Le groupe Bretagne sur Plaisance

Ce 11 juillet 1944, l'objectif des Marauder de la 31ème Escadre est un dépôt d'essence des environs de Plaisance (Italie). Le groupe "Bretagne" est en queue de la formation et le 34, leader de la dernière section.

Peu de temps après le décollage, notre ailier droit fait demi-tour : ennuis mécaniques sans doute. Ceci nous met en position défavorable en cas d'attaque ennemie, car nous savons par expérience que notre puissance de feu défensive étant plus faible que celle d'un flight complet, les chasseurs ennemis attaquent de préférence ce genre de formation.

Nous nous dirigeons vers la plaine du Pô et l'objectif n'est plus très loin.

Les nuages sont nombreux... C'est une situation idéale pour les chasseurs qui peuvent ainsi jouer à cache-cache... Aussi ne sommes-nous pas trop surpris lorsque nous entendons Castejon, notre radio, nous signaler par interphone :

- « Chasseurs ennemis en piqué à 5 heures ».

Quelques secondes plus tard, nous entendons le crépitement de nos 6 mitrailleuses... !

C'est à ce moment que Castejon, sur un ton on ne peut plus calme, nous prévient que nous venons d'être touchés à différents endroits... que les trois mitrailleurs sont sains et saufs, mais que la gouverne de profondeur est fortement endommagée.

Un coup d'œil vers notre ailier gauche le 32, nous apprend que lui aussi a des ennuis... Les fumées noires qui s'échappent du moteur droit se transforment brusquement en flammes...

Nous sommes toujours en vol de groupe, et pouvons voir distinctement Cornet à son poste de pilotage, Atger, le bombardier, dans le nez vitré du B-26, et Despinoy, le copilote qui semble inerte sur son siège.

Cornet, très lentement s'éloigne de la formation... Il a dû donner l'ordre d'évacuation, car nos mitrailleurs nous signalent que trois membres d'équipage viennent de sauter et que les parachutes se sont déployés normalement... Hélas, il n'y en aura pas d'autre !

Quelques mois plus tard, nous avons reçu par l'intermédiaire de la Croix Rouge des nouvelles des trois prisonniers et avons appris le drame qui s'était déroulé ce jour-là.

Despinoy avait dû être tué par une balle de mitrailleuse, et son siège bloquant le passage du poste bombardier, Atger, se trouvait prisonnier dans le nez de l'appareil. Cornet, impuissant, était resté aux commandes jusqu'au bout, jusqu'à ce que l'aile embrasée se détache de l'avion... déclenchant la vrille fatale.

Quant à nous, la situation ne se présente pas sous les meilleurs auspices, notre gouverne se désentoile de plus en plus.

Nous sommes obligés de réduire la vitesse et nous voyons la formation s'éloigner lentement... Or un bombardier qui abandonne la formation, quand la chasse ennemie est à proximité est un avion perdu... ! Mais le Dieu des aviateurs veille sans doute sur nous. Verard, notre mitrailleur de queue, nous signale une patrouille de chasseurs se rapprochant très rapidement...? Amis ?... Ennemis ?

Ce sont des Spit de la RAF ! Ils nous encadrent aussitôt, et nous escortent jusqu'à la côte, pendant qu'une autre patrouille s'explique avec les Messerschmitt.

Au franchissement de la ligne de sécurité, ils nous disent au-revoir en balançant leurs ailes. Nous leur faisons un signe de la main. Notre seul regret est de ne pouvoir leur payer un pot ce soir au mess.

La fin de la mission se passe sans histoire. Par le travers de Solenzara, notre terrain de secours, l'empennage tenant bon, nous décidons de poursuivre le vol à vitesse réduite.

Villacidro ne tarde pas à apparaître à l'horizon. Comme nous ne savons pas quelles seront les réactions de notre 34, en phase finale, nous faisons une approche prudente. À notre grande surprise, le train sort normalement, les volets également. Seuls les freins nous donnent quelques soucis.

La formation s'est posée depuis longtemps, et aux gestes des camarades qui nous accueillent, nous comprenons que nous leur avons causé quelque frayeur.

Notre beau Marauder est dans un piteux état. Le fuselage et les plans sont traversés de part en part et, en reconstituant la trajectoire des balles, nous ne comprenons pas comment nos trois compagnons de queue n'ont pas été touchés.

Un peu plus loin sur le parking du 32, deux hommes sont assis sur un talus, les deux mécaniciens de l'avion... Ils ne disent rien. De temps en temps, malgré eux ils regardent au loin, en direction du Nord, à la recherche d'un petit point noir... qui grossirait... grossirait...

Des larmes coulent silencieusement sur leurs joues.


Pierre HENTGES

Extrait de "Pionniers" n° 148  d’avril 2001

45 années plus tard, en 1989, Pierre Hentges reçût une lettre d'un journaliste Italien, spécialisé dans les articles aéronautiques, qui avait réussi, après une enquête qui avait durée une dizaine d'années, à joindre tous les acteurs ayant participé à ce combat. C'est ainsi qu'il apparaît que les Messerschmitt 109, étaient Italiens, et non Allemands, et que les pilotes des Spitfire étaient Sud-Africains...

Date de dernière mise à jour : 18/04/2020

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