Combattre avec un avion d'instruction

L’Amiot 354 est un avion de bombardement moyen. L’avion qui servit de base à ce bombardier était en fait... un avion postal, qui fut par la suite converti en avion de raid. Cet avion était l’Amiot 370. Il disposait d’un aérodynamisme très poussé pour l’époque. En parallèle à cet avion fut développé, sur la même cellule, l’Amiot 340. C’était un bombardier remarquable. « Cet avion est le meilleur du monde » disait le général Milch (général allemand) en 1938. Il était un peu comme le Lioré et Olivier 451 mais avec des moteurs plus puissants. Il n’avait pas de défaut particulier. Pourtant, l’État-major a préféré le LeO 451. Le hasard a voulu qu’une haute personnalité française l’essaye et donne un coup de pouce à cet avion remarquable avant 1940. La série des Amiot 350 fut alors commandée. Les Amiot 351 et 354 furent fabriqués.

 

Amiot 354 photo l aerophile february 1940

Amiot 354 (Wikipedia)

Mais ils étaient en très petit nombre, en 1940 lorsque l’offensive allemande a commencé. Au G. B. II/34, quelques hommes, appuyés par le colonel François, ont essayé de remédier à ce problème. L’Armée de l’Air était beaucoup trop administrative. Les avions, bien que produits, ne sont affectés à des groupes que bien plus tard. Mais la situation est critique, et ceux qui volent sur les antiques Amiot 143 ne vont pas attendre et regarder les Amiot 354 sans rien faire.
Le 5 avril 1940, Frank Fremond, accompagné du lieutenant électricien Bouchard, et des adjudants Beuchet et Faure sont allés sur le terrain de Dugny. Ils font partie de l’escadrille d’expérimentation. Sur le terrain, ils enlèvent les bâches des Amiot et mettent eux-mêmes les moteurs en route pour faire quelques essais sur cet avion. Ils sont chargés de subtiliser une série d’Amiot 354.

Fremond a rapidement convoyé vers Dijon l’Amiot n° 31 puis le 29 dans la même journée. Le lendemain, c’était l’Amiot n° 28 qui fut convoyé et le n° 27 qui fut essayé. Mais le processus est trop lent. C’est le seul pilote qui est « transformé » sur cet avion. Au G. B. II/34, il y a maintenant cinq Amiot 354 mais un seul pilote « transformé » et le tout en parfaite improvisation. Comme l’avion se pilote bien, des pilotes sont rapidement transformés. Mais ce ne sont que des avions d’instruction.

Arrive le 10 mai 1940. L’offensive allemande commence, les choses changent vite. Il faut effectuer des missions et les Amiot 143 ne sont pas assez nombreux. Il faut effectuer des missions de reconnaissance de nuit et, si possible, de bombardement.

Le 17 mai, le colonel Dagnaux est toujours affecté comme réserviste d’État-Major. C’est un aviateur qui a fait la Première Guerre, breveté observateur en 1915, il est blessé en 1916 mais son heure n’était pas venue et il a décidé de continuer de voler. Après la guerre, il fonde la compagnie Régie Air Afrique. C’est donc avec ce palmarès que le colonel est affecté comme réserviste à l’État-Major. Mais il ne veut pas en rester là en cette période dramatique. Il veut participer à la mission de la nuit. L’objectif : déterminer l’avance ennemie, rechercher les axes de marche de ses troupes et bombarder ces axes dans la région de Chimay. L’équipage est composé du lieutenant pilote Frank Fremond, du lieutenant-colonel Joseph Dagnaux, mitrailleur-mécanicien, de l’adjudant Louis Lavolley, navigateur-bombardier, et du sergent- chef radio Georges Regnault.

C’est à ce moment qu’il faut préciser plusieurs choses sur cet avion. Comme dit précédemment, les Amiot 354 du G. B. II/34 étaient des avions d’instruction. Lorsqu’ils sont arrivés au groupe, il y a plusieurs équipements qu’ils n’avaient pas et certains qui fonctionnaient mal. Les mécaniciens et autres personnels de l’escadrille ont dû faire preuve d’inventivité sur un avion d’instruction pour le transformer en bombardier opérationnel. Tout d’abord il n’avait aucun armement défensif. Il était censé avoir un canon de 20 mm et deux mitrailleuses de 7.5 mm mais il n’avait rien de cela. Ensuite, il n’avait pas de vérins qui permettent d’ouvrir la soute à bombes. Enfin, le panneau d’accès et d’évacuation du radio se bloquait en position fermée au-delà d’une certaine vitesse. Il a donc été freiné en position ouvert. En ce qui concerne le premier problème, les mécaniciens et armuriers n’ont pas eu trop de mal à monter deux mitrailleuses de 7.5mm pour défendre l’arrière de l’avion. En ce qui concerne le second problème, il imposait de décoller avec la porte ouverte. Ceci combiné au troisième problème fait qu’il y a un courant d’air très pénible dans l’avion pendant tout le vol. Regnault a alors installé une cloison en rhodoïd entre son poste et celui du mitrailleur supérieur arrière.

C’est donc avec cet avion bricolé que l’équipage va partir seul de nuit trouver, reconnaître et bombarder l’objectif qui leur est assigné. Lorsque l’avion décolle de Nangis à 23 h, il a le plein de carburant et ses 1200 kg de bombes. La nuit est noire. Pour bien se repérer, l’avion vole à basse altitude. Il franchit rapidement les 150 km qui séparent Nangis et Saint-Quentin. Bientôt des feux sont visibles, ce sont les feux du front. Ils passent non loin de Guise, une ville en feu. L’équipage tente de reconnaitre des éléments ennemis près de l’Oise. Le colonel Dagnaux ordonne au pilote de se maintenir à une altitude de 600 m. Pas de réaction de l’ennemi, pas de Flak.

Cependant, au sol, l’ennemi prépare soigneusement la tragédie. Une batterie de Flak a repéré de très loin de lueur bleutée des pots d’échappements. Ils constatent que l’avion se dirige droit vers eux. Bien qu’ils sachent précisément où est l’avion, ils ne tirent pas et n’allument pas les projecteurs. Ils attendent soigneusement que l’avion se situe à bout portant.

Dans l’avion, l’équipage est confiant. Il n’y a pas de Flak ni de projecteurs. Les jours précédents, au cours de missions analogues, ils avaient pu éviter facilement les projecteurs grâce à la maniabilité et à la vitesse de l’avion.

Soudain, un projecteur s’allume directement sur eux, sans les chercher. L’avion se situe à deux minutes du travers de Guise, et le projecteur s’est allumé sur la droite de l’appareil. Ce faisceau est directement accompagné de traçantes. Le pilote fait des manœuvres pour semer l’ennemi. Basculement à gauche moteurs à fond, zigzag, rien n’y fait. L’affaire est sérieuse. Après la première rafale de D.C.A., un cri signale au pilote qu’il y a le feu.

Au sol, l’ennemi suit tout cela, préparé à chaque évolution de l’avion. Il envoie une deuxième rafale. L’avion a mis cap au sud pour rentrer dans ses lignes, mais la deuxième rafale l’atteint de plein fouet. Le feu se situe sous l’aile droite et s’étire en nappe près du fuselage. Regnault, de son côté, voit un obus traverser son poste sans exploser. Il est surpris.

Dagnaux donne l’ordre de sauter. Le radio a reçu cet ordre. Les autres aussi ? Le pilote demande des informations, donne l’ordre de sauter, mais il n’y a pas de réponse. A ce moment- là, son téléphone peut transmettre ce qu’il dit à ses coéquipiers, mais il ne peut rien recevoir. Il ne sait pas ce qu’il se passe à l’arrière. L’ennemi continue de tirer, encore et encore. Il touche l’avion sans arrêt, fait exploser la nourrice d’essence située derrière le pilote. Au sol, un officier français prisonnier observe la scène, impuissant.

Fremond, pour faciliter l’évacuation, réduit les gaz à fond et cabre l’avion pour le ralentir. Le feu progresse rapidement et a envahi le fuselage. Le colonel Dagnaux et l’adjudant Lavolley ont sans doute été touchés à mort. Ils gisent dans l’avion, personne ne peut rien pour eux. C’est un aviateur de la Première Guerre, mort dans la Seconde dans son avion. Regnault saute à travers sa trappe d’évacuation déjà ouverte, bien que le feu barre la sortie. Le problème de sa trappe d’évacuation lui a probablement sauvé la vie.

Le pilote continue de donner des ordres sans réponse. Il sent l’appareil qui retombe en abattée à la verticale à la fin de la chandelle. Il sent alors que tout est fini. Il ouvre la verrière pour sauter. Il n’est pas déjà à mi-corps au dehors qu’il a été arraché. Il passe à côté de l’empennage qui tranche le feu en deux. A peine le parachute ouvert, l’avion s’écrase dans une fantastique explosion. Il s’est écrasé dans « la vallée aux Bleds », près d’une église.

Fremond est tombé dans un jardinet le long d’une route. Il est coincé en l’air par une ligne électrique qui retient son parachute. L’équipage est tombé en zone allemande. Des soldats d’un convoi stoppé tous feux éteints se présentent et le font descendre. Ils pensent que l’avion était anglais et que le parachutiste a été blessé. Il n’en est rien. Le pilote ne sait rien de ce qui est advenu des autres membres. Il pose la question aux soldats mais ils donnent des réponses contradictoires. Il faut quand-même continuer à espérer. Il demande alors à être conduit sur le lieu du crash, ce que l’ennemi accepte de faire. Il est installé sur un side-car et se retrouve rapidement conduit.

Il est là, au bord de l’entonnoir, silencieux, les larmes séchées par la chaleur des incendies autour, provoqués par le crash. Les Allemands sont restés en retrait, par respect. En travers de l’entonnoir, les deux longerons du plan fixe et de la dérive sont posés, retombés après l’explosion des bombes et des réservoirs, comme un symbole d’éternité.

De nombreux débris jonchent les environs. Lorsqu’on emmène le prisonnier dans un poste de commandement, il y a un pneu avec un élément du train d’atterrissage, à 100 ou 200 m de là, encore en train de brûler. Au poste, un officier lui explique toute l’histoire, comment il a été repéré et abattu. Il va y rester toute la nuit. Les Allemands, sachant sans doute que c’était perdu d’avance, ne tentent pas d’interroger Fremond. Le lendemain, il est dirigé vers un camp de regroupement de prisonnier : un champ bien gardé avec quelques tentes.

Et c’est ainsi que dans ce camp, il va retrouver Regnault, tombant l’un l’autre dans les bras avec émotion. Regnault raconte comment il a vécu le crash.

La suite sera difficile pour les deux aviateurs. Ils marcheront 40 km chaque jour pendant quatre jours, rencontrant quelques-fois des scènes pénibles. Ils sont ensuite conduits vers Trèves, derrière les barbelés avec des prisonniers de toutes provenances, camp dans lequel ils resteront pour cinq ans.

Sources :

Revue Icare n° 57 - La Bataille de France : le Bombardement

https://www.passionair1940.fr/Armee%20de%20l'Air/Escadrilles/Esc-Bomb/GB-2-34/GB_II-34.htm

https://www.aerosteles.net/stelefr-valleeauble-dagnaux

http://www.memorialgenweb.org/memorial3/html/fr/complementter.php?table=bp&id=5741838 http://francecrashes39-45.net/page_fiche_av.php?id=1776

Date de dernière mise à jour : 10/09/2020

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