous continuons, car faire demi-tour sur Istres nous poserait quelques problèmes.
L’Approche de Zara va nous faire percer deux par deux. Échange radio avec le contrôleur : 
« Quels sont vos minima ? »
« Ce seront les vôtres ! »
Confiance de part et d’autre.
Le contrôleur GCA nous a amené vraiment sur la piste. Bravo l’Approche et merci.
En fait la visibilité était aux alentours de 600 m et le plafond de de 100 / 150 ft…
Remise en œuvre et changement de VHF pour le leader.

Solenzara - Athènes
Décollage avec une visibilité de 1200 m et 200 ft de plafond. Ciel bleu au-dessus. La VHF du N° 4 tombe en panne, le N° 3 a des coupures. À l’escale, le radio réussira à réparer 2 radios avec les 3.

18 avril 1981
Athènes - Le Caire : 2h15
Après 1h30, la VHF du N° 1 retombe en panne, le N° 3 reçoit 1 fois sur 2 et le N° 4 est muet …
Seul le N° 2 peut trafiquer, mais sans moyen de navigation. Il faut lui transmettre les HEA, FL et les points qu’il retransmet à Cairo Control (facile …) et vice-versa. Transférés à l’Approche, sans radar, nous faisons une verticale du terrain à 12.000 ft, vent arrière puis atterrissage.

Au parking nous faisons le point. Il n’est pas possible de continuer avec un seul poste VHF pour quatre !
Après contact avec Air France, il nous faut trouver un hôtel avec télex. Nous voudrions deux postes VHF King ou Narco multifréquences, transistorisés, avec les schémas de montage. La réponse dans les heures qui suivent est positive (« Possible, nous nous en occupons »).

Dans l’après-midi un sérieux vent de sable arrive qui peut durer 24 / 48 heures ou plus.
Pour acheminer les colis, Air France nous communique les heures d’arrivée et les modalités douanières. Surtout mettre les colis en bagages sinon nous risquons d’attendre 3 ou 4 jours et re-télex à Paris.
Bien sûr nous visitons Le Caire (pyramides, musées, etc.). Le vent de sable ne se calme toujours pas et le 22 le télex tombe « Colis dans l’avion, arrivée 12h45 ».
J’accompagne le radio pour réceptionner le colis. Déception, il est en soute, donc douane (m…)
Pas de panique, nous allons chercher les 2 postes en panne et avec l’aide de l’agent d’Air France nous faisons l’échange. Ni vu ni connu, à part le volume. Le lendemain nous viendrons dédouaner avec 99 dollars en plus.

Le 23 au matin, le radio s’attaque au montage, un fer à souder branché sur la batterie et tout va pour le mieux. Les essais avec la tour de contrôle sont satisfaisants mais, surprise, ce sont des micros pédale, pas de montage possible sur les masques à oxygène, il faudra les dégrafer … et les avoir souvent dégrafés !
Dure journée, car il n’est pas aisé de rentrer et de sortir plusieurs fois de ces aéroports.
Taxes réglées, chères, pétrole et dépôt du plan de vol.

24 avril 1981
Le Caire - Djeddah : 2h05
Pendant la mise en route (tranquille cette fois) nous voyons des C-130 US décoller. Nous comprendrons plus tard à Dubaï…
Arrivée sur Djeddah vers 12h00, nous n’avons pas de problème particulier avec nos indicatifs OACI, seulement un peu de méfiance. Remise en œuvre, nous savons où nous adresser, mais les tarifs ne sont pas les mêmes.

24 avril 1981
Djeddah - Bahreïn : 2h10
RAS.

25 avril 1981
Bahreïn - Dubaï : 1h00
Décollage à 09h00 et atterrissage à 10h00. Brume sur tout le trajet. Escale laborieuse et usante. Nous sommes une fois de plus indésirables. D’après le commandant d’aérodrome, ça sent la magouille, nous voulons leur cacher quelque chose, vu que le raid américain sur l’Iran a échoué (les C-130 vus au Caire).
Les autorités sont sur des charbons ardents et nous le font comprendre en nous demandant de partir une fois la remise en œuvre effectuée, et puis contrordre, nous pouvons rester ! Mais c’est la veille du week-end et l’ambassade ne veut pas nous sponsoriser. Trop de pourparlers pour passer si peu de temps à Dubaï ! Alors nous sommes bloqués en transit jusqu’au lendemain matin.
Nous contactons Air France et décidons d’un décollage à 05h00.
Nous parvenons à somnoler, même avec tous les bruits des haut-parleurs, les appels, et qui plus est, Air France a perdu un passager ! À 03h00 nous faisons les pleins, nous réglons tout et envoyons un message à Delhi.

Dubaï - Karachi : 1h55
La formation, à cause des événements, est resserrée ; nous longeons les côtes d’Iran et la surveillance est accrue.
À Karachi nous sommes garés aux extrémités d’un immense parking. Beaucoup de marche en perspective. Pour le plan de vol nous devons négocier car nous n’avons pas de HF. Nous partirons en VFR au FL 330, puis ferons un relais radio avec Multan, puis passage obligatoire avec les militaires indiens et cela à l’heure prévue.
Pour le pétrole nous devons déplacer les avions à la main (sans barre de tractage) vers un point d’avitaillement car le camion-citerne ne se déplacera pas. Remplissage à l’aide d’un seul pistolet d’où un temps fou, 4h00 de remise en œuvre, ce qui imposera de nombreux reports du plan de vol.

26 avril 1981
Karachi - Delhi : 2h05
Nous sommes en vol et des cunimbs apparaissent après le désert depuis 25.000 ft jusqu’à 50.000 ft environ.
Nous volons dans les cunimbs en patrouille serrée et toujours pas de relais radio avec Multan. Nous passons la frontière à l’heure et à Delhi nous sommes obligés de faire une finale ILS (2 km de visibilité). Espacement pris pendant le virage de procédure sans perte de visuel pour le n° 2 et le n° 4 (qui n’ont ni VHF ni ILS …).
La température au parking est de 45° C.
Formalités et visite à l’hôtel car nous n’avons dormi qu’environ 3h00 en 36h00 !

27 avril 1981
Delhi - Calcutta : 2h15
Debout à 04h00 car nous avons rendez-vous avec l’agent Air France à 05h30. Les formalités sont toujours difficiles, mais le pétrole, l’oxygène et le groupe de démarrage sont un vrai casse-tête. Tout réglé, nous décollons vers 10h00. Les cunimbs sont déjà formés. À l’arrivée, Calcutta nous demande un espacement d’altitude de 1000 ft par avion … pas question ! Après le virage, alignés sur l’ILS nous gardons le contact visuel entre nous. En courte finale certains ont dû faire une sérieuse baïonnette. Même cavalcade pour les formalités de douane et de police.

27 avril 1981
Calcutta - Rangoon : 01h55
Décollage vers 15h00, nous avons tout juste le temps de rejoindre Rangoon avant la nuit. Dans les cunimbs ça tabasse fort et après 40 minutes nous sortons en ciel clair et nous pouvons nous décontracter.
Arrivée au soleil couchant complétement déshydratés. Manque de boisson et chaleur …

28 avril 1981
Rangoon - Hat-Yai : 2h15
Beau temps, break et atterrissage. Escale facile avec forfait d’assistance.

28 avril 1981
Hat-Yai - Singapour : 1h40
À part une demande d’information d’un liner au large de Georgetown tout est OK. Nous ne sommes pas en cause, il s’agit d’une erreur du contrôle.
À l’arrivée la piste est en travaux, d’où un atterrissage de précaution.
Le matériel est débarqué par les petites fourmis.
Les postes VHF montés au Caire ont très bien fonctionné (sauf la gymnastique pour respirer et parler …).
Retour deux jours après et pour préparer le convoyage suivant …

3ème convoyage de 4 T-33 vers Singapour

Vu que les 2 postes VHF fonctionnent bien (avec le montage dans le masque à oxygène en plus) nous préférons prendre un 5ème pilote car ce sera plus aisé pour les procédures.
Mauvaise météo sur tout le trajet. Les cunimbs nous obligent à 6h00 de patrouille serrée. Perte du n° 4 que nous récupérerons à la sortie d’un cunimb (sans moyen de navigation ni de VHF). Il était 1 NM devant nous et 1000 ft plus haut !
À Hat-Yai un bouchon de tip tank n’a pas été correctement fermé, ce qui oblige le pilote à se reposer avec les pleins complets et à rassembler ensuite.
Atterrissage à Singapour après 9 jours de convoyage.
La ligne est ouverte, mais l’époque est tardive dans la saison de la mousson et nous ne repartirons pas cette année.
C’était vraiment exténuant au sol et pas facile en vol.
Les formalités ont été les mêmes, tracasseries de la part des autorités … mais merci aux dollars !

4ème convoyage de T-33 Vers Singapour (janvier 1982)

Nous repartons pour la 4ème fois, avec trois nouveaux pilotes.
En plus des nombreux problèmes au sol nous avons eu également des avaries mécaniques.
À Solenzara les deux manomètres d'oxygène tombent en panne ! Nous obtenons du chef des Moyens Opérationnels (après tergiversation) l'autorisation de nous en occuper.

À Athènes
Avec une arrivée tardive nous entrons dans la couche à 8.000 ft en oubliant les lumières cabine…
Dans la nuit noire il est difficile de changer la fréquence radio (postes non éclairés) et pas de lampe !

Au Caire
Tous les liners sont sur la même fréquence !
Nous sommes au FL 330
Avec 2 liners au-dessus.
Enfin à 2 minutes de la verticale terrain nous sommes autorisés à descendre pour une vent arrière à 12.000 ft !
Manette des gaz réduite, aérofreins sortis nous élargissons un peu le circuit afin de s’espacer en finale… Atterrissage, ouf !

À Karachi
La voiture d’oxygène tombe en panne d'essence d'où du retard pour la frontière indienne.

À Calcutta : grève des pétroliers, nous n'obtiendrons la citerne qu’à 17h30 - à la nuit et sous une tempête de moustiques.

Après Rangoon vers Hat-Yaï
Bien installés au niveau de vol et au-dessus du golfe de Thaïlande, notre n° 4 amorce une descente et s'éloigne de la formation … et pas de contact radio sur l’UHF. Il est à la limite de la perte de contact visuel.
Le n° 3 est chargé de le récupérer et de le ramener. Nous sommes également en descente pour être à sa hauteur.
Nous le ramenons au break et à atterrissage.
La situation est que, après analyse avec le pilote (encore tout chose), la génératrice a dû lâcher.
Ayant averti les autorités, ces dernières nous font parvenir un groupe de démarrage, ce qui nous permet de mettre en route l’avion en panne ainsi qu’un autre.
L'arrêt turbine est catastrophique pour l'un et normal pour l'autre.
De plus des étincelles sortent du réacteur.
Le lendemain matin nous constatons que le réacteur est bloqué, l'éprouvette n’ayant pas cassé !
Le mécanicien se met à l'ouvrage et avec notre aide tombe la (lourde) géné. 
Essai du réacteur sans géné. Très bien.
Que faisons-nous ? Attendre une géné de France il y en a pour 15 jours. Laisser l'avion et revenir le chercher, impensable. Nous décidons de faire la dernière étape.
Pleins complets de l'avion, changement de sa batterie pour éventuellement le transfert des réservoirs d’aile et lors de l’atterrissage. La génératrice est sanglée sur le siège arrière et en voiture … pour Singapour !

À Singapour
Lorsque les mécaniciens singapouriens s'aperçoivent qu’une génératrice est sur le siège arrière, c'est une trainée de poudre sur le parking.
Et par des gestes nous fout comprendre que nous sommes fous les Français !
Fous, non, mais beaucoup de chance au-dessus du Golfe !
Bien sûr les autorités ne veulent pas signer le certificat d'acceptance, sauf si nous ramenons une dernière livraison.
Merci et au revoir et débrouillez-vous pour votre matériel !
Nom eu avons l’habitude.
Retour le plus vite possible.

5ème et dernier convoyage de 4 T-33 vers Singapour (février 1982)

À Solenzara un avion est en panne de pressurisation et devinez ? C'est le même pilote que lors de la panne géné !
Après vérification du joint de verrière nous découvrons une fuite en place arrière.
Après un vol de contrôle : la température est bonne mais la pressurisation ne tient pas !
Nous décidons de continuer en changeant de pilote tous les 2 vols.

À Dubaï
Il pleut … (ce qui arrive d’ordinaire une fois par an), nous perçons à 4 avions.

À Karachi nous partons sous des trombes d'eau et complètement trempés. Nous sommes autorisés après le rassemblement à monter directement sur MULTAN (point donné par l'armée indienne).

À Delhi
Les pleins sont très, très long … retard !
Nous décollerons 2 par 2 vers Calcutta où la douane nous attend pour les scellés sur les avions.
Des pilotes de MiG-21 viennent nous saluer et parler.

À Calcutta
En vol vers Rangoon nous survolons le delta du Gange (inhospitalier) et le pilote de l’avion en panne de pressurisation est fatigué et son oxygène diminue rapidement.
À Rangoon les formalités (aidé par le consul de France) sont rapides. D'où la possibilité de déguster quelques sandwiches agrémentés d’une bonne bière (rare !)

À Singapour
Passage verticale à 4 avions suivi d'une arrivée au break.
Voilà, tous leurs avions ont été livrés sans oublier une génératrice.
Les documents ont été signés par les autorités et nous ne sommes pas mécontents de rentrer ! Épuisant…
 

Christian PILEAUDEAU

La suite est à lire ici : Histoires de convoyage (2/2)

Date de dernière mise à jour : 17/09/2022

Commentaires

  • Christian Pileaudeau
    • 1. Christian Pileaudeau Le 14/03/2022
    Bonjour à tous. Je raconterai plus tard les 3 derniers convoyages sur Bangkok très difficiles. Amitiés à Angel Bélinghéri et tous les autres que je n'ai pu nommer.
  • René Aulio
    • 2. René Aulio Le 13/01/2022
    Très intéressant ce récit de convoyage ; j'étais aussi à cet Escadron de Convoyage de 1975 à 1981 comme mécanicien et je me souviens encore des convoyages les plus fréquents effectués de Châteaudun vers l'Afrique ou Madagascar pour y conduire des Skyraider AD-4. Les pilotes étaient "coincés" dans l'habitacle parfois 6 ou 7 heures de vol, sans PA , sans confort quoique le poste de pilotage était quand même plus vaste que d'autres chasseurs. Nous, les accompagnants mécanos ou pilotes spare, passions le temps dans le cargo du Noratlas à jouer aux cartes, dormir ou manger ! Belle époque et bons souvenirs.
  • Angel Bélinghéri
    • 3. Angel Bélinghéri Le 09/12/2021
    Merci à Christian pour ce récit bien vivant qui nous ramène quelques années en arrière... J'ai eu la chance de participer en tant que pilote aux convoyages de ces T33 sur la Thaïlande en 82/ 83. Il est vrai que les précédents sur l'Indonésie avaient bien défriché le terrain.
    Le dernier convoyage sur Bangkok a bien failli virer au drame. Au décollage de Châteaudun, par une météo exécrable et un plafond très bas, le N°4 a perdu toute sa génération électrique et c'est sans instrument VSV qu'il est parvenu à passer au-dessus de la couche nuageuse.
    Sans radio et ne pouvant contacter personne, il a effectué des triangles de détresse. Se préparant à une éjection inéluctable, il fut rejoint in-extremis par un Fouga de Clermont qui l'a ramené au sol. C'est à Solenzara où il nous a rejoint le jour suivant que nous avons appris les péripéties.
    Dans le cadre des anecdotes, notre arrivée à la base de Bangkok avec les 4 premiers T33 fut mémorable, colliers de fleurs, champagne et accueil très sympa.
    Aux autres arrivées, personne, au point que nous ne savions même pas où nous parquer !!!
    Pour avoir passé 10 ans au sein de l'escadron de convoyage à Châteaudun, j'ai participé à de nombreux convoyages mais ceux-ci n'avaient rien de commun avec ces aventures, car pour la logistique il a fallu se débrouiller seuls…

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