Prisonnier du groupe Moëlders
Prisonnier du Groupe "Moëlders"
L'Adjudant Bleton avait rejoint le régiment "Normandie-Niemen" en octobre 1944, après un internement
de quatre mois en Tunisie, consécutif à une tentative de départ pour Malte au cours de l'été 1942.
Il faisait ce matin un soleil éclatant au-dessus de la Baltique gelée, sur laquelle s'affrontaient les chars soviétiques et allemands. Nous étions cinq Yak en patrouille et, au-dessus de nous, une douzaine de Me 109 et de FW 190.
Depuis une dizaine de minutes, ils nous surveillaient tout en calquant leurs évolutions sur les nôtres. Ils nous marquaient, sans velléité d'attaque… Soudain, leur chef de dispositif envoya sur nous un "pigeon" pris en charge, sans attendre que Albert, notre leader, m'en ait donné l'ordre. Il m'entraîna aussitôt vers le terrain de Pillau, proche, où la Flak me fit une réception grandiose. Mais je n'abandonnai pas mon gibier, qui ne manœuvrait pas, et je le descendis.
Tout heureux, je repris le cap de ma patrouille qui tournait en cercle défensif. J'y repris ma place et, dans mon euphorie, je me mis à espérer un doublé, si l'occasion s'en présentait. Elle ne tarda pas. Un Focke-Wulf nous attaqua et dégagea en cabrant au maximum. Je commis alors une faute de jeune chien et je le suivis.
La suite fut parfaitement logique... ma cabine parut exploser avec un bruit infernal. Un "client" que je n'avais pas vu s'octroyait une victoire… Sa première rafale d'obus avait été la bonne. J'avais été blessé aux jambes et à la main mais je ne sentais encore rien, sinon que j'étais fichu. J'eus beaucoup de mal à m'extirper de monYak qui vrillait sur le dos. Dans un ultime sursaut de défense, je parvins à larguer la verrière. Je fus arraché de la carlingue et plaqué contre le fuselage, retenu à l'avion par mes bretelles. J'eus du mal à me libérer. Enfin décroché, je tirai sur ma commande. L'ouverture fut très brutale étant donné ma vitesse de chute.
Le pépin bien ouvert, je n'étais pas très haut. En levant la tête, j'eus une surprise… Le parachute était de forme carrée et sans cheminée. Je n'en avais jamais vu de comme ça avant.
Pendant ma descente, les combattants du sol me canardaient joyeusement. Par qui serais-je récupéré ? Allemands ou Russes ? Ce fut vers les Allemands que le vent me poussait. Le contact avec la glace fut très brutal et mes genoux en prirent un rude coup. Ils enflèrent d'une manière incroyable et, pendant une quinzaine de jours, il allait m'être impossible de me tenir debout.
Prisonnier
Les soldats allemands qui m'accueillirent ne me brutalisèrent pas. Je fus immédiatement conduit sur le terrain de Pillau, tout proche. C'est sans doute la première raison qui me permit d'avoir la vie sauve. On m'y donna quelques soins, car j'avais une cuisse lardée d'éclats d'obus. Puis ce fut un interrogatoire rapide et on m'enferma dans une cellule d'un bâtiment disciplinaire destiné aux militaires allemands punis.
Je n'en menais pas large, car j'avais autour du cou un foulard rouge, découpé dans un drapeau allemand, récente prise de guerre que nous nous étions partagée à l'escadrille. J'avais le centre du drapeau et on y discernait très bien la forme de la croix gammée que j'avais décousue. Au cours des interrogatoires qui suivirent, personne ne s'intéressa à mon foulard.
Mes inquisiteurs cherchèrent surtout à me soutirer des renseignements sur le "Normandie", sa position, ses fréquences radio… Ils étaient assez bien renseignés. Ma situation était délicate car j'étais considéré comme franc-tireur. Je ne tenais pas à tomber sur des interrogateurs plus expéditifs et expérimentés. Il fallait que je leur donne l'impression que ce que je disais collait avec leurs informations et recoupements.
Cela me permit de ne pas changer de mains et de rester chez les Moëlders où je ne fus jamais brutalisé. Ils se sont toujours montrés très sport et humains. Le premier soir, j'ai été transporté à leur escadrille où, pendant plus d'une heure, nous avons parlé d'aviation et de nos tableaux de chasse respectifs. À propos d'un pilote disparu ce jour-là, je leur dis :
- « Ce doit être celui que j'ai "chuté" ce matin. Il est tombé à cet endroit ».
C'était leur commandant qui m'avait descendu, Brendel. Il était décoré de la croix de Fer avec épée de diamant. Après avoir failli me tuer, c'est lui qui s'opposa à ce que la Gestapo me récupère.
Joachim Brendel, le vainqueur de Bleton (DR)
Je restai pendant un mois et demi dans ma cellule, seul. Les autres étaient occupées par des aviateurs russes abattus dans le secteur. Les bombardements devinrent de plus en plus fréquents et violents. Plusieurs prisonniers furent tués ou blessés dans les cellules voisines. Un soir, on me poussa dans un camion, avec trois officiers russes et quelques gardes armés. Derrière nous, d'immenses brasiers : les villes de Pillau et Königsberg brûlaient. Les flammes montaient très haut dans le ciel et illuminaient l'horizon. C'était l'enfer.
Ce fut le début d'incessantes pérégrinations, dans une vedette rapide d'abord, par le train, puis en bateau encore. Quel que fut le mode de transport, à chaque alerte, les gardiens nous enfermaient dans les toilettes. C'était une véritable manie.
Nous débarquâmes, enfin, à Flensburg. Nous eûmes de nouveaux gardiens, dont un Tchèque incorporé de force, qui parlait français. Je lui demandai de nous aider à nous évader. Il accepta, mais il nous apprit qu’Hitler était mort, et que la guerre allait bientôt se terminer. Il nous conduisit sur la base aérienne voisine et laissa la porte de notre cellule ouverte, mais nous conseilla de ne fuir que le lendemain. Bien nous en prit, car le lendemain la base était vide !
En fin de matinée, un groupe de Tempest se posa et nous vîmes arriver un squadron-leader accompagné de notre Tchèque.
- « Si vous voulez, me dit l'Anglais, je peux vous faire rapatrier en France rapidement, mais pas les Russes
évidemment ».
Je lui répondis que je demeurais avec eux, la guerre n'était pas terminée. Nous allions rejoindre nos unités. Il dut me prendre pour un fou et n'insista pas.
Enfin, après une interminable chevauchée d'une dizaine de jours, à bord d'une grosse Mercedes "empruntée" à deux officiers allemands, nous arrivâmes à Elbring. Et, de là, je pus enfin rejoindre mon escadrille.
Mais tous les pilotes qui furent contraints de se poser ou de se parachuter de l'autre côté des lignes souvent mouvantes de la bataille, connurent la plupart du temps des réceptions un peu moins confortables… Certains, surtout vers la fin des hostilités, furent abattus au bout de leurs suspentes.
Pierre BLETON et Jean GISCLON
> Extraits du livre de Jean GISCLON « La grande aventure de
Date de dernière mise à jour : 15/04/2019
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