Le paysan anti-aérodrome

Il faut remonter à l'ère des pionniers de l'aviation pour comprendre l'histoire d'Augustin Heurtebise. Avant la première guerre mondiale, le fermier guyancourtois a mené une bataille juridique contre les aérodromes avoisinant afin de savoir à qui appartient l'air, ce que l'on appelle aujourd'hui l'espace aérien.

Le plateau de Saclay était un lieu prisé des débuts de l'aviation, les grands noms de l'histoire y ont fait bâtir leurs écoles de pilotage : les frères Farman à Toussus-le-Noble, Borel à Châteaufort et Esnault-Pelterie au Trou salé, à Buc. Chaque jour, des dizaines d'apprentis pilotes prennent l'air, quadrillent le secteur et survolent, souvent à basse altitude les terres agricoles d'Augustin Heurtebise. L'homme est le fils d'un agriculteur installé à Jouars-Pontchartrain. Il a reçu une solide éducation au lycée Chaptal à Paris et voulait devenir chimiste. Heurtebise gardera un intérêt certain pour les techniques modernes mais finira par vivre de la terre. Il prend possession de la ferme de Villaroy en 1890. Homme de bonne volonté, au caractère bien trempé, le fermier arrive à survivre à la crise agricole malgré l'absence de gare à proximité.

Au fil du temps, l'exploitation devient colossale. Elle s'étend sur 160 ha. Le hameau a des allures de village et emploie de nombreux ouvriers agricoles dont de nombreux bretons. En 1912, quand Augustin Heurtebise achète la maison à M. Récamier, médecin à Paris, il s'est déjà attiré les foudres des écoles d'aviation. Désormais, c'est une guerre ouverte entre le ciel et la terre.

Des niagaras contre la grêle

Rien ne va plus dans l'exploitation agricole car les élèves pilotes ont tendance à venir se poser, parfois en catastrophe, dans les champs de Villaroy. Les récoltes sont saccagées et les animaux de labour effrayés par les vols à basse altitude. Certains ouvriers pris de panique demandent leur compte et vont chercher du travail ailleurs. Le gibier qu'on trouvait jusqu'ici à profusion est en diminution, les lièvres ont choisi de creuser leur terrier ailleurs. Un médecin diagnostique même chez l'épouse du fermier, Lucie Heurtebise, des insomnies et une "maladie des nerfs". Son époux accumule les preuves et les constats d'huissiers pour compter le passage des avions. Certaines journées, on dénombre jusqu'à 56 vols par heure.

L'exploitant fait dresser des mâts paragrêles appelés niagaras sur ses terres et plante des peupliers dont la hauteur, espère-t-il, dissuadera les aviateurs. Ceux-ci le prennent à partie, jugeant les installations dangereuses pour leurs élèves. La célèbre revue "L'aéro" s'en prend directement à Augustin Heurtebise, qui doit se justifier. Il est même provoqué en duel par un certain Chemet, pilote des établissements Borel.

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Augustin Heurtebise devant sa ferme (Archives municipales Guyancourt)

L'agriculteur obtient plusieurs réparations civiles devant les tribunaux pour préjudices causés à ses récoltes. Grâce à l'agriculteur, la justice se prononce sur la question qui est posée en ce début de siècle : l'air est-il libre ? Le tribunal civil de la Seine tranchera le 10 juin 1914 en déclarant que :

« Si l'atmosphère doit être considérée comme libre, ouverte sans entrave à la circulation aérienne, ce n'est qu'à partir d'une certaine hauteur »

donnant de facto raison à Augustin Heurtebise... quelques semaines à peine avant le déclenchement du premier conflit mondial.


David HOUDINET

Origine : "Guyancourt Magazine", avril 2013

Date de dernière mise à jour : 22/04/2020

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