Les aventures du Lieutenant X

Maintenant, nous allons encore remonter le temps. Ce sera en 1936, la guerre d'Espagne vient d'éclater. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, mon père était un très bon tailleur sur mesure et il avait une clientèle d'aviateurs de la base de Pau. Parmi ses clients, il y avait un lieutenant de réserve qui, dans le civil, était représentant d'une grande marque d'apéritifs, mais qui faisait ses périodes de réserve à Pau en allant suivre son entraînement au hangar qui est en train de pourrir, sur un brave Potez 25 moteur 450 CV, biplan.

Un beau jour, on le convoque, ce brave lieutenant, et on lui dit :

- « Cela ne vous intéresserait pas d'aller au Bourget faire votre entraînement sur bimoteur Potez 540 ? »

Vous pensez si le lieutenant était content : pour un réserviste, faire du bimoteur, faire du Potez 540, c'était une sacré promotion. Et voilà donc notre brave lieutenant qui va au Bourget. 15 jours d'entraînement ; tout se passe bien. Il est ravi, il est content.

Au bout des 15 jours, on lui dit :

- « Voilà. Pour terminer votre stage, il y a là un Potez 540 à convoyer à Perpignan. Si vous voulez, cela vous fera encore faire deux heures de vol de plus ».

Il est enchanté. Il accepte. Il n'y a que deux choses qui l'inquiètent un peu… C'est que, d'une part, on lui dit :

- « Vous vous mettez en civil ».

Et deuxièmement, il constate que l'avion qu'il doit convoyer ne porte aucune marque, aucune immatriculation, aucune cocarde. Alors il se renseigne, quand même un peu inquiet, et on finit par lui dire :

- « Oui, voilà, c'est un avion que la France livre aux républicains espagnols. Alors vous l'amenez à Perpignan. Vous êtes en mission. Et à Perpignan, les pilotes espagnols viendront le chercher ».

Ah ! Oui ! Mais c'est qu'à Perpignan, point de pilotes espagnols. Il y a simplement un représentant du gouvernement espagnol, qui dit :

- « Voilà, si vous amenez l'avion à Barcelone, il y a pour vous une grosse prime. Et de toute façon la guerre se passe beaucoup plus au sud, vous ne risquez rien en amenant l'avion à Barcelone ».

Alléché par la grosse prime il accepte. On lui présente un papier écrit en espagnol, il ne fait pas gaffe, il signe et, en avant, il amène le Popo 540 à Barcelone où, effectivement, tout est calme. Arrivé à Barcelone, on lui dit :

- « Bon maintenant, c'est très bien, voilà votre équipage espagnol et vous mettez le cap sur Madrid. »
- « Pardon ? Non ! Je me suis engagé à convoyer l'avion à Barcelone... »
- « Ah ! Non ! Regardez le papier que vous avez signé. Vous avez signé un contrat de six mois dans l'aviation républicaine espagnole. Bien entendu un, très gros salaire ».

Il dit :

- « Non, moi je suis français, je vends des apéritifs à Pau ».

Les Espagnols lui disent :

- « Monsieur, pour nous c'est très simple : si vous refusez, on vous fusille ».

Potez 540 republicain
Potez 540 républicain

Et voilà comment un brave lieutenant se retrouve sur le front de Madrid avec son Popo 540. Il finit d'ailleurs par se faire descendre par un chasseur italien. Il s'en tira sans trop de dégâts. Et, bien entendu, les six mois passés, il s'empressa de déguerpir pour rentrer en France.

Et en 1939, quand on voulut l'envoyer au front, il leur dit :

- « Moi, la guerre, je viens de la faire, j'en sors. Vous m'avez trompé une fois, vous ne me tromperez pas deux fois. J'irai finir la guerre quand tous les gars d'activé y seront allés ».

Il fit une guerre 39-40 tranquille à Bordeaux-Mérignac, où il promenait au dessus du bassin d'Arcachon des élèves-officiers observateurs.

Et voilà comment, pour avoir signé un papier sans regarder, le Lt X se retrouva combattre en Espagne.
 

Jean ADIAS

Date de dernière mise à jour : 22/04/2020

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