Il réussit à en abattre un

Après avoir fait successivement, en sortant de l’école des radionavigants de Saint-Jean-d’Angély, un passage rapide dans deux escadrilles d’observation différentes, René Ployé vole désormais comme radio-mitrailleur sur Potez 63-11 au GAR I/35. Il est vrai qu’il a été formé par des anciens puisque au GAR II/33 où il est resté 3 mois, il a eu l’honneur de faire un vol de nuit avec le Cne de Saint-Exupéry. Ce n’est pas une affectation de tout repos quand on sait que les missions d’observation effectuées à haute altitude se terminent souvent en rase-mottes avec des chasseurs allemands aux fesses.

potez-63-11-a.jpg
potez-63-11-b.jpg
Potez 63-11

Dans ce bimoteur, le radio-mitrailleur est assis dans le dos du pilote à l’inverse du sens de la marche avec comme principale occupation, celle de protéger l’avion des attaques de chasseurs par l’arrière. Il dispose pour cela d’une mitrailleuse MAC avec 2 chargeurs de 100 cartouches de 7,5 mm ! Ce chargeur par sa forme et sa dimension était appelé "camembert".

mit-ar-63-11.jpg
Reconstitution par l'Association "Bataille d'un jour"
du poste du mitrailleur arrière du Potez 63-11 (Photo site de l'association)

Voici ce qui se passe ce 16 juin 1940 : un Me 109 a repéré le Potez et l’attaque par la gauche, les évasives, virages serrés, descente en piqué se succèdent, une occasion pour René d’armer sa mitrailleuse et, peut-être de faire parler la poudre. Mais ce Me 109 n’est pas seul et ce sont en fait 3 chasseurs allemands qui s’acharnent sur cet avion d’observation gênant. Finalement ils se retrouvent à quelques centaines de mètres d’altitude, dans la campagne, au nord de Montargis. À la première rafale de René, pas de réaction, pourtant l’avion était bien centré dans le collimateur, les passes des chasseurs se multiplient et il actionne la petite mitrailleuse qui crache des flammes en même temps que se vide le chargeur, les 100 cartouches du "camembert" suffiront-elles ?

Pendant ce temps, son avion a perdu de l’altitude, les évolutions sont plus serrées, il sera bientôt au ras du sol, et il entend les balles qui s’écrasent sur les plaques de blindage du Potez - il en a devant lui et une dans le dos - il lui semble aussi que son tir encadre bien l’avion ennemi qui se rapproche. Soudain, de la fumée sort du moteur du 109, non … il ne s’est pas trompé : l’avion dégage brutalement à gauche traînant un nuage de fumée noire, et il part en abattée … pour percuter le sol dans un champs de blé.

La course poursuite continue et ils sont 6 maintenant à s’acharner sur ce petit bimoteur rapide mais mal armé.

- « Je suis en train de changer de camembert quand je ressens comme un violent coup de poing dans l’épaule puis peu de temps après je sens le sang qui coule dans le dos. »

Et les passages de tir des 109 sont continus, tandis que le 63-11 fuit de toute la puissance de ses moteurs, en rase-mottes intégral. Ce qui console René c’est qu’il aura eu le temps de voir son ennemi touché et s’écraser au sol. Alors, oui ! Il a bien abattu son avion ! Lui, le radionavigant avec ses 60 h de vol dont quelques missions plus paisibles effectuées sur de vieux Mureaux.

Hélas il n’aura pas le loisir de raconter ses faits d’armes et de les arroser à l’escadrille, du moins pas tout de suite, car les 6 ont fait feu sérieusement à tour de rôle ou en attaques croisées. Le pilote se débat maintenant comme il peut pour trouver un axe dégagé et se poser, il a déjà coupé un moteur et le seul qui lui reste donne des signes de faiblesse. La chance pourtant sourit encore à cet équipage, car un champ avec quelques arbres épars se présente dans l’axe, l’atterrissage sur le ventre paraît envisageable. Brusquement, en pleine vitesse (300 / 320 km/h) l’avion devient incontrôlable, commandes coupées, et l’aile droite touche le sol. Après un grand arc de cercle et un cheval de bois, l’avion s’immobilise dans un nuage de poussière : il s’est cassé en deux. Heureusement ses camarades restés valides vont aider René à sortir de la ferraille. L’équipage évacue rapidement l’épave pour aller se cacher dans les blés. Les chasseurs, pas satisfaits, reviennent un par un pour mitrailler notre pauvre Potez.

Le danger enfin passé, le pilote met le feu à l’épave, avec les ‘’allumettes tisons’’ prévues à cet effet.

Le combat a duré un quart d’heure ; pour nous, un mauvais quart d’heure. Nous sommes tous vivants, mes compagnons ont seulement quelques coupures sur les mains et le visage provoquées par les éclats de plexiglas, et nous sommes bien contents de nous en être tirés à si bon compte. C’est moi le plus blessé. Nous nous dirigeons vers le village tout proche ; il s’agit de Saint-Germain-des-Prés à 8 km au sud-est de Montargis. Les habitants sont dans la rue car il paraît que les Allemands sont déjà dans la ville. Comme la pharmacie est encore ouverte, l’homme de l’art nettoie ma blessure et applique un pansement. Il soigne aussi les coupures de mes compagnons.

Il faut maintenant essayer de passer la Loire entre Gien et Sully soit à environ 35 km. Nous nous mettons en marche dans l’espoir de rencontrer des troupes amies, ce qui éviterait peut-être une longue marche. La nuit est tombée. Nous sommes sur une petite route ou après une demi-heure de marche nous apercevons une faible lumière. Il s’agit d’une ferme isolée où nous pénétrons dans la cour puis dans le bâtiment. Le fermier, plus très jeune, semble étonné par notre intrusion, il est assis devant la grande table de ferme, éclairée par une lampe à pétrole. Nous lui racontons notre mésaventure et notre intention de rejoindre notre Groupe. Nous avions remarqué, dans la cour, une petite voiture 5 CV des années trente (Peugeot ?). Le pilote oblige le fermier à nous donner son véhicule contre un bon de réquisition. Les commandants d’avion avaient toujours ce document sur eux en partant en mission. Nous avons beaucoup de chance car l’engin consent à démarrer.

Tout se passe bien pendant quelques kilomètres quand tout à coup, dans la lumière des phares, nous apercevons des véhicules blindés, des hommes en armes s’avancent vers nous … hélas ce sont des Allemands.

Nous voilà prisonniers ! Après nous avoir fouillés et pris nos revolvers, les Allemands nous conduisent dans leurs véhicules jusqu’à leur cantonnement installé dans une ferme. Nous sommes traités correctement - je crois avoir compris qu’ils étaient Autrichiens - Est-ce la raison ? … Me voyant blessé, un médecin est appelé et il vient me faire aussitôt une piqûre antitétanique, en ajoutant :

« Vous beaucoup bonheur ! » (la balle en traversant l’épaule est passée à un centimètre de la carotide).

Nous sommes conduits dans une grange pour coucher dans la paille. Le lendemain après un café noir - très léger - et des biscuits de guerre, on nous emmène à Montargis pour être intégrés dans une colonne de prisonniers ; ils sont là plusieurs centaines, ce qui nous fait réaliser l’ampleur de la défaite, mal ou peu informés, nous ne réalisions pas la situation ! En raison de ma blessure, on me fait monter dans une voiture hippomobile avec d’autres blessés, mais le cheval est épuisé, le cocher nous fera descendre pour qu’il puisse monter les côtes. Nous avons 30 km à faire pour atteindre Courtenay où nous sommes enfermés dans l’église pour y passer la nuit . Nous couchons à même le sol, … j’arrive à m’endormir malgré la douleur de ma blessure.

Le lendemain nous prenons la route pour Sens, mais au bout de 15 kilomètres, le cheval épuisé s’écroule ! … Il nous faut continuer à pied ! En arrivant à Sens nous sommes parqués dans le stade municipal et là, je rencontre un médecin français qui demande aux Allemands de me faire hospitaliser. Je suis conduit dans un petit hôpital installé dans le Lycée où je serai bien soigné.

L’armistice a été signé le 22 juin et grâce à la Croix Rouge j’ai pu envoyer une carte à mes parents pour les prévenir de ma position de prisonnier dans un hôpital à Sens.

Au début du mois de juillet un infirmier me conduit dans la cour où une visite m’est annoncée. C’est la surprise en voyant mon père s’avancer vers moi. Il ne perd pas de temps et me dévoile la possibilité d’évasion grâce à une aide extérieure. Pour trouver l’hôpital, mon père s’était arrêté dans une graineterie de la ville et avait, au cours de la conversation, posé la question des possibilités d’évasion avec leur aide. Tout de suite Madame Boucher qui tenait le magasin, accepte malgré le danger que cela représente. À la mi-juillet je reçois la visite de la dame avec son bébé dans un landau, elle me dévoile son plan. Quelques jours après, elle revient toujours avec son landau dans lequel elle a caché, sous le matelas, des vêtements pour deux. Elle nous demande de nous évader le soir même en nous indiquant le chemin pour rejoindre son domicile.

Entre chien et loup, avec mon camarade Kiffer qui devait m’aider à escalader le mur, nous nous retrouvons dans la rue et, pour ne pas nous faire remarquer, prenons une allure normale, décontractée, malgré notre envie de fuir à toutes jambes. Et le lendemain, avec l’argent que mon père m’avait laissé, nous prenons notre billet pour Paris. Tout à la joie de notre liberté, nous nous séparons sans même échanger nos adresses.

Comme convenu par correspondance avec mon père, il vient me chercher à Paris. Son sang-froid me permet de franchir le contrôle allemand avant Nancy, car je n’ai aucun papier. Au contrôle à Bar-Le Duc, il y va au bluff, il sort sa carte de retraité de la SNCF et en me montrant, il dit :

- « C’est mon fils ».

Vu mon jeune âge - je n’ai pas vingt ans - je ne parais pas suspect et nous arrivons à Nancy sans difficultés.

Nous sommes à la fin juillet et j’ai retrouvé un emploi où je travaillais avant la guerre, une entreprise de ferronnerie, de charpentes métalliques et d’entretien. Pour tous, j’avais été démobilisé et bien qu’en situation irrégulière - prisonnier évadé - il m’est arrivé de travailler au milieu des Allemands dans l’hôpital ou dans les casernes. Mais cette situation ne pouvait durer, je voulais passer en zone libre, car je pouvais me trouver embrigadé dans le STO.

En avril 1941, c’est à quatre que nous décidons de traverser la ligne de démarcation dans le Jura où nous pouvons passer directement en zone libre. Un ancien camarade d’école en revient, il est venu chercher sa femme, il va nous guider, il connaît un passage pour aller directement de la zone interdite, à la zone libre. Ainsi, nous traversons la ligne, en pleine nuit, dans les champs entre Champagnole et Ney au sud-est de Lons le Saulnier. Le lendemain je suis à Lyon et me rends au bureau de Garnison pour reprendre contact avec les autorités militaires françaises.

Je suis dirigé vers la Base de Toulouse-Francazal où, après quelques mois d’inactivité, je suis affecté au GAR I/52 à Marrakech. Je vais reprendre les vols ! … »

Voilà une aventure qui a été récompensée comme il se devait. Au Maroc où il a appris que les citations de 1940 ont été reprises dans certains cas, il demande, par la voie hiérarchique, à l’État-Major de Vichy pour savoir s’il a bien eu la croix de guerre qu’il a bien méritée ! La chance lui sourit encore, sa demande tombe sur le bureau du Cdt X, celui-là même qui commandait le GAR I/35 lors de sa dernière mission …

Quelques semaines après, il reçut ses deux citations dont une, avec palme pour la mission du 16 juin 1940, et avec le relevé de ses heures de vols de guerre : 7 h 50 m en 5 missions de guerre N° 1.

Mais il ne s’est pas arrêté là …

En juillet 1943, René Ployé est affecté au GB 2/23, l’un des deux groupes qui partaient en Grande Bretagne pour être, après instruction, incorporés dans le Bomber Command de la RAF. Il accomplira comme radionavigant, avec son équipage un tour complet d’opérations sur Halifax, soit 37 missions dont 28 raids de nuit et 9 de jour, ce qui lui valut 5 nouvelles citations dont 2 avec palme !

 

Robert NICAISE

Extrait du "Recueil de l’ADRAR" Tome 1

Date de dernière mise à jour : 17/04/2020

Ajouter un commentaire