La journée du sous-lieutenant Dietrich

Il veut piloter des avions

Dans une importante entreprise de plomberie, appartenant à la famille Dietrich, déjà installée au début des années 1900, vient au monde un petit garçon que l'on prénomme Henri.

Une entreprise, avec une centaine de compagnons, possédant des véhicules pour les déplacements que demandent les travaux de plomberie. Le petit Henri est vite passionné de mécanique et, pour son plaisir dès l'âge de dix ans, s'amuse à sortir des garages les camionnettes avant de se lancer, à seize ans dans les courses de motos.

Mais Henri Dietrich a une autre passion : l'aviation. Il souhaite voler mais les parents estiment que les morceaux de bois, de toile, les cordes à piano et la ferraille en général sont des matériaux que l'on utilise au sol, pas pour se promener dans les airs... Pas question d'aviation ! Tout de même, il pilote en aéro-club quand arrive l'heure du service militaire et, naturellement, pense entrer dans l'aviation... Pour se retrouver mobilisé dans les sapeurs-pompiers ! Découragé ? Pas du tout et l'aviation le tient toujours.

Au Bourget, il rencontre des gens compréhensifs qui lui promettent de lui faire passer son brevet militaire. Il va connaître la base du Bourget mais aussi Villacoublay où il rencontre de remarquables instructeurs, comme un certain Storm, dont les judicieux conseils en matière de pilotage lui sauveront peut-être un jour la vie.

II passe son brevet en vingt jours sur monoplan Morane 230 et, admirateur de Michel Détroyat, notre grand pilote d'acrobatie, dont il est l'ami, Henri Dietrich est le premier à obtenir le certificat de voltige de la maison Morane... et pense entrer dans un groupe de chasse, ce qui n'est guère facile.

Morane 230
Morane-Saulnier 230 (Beernaert)

II fait la connaissance du Cne Leroy, commandant la section d'entraînement au bombardement, entre chez lui et se retrouve à piloter ces grands biplans bimoteurs déjà technique­ment dépassé : des LéO-20. Ce n'est pas la chasse mais il vole et va obtenir une centaine d'heures de vol sur ce mastodonte.

Leo 20
Lioré et Olivier LeO-20 (Docavia)

Un jour, il rencontre le Gal Pinsard, alors Lcl, "as" de la guerre 1914-1918, à qui il confie son souhait d'entrer dans l'aviation de chasse. Ce dernier le met en relation avec un capitaine qui, paraît-il, est le seul à pouvoir lui obtenir cette faveur... et cela marche puisque Henri Dietrich se retrouve au groupe d'instruction des réserves de la chasse sur Nieuport-62, à Villacoublay, où il a le célèbre Storm pour instructeur.

Le voilà incorporé à la 10ème Escadre de chasse portant l'in­signe du coq. Nous sommes en l'année 1938, année où des nuages noirs, annonçant la guerre, se profilent dans le ciel de l’Europe. Il demande à rester dans l’aviation… mais se retrouve dans ses foyers.

L’année 1939 est arrivée et la menace de la guerre se rapproche. Le 20 août, il est rappelé comme réserviste dans l’aviation de chasse.

C’est maintenant la guerre

Nous voici en septembre 1939, et nous retrouvons Henri Dietrich sur le terrain d'aviation de Rouen-Boss où il pilote un avion de chasse biplan Nieuport 622. Un très bon avion de combat... si la guerre s'était déclarée entre 5 et 10 ans plus tôt !

Nieuport 624
Nieuport 622

Les mieux équipés de ses camarades ont des Dewoitine 501, un peu plus modernes que les Nieuport mais aussi dépassés techniquement et l'on se pose des questions sur les rencontres possibles avec la chasse allemande équipée de Messerschmitt 109 !

Dewoitine 501
Dewoitine 501

Bf 111
Messerschmitt Bf-109

S'installe la longue attente de huit mois de la "drôle de guerre" avec des alertes pour rien. Cependant Henri Dietrich reçoit le baptême du feu au cours d'une patrouille, près de l'aérodrome de Roye-Amy dans la Somme. La DCA fran­çaise, dont les servants sont souvent incapables de faire la diffé­rence entre la silhouette d'un avion allié avec un appareil ennemi, ouvre le feu sur lui et endommage légèrement son avion.

En avril 1940, Henri Dietrich, devenu SLt, se trouve sur le terrain d'Évreux. Une bonne nouvelle vient remon­ter le moral de nos pilotes du groupe 2/10 : des Bloch 151 et bientôt son modèle amélioré Bloch 152 sont venus remplacer les antiques Nieuport 622 et Dewoitine 501.

Bloch152 1
Bloch 152

Le Bloch 152 à moteur en étoile, dont la vitesse de 480 km/h est inférieure au Messerschmitt 109, a par contre pour lui sa robustesse et son puissant armement dans les ailes : 2 mitrailleurs de 7,62 et 2 canons de 20. C'est un grand progrès par rapport aux Morane 406 et Curtiss H 75 en atten­dant les rapides Dewoitine 520 et ce monomoteur dont les premiers exemplaires commencent timidement à sortir des usines : l'Arsenal VG-33.

P 38
Curtiss H-75

Vg 33
Arsenal VG-33

Le 16 mai 1940, alors qu'il y a six jours que la grande bagarre, au sol et dans le ciel, est commencée, le SLt Dietrich est en patrouille avec deux camarades. Les bombardiers aux croix noires sont nombreux et partout. Nos trois chasseurs rencontrent une formation de bimoteurs Heinkel 111. Au cours d'un combat confus, Henri Dietrich se retrouve seul. Devant lui, il aperçoit un Heinkel 111

- « Il me faut une victoire » pense-t-il à haute voix.

Il plonge sur l'avion ennemi. A-t-il déjà dépensé toutes les munitions de ses deux canons de 20 ? Sont-ils enrayés ? Seules les 2 mitrailleuses d'ailes crachent le feu, ce qui est bien peu, mais il fait mouche et le moteur droit du Heinkel 111 fume. L'avion se met en descente vers le sol.

Heinkel 112
Heinkel 111

Le SLt Dietrich ne peut suivre sa victime car il a été la cible du mitrailleur qui, lui aussi, a fait mouche. Le Bloch 152 est touché avec des fuites d'huile et ne pourra jamais rentrer à sa base de Boss. Le terrain d'Amiens est le plus près et le Bloch 152 s’y pose. Il est inutilisable pour l'instant, ne peut repartir car 43 balles l'ont atteint. Henri dîne et couche à Amiens. Il dort dans une église avec un candélabre de chaque côté, un peu à l'image de l'insigne mortuaire du célèbre "as" de 1914-1918 aux 45 victoires, Charles Nungesser.

Pour regagner sa base, il prend le train pour Paris et, toujours par le train, Rouen et le terrain de Boss à une dizaine de kilo­mètres au sud-est de la grande ville où il retrouve quelques jours plus tard ses camarades de combat.

Ses camarades ? En quelques jours, pendant son absence, le 2/10 a perdu le SLt Thabuis et le Lt Péronne dans le ciel de l'Aisne et le Sgc Carletti dans la Somme. Les places sont vides à table. On semble les attendre pour le déjeuner. Personne n'ose occuper leurs places...

Le SLt Dietrich va reprendre les missions, équipé d'un nouveau Bloch 152 portant le numéro 684.

La grande journée d’Henri Dietrich

Mercredi 5 juin 1940. Après le grand "coup de faux", de Sedan à la Manche par les divisions de panzers de Rommel et Guderian, l'évacuation de Dunkerque et la destruction de nos troupes montées en Belgique et Hollande, pour aider ces deux pays qui nous considéraient encore, il y a quelques semaines, presque comme des adversaires, l'offensive allemande vient de reprendre sur le front de l'Aisne et de la Somme.

Sur le terrain de Boss, après un bref aller-retour de Bernay à Boss, 6 pilotes détachés pour la journée, se retrouvent avec leurs Bloch 152 à la protection de la région de Rouen.

Sous le commandement du Lt Possien, avec pour équipiers Dietrich, Bechoff, Turenne, Gilles et Wetzel, ces hommes attendent l'alerte. Ils sont fatigués par les incessantes missions, parfois 6 par jour ! En liaison avec le centre de ren­seignements de Rouen, qui transmet les indications des postes de guet quand arrivent les bombardiers, ils attendent, harnachés, le signal du départ.

Le soleil n'est pas encore très haut dans le ciel en cette journée du 5 juin 1940 quand retentit la sonnerie du téléphone. C’est le Cdt Ronzet, patron du groupe 2/10 :

- « Ici comandant Ronzet, des bombardiers, protégés par une puissante formation de chasse, se dirigent sur Rouen. On signale 80 à 100 appareils, prêts à décoller tout de suite ».

Nos 6 aviateurs décollent...

À peine les 6 Bloch 152 en l'air que l'ennemi est déjà en vue. Le service de renseignements ne s'est pas trompé. Une cen­taine d'avions arrivent en une formation parfaite rapidement identifiés : des bombardiers Heinkel 111 escortés de bimo­teurs de chasse lourde Messerschmitt 110 ". 6 contre 100...

Me 112
Messerchmitt 110

Les 6 Bloch 152 prennent de l'altitude pour éviter de se faire coiffer par les Messerschmitt 110 et attaquer en piqué les Heinkel 111qui naviguent vers 1.500 m d'altitude en toute sécurité. Du moins ils le pensent...

Le combat s'engage et les avions aux cocardes tricolores semblent perdus au milieu des croix noires en un gigantesque ballet mortel où, bientôt, nos 6 chasseurs se battent individuel­lement.

Le Lt Possien donne l'exemple et tire un Messerschmitt 110 en un virage acrobatique. L'avion ennemi flambe et va s'écraser à Tourville-la-Rivière. L'Adc Gilles attaque un Heinkel 111. Ses canons de 20 labourent le bombardier qui, désemparé, un moteur en feu, se pose sur le ventre à Isneauville. Le pilote est tué et les autres membres de l'équipage faits prisonniers.

Alors qu'il est seul dans le ciel de Rebets, le SLt Dietrich aperçoit un Heinkel 111 poursuivant sa mission qui semble vouloir aller bombarder un objectif précis. Avec une alti­tude supérieure de 500 m, Henri Dietrich pousse sur le manche et à 500 km/h à l'heure fonce sur le bombardier dont le mitrailleur arrière, nullement surpris, ouvre le feu le pre­mier.

Quand le Bloch 152 arrive en bonne position Dietrich tire une longue rafale de ses deux canons et deux mitrailleuses. Les projectiles du Français labourent littéralement le Heinkel 111.

Dans une brutale chandelle, suivie d'un renversement, l'habile ilote se retrouve une seconde fois en position de tir. Le bombardier dérape sur une aile, vacille, et amorce une descente. Il est touché à mort. Henri Dietrich ne tire plus, garde ses munitions et voit le bombardier se poser dans un champ à Estouville-Escales.

Maintenant près du sol, étant descendu en même temps que le bombardier, Henri Dietrich aperçoit des voitures et des fantassins arriver sur les lieux. L'équipage est fait prisonnier.

« J'en ai eu un ! »

dit-il en remettant les gaz pour reprendre de l'altitude et rentrer à sa base où il apprend, avec un réel plaisir que tout le monde est rentré sauf Wetzel dont le Bloch 152 a reçu un projectile dans l'hélice et qui a dû abandonner son avion sur le terrain de Madrillet mais tous les camarades sont vivants, per­sonne n'est blessé... avec des avions ennemis abattus !

Pendant que les mécaniciens, ces fidèles compagnons des pilotes dont on parle rarement, bouchent les trous faits par les mitrailleuses adverses sur les Bloch 152, arrive l'heure du repas. Installés sur une table de fortune nos 6 pilotes prennent un réconfort bien mérité.

L'après-midi semble se passer dans le calme mais à 17 h, nouvelle alerte. Le Lt Turenne qui a pris le télé­phone, et a le service de renseignements en ligne, crie à ses compagnons :

- « En route, ils sont encore une centaine avec la même direction que ce matin ».

Dans le vrombissement des moteurs de 1.000 cv, les Bloch 152 viennent de décoller pour la seconde mission de la journée. Déjà, venant de l'est vers 2.000 m, les bombardiers aux croix noires, parfaitement groupés, sont aperçus.

En même temps que les 6 chasseurs français, quelques Hurricane de la Royal Air Force ont aussi décollé. Alors que les Bloch 152 gagnent de l'altitude pour être en position de force, les chasseurs de la RAF attaquent déjà mais les avions de chasse de protection se lancent sur les Hurricane et un furieux combat s'ouvre dans le ciel.

Hurricane b
Hawker "Hurricane"

C'est la chance des pilotes français. Ayant pris une alti­tude nettement supérieure les Bloch 152 partent à l'assaut des Heinkel 111 sans craindre - pour l'instant - la chasse alle­mande.

Tour à tour, Possien et Wetzel abattent chacun un Heinkel 111 et, en vue des faubourgs de Rouen, objectif probable des bombardiers ennemis, Henri Dietrich aperçoit un Heinkel 111 légèrement isolé. Gaz ouverts en grand et le manche poussé en avant il plonge, à 600 km/h, sur l'avion aux croix noires.

La première rafale porte. Le moteur gauche dégage une longue traînée de fumée noire et le Heinkel 111 tente un demi-tour. Henri Dietrich n'a-t-il pas reçu le diplôme d'acrobatie de la maison Morane ? Déjà, il est revenu dans la queue du bombar­dier dont le moteur gauche tire maintenant de grandes flammes. Il ne peut plus aller loin et brusquement Heinkel 111 pique du nez et s'écrase dans un petit bois près de la ville de Darnétal.

C'est sa seconde victoire aérienne de la journée !

Mais Henri Dietrich ne sait pas encore que, dans quelques minutes, il va vivre une aventure dont le souvenir restera gravé dans sa mémoire jusqu'à son dernier souffle...

Comme le ciel est calme. Le Bloch 152 remonte vers le sud et le pilote ouvre sa cabine pour prendre un peu d'air. Le Voici à 2.000 m et de ses yeux perçants fouille tout l'hori­zon à la recherche de ses équipiers. Il est bien seul et appelle ses camarades à la radio. Rien, pas de réponse, c'est alors qu'il s'aperçoit que le mitrailleur du bombardier lui a placé une balle dans sa radio. Impossible de communiquer et il ne peut plus compter que sur lui-même. Il pense regagner sa base.

II grimpe encore vers le ciel et réduit les gaz. Tiens ! Au loin venant vers lui, sept petits points noirs grossissent rapidement.

- « Les Hurricane des Canadiens », pense Dietrich.

Pour éviter d'être mitraillé par des chasseurs alliés, comme cela arrive parfois dans l'excitation d'un combat qui vient de se terminer, il se balance sur l'aile droite puis sur l'aile gauche afin que l'on reconnaisse les grandes cocardes tricolores françaises !

« Quel est ce dingue ? »

doivent se demander les pilotes de cette escadrille au moment où un juron, que n'aurait pas démenti le général Cambronne, retentit dans la cabine du Bloch 152. Des croix noires sur des plans carrés, croix gammée sur l'em­pennage : le SLt Henri Dietrich croise 7 Messerschmitt-109 …

Brutal virage à la verticale sur la pointe de l'aile et un 109 se trouve dans son collimateur. Courte rafale de toutes les armes et le chasseur ennemi, blessé à mort, passe sur le dos et descend vers le sol.

Chaque 109 tente de se mettre dans sa queue et Dietrich a beaucoup de difficultés à les en empêcher. Les projectiles pleuvent de partout et son Bloch 152 encaisse. Ajusté de toutes les directions, il reçoit plus de balles qu'il n'en faut pour abattre plusieurs avions.

Mais Dietrich sait que ces modernes jeux du cirque romain ne peuvent durer longtemps et décide de vendre chèrement sa peau et son avion au moment où il a un 109 dans son collima­teur. Rapide pression sur la poignée des armes. Rien, il n'a plus de munitions. Les 120 obus de 20 et les 600 cartouches de ses mitrailleuses ont été usés en abattant les deux Heinkel 111 et les deux Messerschmitt 109.

Alors Henri Dietrich, dans la folle excitation d'un combat qu'il sait perdu, décide d'aborder un 109 en lui sectionnant l'empennage avec son hélice ou le broyant avec son aile... Après ? On verra bien...

Manette des gaz à fond, il se lance à l'abordage comme un chevalier du Moyen-âge dans un tournoi, à la Jean Bart ou un Surcouf sur la mer. Il frôle le 109, le manque, ce qui n'arrange pas sa position. En piqué, en un virage sur la pointe de l'aile, pour tenter de déjouer ses adversaires, il fonce vers le sol se disant que son dernier espoir est de jouer avec tous les obstacles de notre bonne vieille terre.

Les "Messerschmitt 109", un instant surpris, se lancent à sa poursuite. Le sol n'est pas encore là que les balles résonnent à nouveau sur le Bloch 152

- « Ils vont m'avoir »

pense Henri Dietrich, au moment où il redresse et se retrouve à 50 m du sol, sautant les bois, collant à la plaine, longeant un rideau de peupliers bordant une route où s'étire le sinistre cortège des réfugiés, de cet exode massif, fuyant les divisions de Panzers. Bref regard sur ses arrières : deux 109 sont encore là !

Un trou dans la lignée des peupliers. Brutal virage à droite et Dietrich passe au-dessus de la route, à 20 m d'altitude, où les malheureux, de cette triste cohue, qui se sauvent se jettent à plat ventre sur la route ou dans les fossés... pendant que le Bloch 152 refait le chemin inverse. Où sont les ennemis ?

L'un des pilotes allemands doit aussi être un champion du pilotage. Si Dietrich a semé les 4 autres, il en reste un... qui a encore des munitions et le Bloch 152 reçoit deux salves de balles et d'obus qui le transforment, un peu plus en écumoire, achèvent de pulvériser le tableau de bord, éclatent le pare-brise, mais l'avion vole toujours !

Un pont est là. Nouveau virage autour de cet obstacle construit par l'homme et, malgré le peu de chance qu'il lui reste de sortir vivant de cet enfer, Henri Dietrich, couvert d'huile se pose la question de l'essence car le tableau de bord, détruit depuis longtemps, ne lui donne plus aucune indication !

- « Qui va lâcher le premier, l'essence ou l'huile », pense Die­trich.

Tiens, mais il est seul ? Le dernier 109 l'a quitté après le tour du pont. Reste à rentrer. Un coup d'œil à sa montre. Il y a plus d'une demi-heure qu'il a rencontré les Messerschmitt 109 et l'essence doit être rare dans les réservoirs !

Il se retrouve presque en temps de paix, au temps joyeux où, sur les pistes en herbe de l'aéro-club, il décollait, pour son plai­sir, les petits avions !

Là-bas apparaît le petit terrain de Boos. Timide sourire sur le visage d'Henri Dietrich, noirci et figé par l'huile gluante.

Le Bloch 152 aussi a dû apercevoir le terrain. Son moteur n'en peut plus et semble dire au pilote :

- « Écoute, j'ai fait de mon mieux et je te ramène au terrain, maintenant à toi de faire le reste »

et, brusquement, les 1.000 cv se taisent pendant que l'hé­lice tourne encore lentement ne servant plus à rien...

Machinalement, Henri Dietrich appuie sur la commande de sortie du train d'atterrissage. Miracle, par les voyants de côté il sait qu'il est descendu et verrouillé. Malgré les morsures des balles, il semble intact. En vol plané, évitant la perte de vitesse, à 220 km/h, le Bloch-152 se pose et s'immobi­lise, mais personne ne sort de la cabine...

Au loin, les mécaniciens s'en étonnent et s'approchent. Henri Dietrich est affalé dans son habitacle retenu par ses bre­telles. Il a fourni en une heure, un tel effort nerveux que le relâ­chement lui enlève ses dernières parcelles d'énergie.

Tiré de son avion par des bras vigoureux, il perd connais­sance et se réveille allongé sur une table du bar où ses copains, tous revenus de la mission, fêtent le dernier rentré... et les vic­toires du groupe en cette journée du 5 juin 1940.

L'avion poussé sur le côté du terrain est examiné par tous. Les mécaniciens ont fait les comptes. Il a reçu 133 balles et 10 obus de 20, de quoi abattre 10 à 15 avions... 7 balles se sont écrasées sur la plaque de blindage montée derrière le pilote. Cette cloison de protection lui a sauvé la vie. Le fidèle Bloch 152 de Henri Dietrich sera brûlé, avec regret, par les mécani­ciens car absolument irréparable.

L’après-guerre d’Henri Dietrich

La guerre va encore durer 20 jours. Devant l'avance des armées d'Hitler, ce sont les replis successifs de terrain en terrain. Quand, le 25 juin, sonne l'heure de la défaite de la France, il est à Toulouse. Quelques jours auparavant, il est envoyé à Cazaux pour toucher un autre avion. Sur cette base, on lui recommande de faire très attention car la plupart des avions sortant d'usine sont sabotés suite au pacte d'Hitler-Staline... Triste époque !

Henri Dietrich, déjà réserviste à la mobilisation au début de la guerre, se trouve démobilisé et retourne dans ses foyers.

Dès la libération, il reprend du service comme instructeur, entraîne des pilotes français et israéliens. Il sera poussé à la retraite, comme Lcl, à 49 ans, en 1960, alors que, sur la base de Creil, toujours à la 10ème Escadre, il pilote encore un moderne chasseur à réaction, le Super-Mystère B2.

Qu'il est loin le Bloch 152 de la journée du 5 juin...

Sm b2
MD-452 "Super-Mystère B2"

Le petit sapeur-pompier, devenu colonel, appelé le "plom­bier" à cause de sa grosse entreprise de couverture, nous le retrouvons avec plaisir, presque chaque mois, au quartier général des "Vieilles Tiges", à l'Orée-du-Bois, où l'on ne parle que d'aviation.

Je lui ai demandé un jour la permission de raconter sa journée. Il a accepté et c'est fait !

Merci, Mon Colonel...


Jean HALLADE

Extrait de "Dans le ciel en feu" (Éd : X - Juin 1999)

Date de dernière mise à jour : 18/04/2020

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