Une mission mouvementée !
Une mission mouvementée !
Les Groupes Français de bombardement lourd en Grande-Bretagne 1943 / 1945
Insigne des Groupes Lourds créé en Grand-Bretagne pour porter sur la fourragère ou sur l'uniforme.
Il est gravé au nom de chaque membre d'équipage ayant effectué des missions.
Les Français qui, sous l’occupation dans le nord de la France, entendaient toutes les nuits
le ronronnement ininterrompu des avions passant au-dessus de leur tête, dans un long périple
aller et retour vers l’Allemagne, savaient pertinemment qu’une formidable bataille aérienne
se jouait dans le ciel de l’Europe Occidentale. Mais ce qu’ils ignoraient, et ce dont ils ne pouvaient
se douter, c’est qu’il pouvait y avoir des avions, des quadrimoteurs aux cocardes tricolores, portant
la croix de Lorraine : ceux des groupes "Guyenne" et "Tunisie".
Ils ne le savaient pas, et ne le surent pas davantage après la guerre, car rien ne fut fait pour qu’ils
le sachent.
Voici le récit d’une mission mouvementée racontée par le Lt-Col Camille MOULIN, ancien
« Directeur de l’instruction au sol » à l’École des Radionavigants à PAU († 17/01/2008)
Dans la nuit du 6 au 7 décembre 1944, le Halifax "L8K" (King) du Groupe "Tunisie" rejoint sa base après avoir largué quatre tonnes de bombes sur les usines d’Osnabrück.
L’ensemble des 453 quadrimoteurs du stream emprunte un itinéraire compliqué, mais qui passe toujours entre Dunkerque et Ostende. Par cette nuit sans lune, à 20.000 pieds, il fait moins 40° C à l’extérieur et, malgré les risques de collision et la Flak, le ronronnement régulier des quatre moteurs Hercules est rassurant.
À bord, silence absolu, de l’avant à l’arrière tous les regards scrutent l’espace environnant. Avec un peu chance, il n’y aura pas de chasse de nuit et dans moins d’une heure nous serons au-dessus de la Manche… Brusquement, un choc violent à l’arrière mais pas d’explosion, la carlingue n’a pas bronché donc dégâts peu importants mais peut-être graves si les gouvernes sont touchées, en plus, panne totale de courant. Aussitôt, le pilote annonce : « il pique légèrement, je n’arrive pas à le redresser » ; son micro étant resté ouvert, son souffle indique l’ampleur de l’effort qu’il doit fournir. Tout l’équipage est inquiet, que va décider le chef de bord ? Après un silence de quelques secondes qui ont paru interminables, la voix du radio : « mon commandant, on l’a pris à l’arrière, vous devriez appeler le mitrailleur ». Après plusieurs appels restés sans réponses, le radio voyant les difficultés auxquelles le pilote doit faire face, prend la liberté de dire au mécanicien, dont c’est le rôle, d’aller voir à l’arrière ce qui se passe. Pour un tas de raisons qui doivent être oubliées, celui-ci ne pouvant se déplacer, le radio avec sa lampe torche, sa bouteille d’oxygène et l’accord du chef de bord, va constater les dégâts.
À l’arrière, un trou béant, la tourelle dépourvue de support inférieur flotte seulement reliée à l’avion par les câbles électriques ; ceux-ci dénudés, ont fait un court-circuit et provoqué la panne totale de courant. Le mitrailleur, sans oxygène, sans téléphone de bord et sans chauffage est en perdition ; de plus, la partie inférieure du plan fixe vertical droit est endommagée et bloque partiellement la gouverne de profondeur. J’avale une bouffée d’oxygène et je rends compte au chef de bord.
Mais que puis-je faire pour le mitrailleur, le temps presse ; entre lui et moi un trou d’un mètre de diamètre mais profond de 20.000 pieds. Pour me rapprocher de lui le plus possible, je m’attache solidement à l’amortisseur de la roulette de queue, j’éclaire la tourelle et je tends la main au maximum, le mitrailleur a compris, il entrouvre les portes de sa cage flottante, tend la main et malgré nos positions fort inconfortables, nous finissons par nous rejoindre. Après d’énormes efforts, je ramène le mitrailleur à bord, je lui donne une longue bouffée d’oxygène, lui plaque mon micro sur le visage en lui criant : « qu’est-il arrivé ? » et tout l’équipage entend, « c’est un autre avion qui nous est rentré dedans » puis il s’arrête complètement épuisé ; je le ramène à l’avant et l’installe à ma place.
Entre temps, le Halifax lui aussi va mieux et vole presque normalement, mais toujours pas de courant. Pour tenter d’y remédier, je suggère au chef de bord de débrancher toute la partie endommagée de l’installation électrique et, avec son accord, je retourne à l’arrière, équipé comme précédemment, mais là surprise, je n’ai plus de force, je suis incapable de déconnecter les fils de la tourelle. Il est vrai que depuis un bon quart d’heure, je n’ai pris que peu ou pas d’oxygène. Pour éliminer le court-circuit, une seule solution… la hache, je dois cependant m’y prendre à plusieurs reprises car les câbles sont de grosse section. La partie défectueuse du circuit électrique isolée, je retourne au chaud, complètement épuisé moi aussi.
Maintenant, bien que la batterie ait vomi tout son électrolyte, le courant devrait revenir, car les génératrices débitent normalement. Après une longue attente, une faible puis normale lumière surgit et enfin, le navigateur annonce : « la Gee remarche ». Bien qu’isolés et, proies faciles pour les chasseurs de nuit, nous rejoignons la base de secours de Woodbridge. Atterrissage sans histoire, mais la tourelle vide reste sur la piste. Pour expliquer tout cela, le débriefing sera long, et sur cette base qui récupère tous les éclopés, pas une seule goutte de Champagne pour fêter mon anniversaire. En effet, ce matin 7 décembre 1944, j’ai 28 ans et, pour tout dire, j’ai bien failli ne pas y arriver !
Dans les jours qui suivent, une prise d’armes est organisée sur la base d’Elvington (*) et l’Air Vice Marshal commandant le 4ème Groupe de la Royal Air Force, remet au pilote et à moi-même la Distinguished Flying Cross. Après la prise d’armes, au cours du repas servi au mess, je suis placé à côté du colonel Bailly commandant la base. Bien que réputé sévère et froid, il me dit aimablement : « c’est la plus belle D.F.C. décernée sur cette base », « j’en suis très fier et je vous remercie de ce compliment » répondis-je en ajoutant : « je suis très heureux d’avoir pu intervenir à temps car, quelques minutes de plus sans oxygène, le mitrailleur s’évanouissait, et sans sa main tendue hors de la tourelle, je n’aurais pu le ramener à bord ».
Mon comportement avec le chef de bord qui était aussi mon Commandant d’Escadrille peut paraître osé, mais dans cet équipage recomposé, nous sommes les deux seuls qui volions ensemble depuis longtemps sur LeO 45. Nous avons souvent fait équipage à deux, nous étions et sommes restés de très bons amis. Après cette mission mouvementée, nous avons terminé calmement notre tour d’opération prolongé (36 missions), mais sans histoire.
Camille MOULIN († 17/01/2008)
Peinture représentant un Halifax dans la neige en 1944.
Les mécaniciens font le plein de l'avion au retour de mission.
Peinture représentant un Halifax du "Tunisie" au parking.
(*) Elvington, base à commandement français, près de York en Grande Bretagne où stationnaient le GB II/23 "Guyenne" et le GB I/25 "Tunisie", intégrés au Bomber Command de la R.A.F (Squadrons 346 et 347) de 1943 à 1945.
NDLR : L’équipage était composé de :
- Cdt Stoltz : pilote
- Ltt Digit-Gros : navigateur
- Ltt Benit : bombardier
- Adj Moulin : radio
- SgC Valicele : mécanicien
- Sgt Rouillard : mitrailleur supérieur
- SgC Sonzogno : mitrailleur arrière
Extrait du « Recueil ADRAR » Tome 1
Date de dernière mise à jour : 15/04/2019
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