J'en ai descendu un !

Après avoir opéré sur hydravion, l'auteur reçoit une affectation dans la chasse de jour.
Il rejoint alors le Squadron 118 équipé de Spitfire à Ibsley dans le Hampshire

5 avril 1941

Au matin, en patrouille de convoi au large de Portland, j'aperçois une mine venue sans doute en surface après un dragage, en plein sur la route des navires. Piquant à différentes reprises pour indiquer le danger, je vois enfin avec soulagement les colonnes de bâtiments s'en écarter. Quand tout le convoi a eu fini de passer, j'ai plongé sur la mine et ouvert, pour la couler, le feu de mes canons.

À l'instant même où, à une vingtaine de mètres d'altitude, je tire sur le manche pour recommencer la manœuvre, la mine explose et me secoue terriblement. De retour, mon mécano compte quelques dizaines d'éclats dans mon avion. Grâce à Dieu, ni le moteur ni l'hélice n'ont été touchés.

Mon chef d'escadrille m'a tancé d'importance. Heureusement, quelques heures plus tard, l'Amirauté a envoyé le message suivant :

- « Beaucoup de mercis pour destruction mine. »

Ceci compense cela !

7 avril 1941

Je suis chef de section ce matin, en alerte dans ma carlingue à l'orée de la piste. Que de factions stériles n'ayons-nous pas faites au milieu de la grande prairie ! J'en profitais aujourd'hui, l'encrier posé près du viseur, pour faire un peu de correspondance. Soudain deux petites détonations sèches, les deux fusées rouges montent au ciel.

Encrier, porte-plume, papier à lettres, voltigent, tandis que mon hélice fait ses premiers tours.

Décollé. Buittel est dans mes ailes. Ops nous ordonne de monter à 5.000. Le temps est très clair et, en effet, beaucoup plus haut, je peux voir un petit avion cap au sud qui regagne sans doute la France. Pleins gaz, nos Spitfire grimpent le plus vite possible.

Spit profil 1
Supermarine "Spitfire"

J'ai signalé à Ops la vue de l'ennemi. À peu près dans l'azimut du soleil, il est assez difficile à distinguer. C'est un appareil de chasse, nous gagnons à peine sur lui. Nous passons le rivage. À mi-distance du Havre, j'arrive à portée de tir. Je ne sais quel pressentiment me fait hésiter. Prenant encore un peu d'altitude, je m'aperçois que notre adversaire est un Spitfire que tout le monde, Ops compris, a pris pour un ennemi.

Comme chaque avion anglais, dès son décollage, est suivi avec précision par les centraux, cela prouve qu'il a échappé au contrôle. Renseignements pris, c'est notre propre Wing-commander qui fait ainsi une petite promenade matinale. Vu ses hautes fonctions, il n'a pas jugé nécessaire d'en informer le central.

J'espère qu'il a reçu un savon à l'échelle de son grade.

16 avril 1941

J'ai remporté une victoire cet après-midi. Mais je ne suis pas aussi content que l'aurais cru.

Sur l'aérodrome de Maupertuis, les Boston ont largué correctement leurs bombes sans rencontrer de chasse allemande sur le Cotentin. Nous étions à 6.000 pieds, quand l'un de nos Spitfire, trop à la traîne, est abattu soudainement par un avion de chasse ennemi venu du soleil.

Je suis numéro deux du Wing-commander Gleed. Je dois à la vérité de dire que nous ne sommes pas très amis. Ce petit colonel de 24 ans, que sa merveilleuse adresse et son autorité ont porté très vite dans les premiers rangs, est l'un des survivants de la bataille d'Angleterre. Mais le sens humain ne peut pas s'acquérir aussi vite que celui des corrections de tir.

Bref, notre camarade se parachute correctement et, arrivé à l'eau, déploie son dinghy, s'installe.

Pil dinghy 5
De nos jours, les dinghies ne sont plus de couleur jaune mais orange.
De plus, ils sont mieux équipés que ceux utilisés dans les années 40.

Dans un cas pareil il existe une procédure immuable. Deux avions restent sur les lieux, autant pour protéger le pilote que pour faciliter le repérage en vue des recherches. À cette distance de la côte du Devon (nous avions à peine quitté Guernesey depuis 5 min), il faut monter assez haut pour se faire radiogoniométrer par les stations anglaises.

Gleed a choisi de rester sur les lieux avec moi. L'escadrille rentre en Angleterre. Si notre faction doit durer trop longtemps, deux avions, après leur plein d'essence, viendront nous relayer, et ainsi de suite. Nous montons donc en spirale au-dessus du dinghy qui n'est plus, au travers d'une brume solaire assez épaisse, qu'un petit point jaune. 

- « Allo, Château, ici Rouge 1. A boy in the soup » (Un garçon est dans la soupe.)
- « May Day » (Mots conventionnels quelconques qui, assez curieusement, sont phonétiquement homonymes
     d'un appel à l'aide en français.)
- « Allo, Rouge 1, comptez pour le relèvement »
- « Un, Deux, Trois, Quatre … Dix »
- « OK, je vous rappellerai »

Cela veut dire que la station a bien entendu le Wing-Commander. L'azimut, de notre naufragé est repéré. Il va être communiqué d'urgence à la vedette rapide ou au Walrus de service.

Notre sauvetage est en bonne voie. Mon leader perd de l'altitude pour surveiller le dinghy de plus près. Nous sommes environ à 3.000 pieds, à la limite supérieure de la couche de bruine solaire, quand tout à coup il m'avertit :

- « Allô, Rouge 2. Attention, deux Jerries devant. »

Mon cœur a sauté. Gleed tire sur le manche, prend de l'altitude. Tout de suite, je vois les croix noires, les bouts d'aile carrés de 2 Fock-Wulf 190. Ils viennent en ligne de file, en sens inverse, un peu sur notre gauche et 300 m plus bas.

Fw queue jaune
Focke-Wulf 190

Je renverse à bâbord sèchement. Le hasard de la rencontre m'a très bien placé. Pleins gaz, avec l'accroissement de vitesse du piqué, je suis tout de suite sur le deuxième qui n'a pas eu le temps d'esquiver. II me semble maintenant, 6 h après, que mes canons trépidaient avant même que j'aie voulu ouvrir le feu.

Tandis que je tire le manche pour redresser mon piqué, un pointillé d'étincelles court sur le fuselage comme un axe, quelques flammes naissent sur l'aile droite. J'ai le temps de trouver l'avion ennemi très beau, avec son dos vert et ses croix soulignées. Il vire à la verticale, trop près de l'eau, touche de l'aile et percute dans une grandi gerbe d'écume.

L'autre est en ligne, droit devant, trop loin. Je voudrais gagner sur lui. J'attends, mais la distance semble augmenter. Je me rends compte maintenant que je n'ai pas du patenter plus d'une seconde. À 300 m, j'ai épuisé mes munitions. Sans espoir, à cette distance, de causer une avarie majeure à mon adversaire.

C'est fini. Je ne retrouverai ni mon leader, ni le dinghy. Je suis retourné machinalement sur les lieux sans rien voir. Mais avais-je encore la moindre capacité d'attention ?

J'étais soudain las, je tremblais. Je ne sais pas si d'autres ressentent ce même déclenchement de toutes leurs forces après un combat.

Gleed s'était posé depuis 10 minutes quand je suis rentré.

André JUBELIN


Extrait de « Marin de métier, pilote de fortune » (Ed. France Empire - 1951)

 

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Date de dernière mise à jour : 27/03/2020

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