Ce jour-là il pleuvait des briques
À cette époque, le Squadron 342 "Lorraine" opère à partie d'Epinoy à proximité de Lens.
Vols de jour, vols de nuit se succèdent à une cadence modérée par suite des conditions atmosphériques, mais quelle satisfaction ils procurent ! Nous nous enhardissons et attaquons des objectifs en Hollande puis, le 27 septembre, pour la première fois, en Allemagne. Les ordres de mission sont présentés selon le schéma habituel. Seule, la recommandation finale de ne pas lâcher les bombes en cas de non-identification de l'objectif est remplacée par la mention :
- « En aucun cas, ne ramenez les bombes. »
C'est bien la moindre des choses, n'est-ce pas ? Et, naturellement, Diot profite de l'occasion pour jouer un nouveau tour à sa façon. Il ne cesse de demander, alors que nous naviguons au-dessus d'une couche de nuages :
- « Où sommes-nous, "Petit-Pont" ? On est sur l'Allemagne, dis ? »
Après quatre appels, "Petit-Pont", exaspéré, répond :
- « Oui, on est sur l'Allemagne »
Pourquoi tant d'insistance à connaître la position ? C'est inhabituel chez ce bougre, uniquement préoccupé d'ordinaire à scruter le ciel et à s'assurer du bon fonctionnement de sa tourelle de mitrailleuse.
À l'atterrissage, "Petit-Pont" et moi comprenons, quand le capitaine Jeffredo, observateur de Bernard Citroën qui volait à quelques mètres derrière et légèrement en dessous de notre Boston, se précipite, couvert de sueur, en vociférant :
- « La guerre, c'est la guerre. On veut bien prendre des risques, c'est normal, mais voir passer des parpaings au ras des hélices, ce n'est plus du jeu ! »
L'explication est simple : Diot, aidé de son compère Caillot, avait ramassé et chargé à l'arrière du Boston - et à mon insu - quelques centaines de kilos de blocs de briques, restes des fondations d'une vieille baraque démolie, au risque de provoquer une catastrophe au décollage et, dès la certitude acquise du survol du territoire allemand, les avait fait glisser par la trappe inférieure. Dans son nez vitré, impuissant, Jeffredo avait assisté à la manœuvre.
Diot et Caillot sont penauds en apparence car, au fond d'eux-mêmes, ils se réjouissent d'avoir, à leur manière, renouvelé le geste de Ricardou lançant à sa dernière mission sa vieille jambe de bois, celle qui lui faisait mal, sur les Boches.
Jacques SOUFFLET
Extrait de "Un étrange itinéraire" (Éd : Plon)
Fils d'agriculteurs, Jacques Soufflet est né le 4 octobre 1912 à Lesboeufs dans la Somme.
Très tôt, il se destine à une carrière militaire et entre à Saint-Cyr à l'âge de 18 ans (promotion "Joffre" 1930-1932).
Il sert en AOF et, en 1939, à l'École d'Application de l'Armée de l'Air, à Versailles.
De la mobilisation à juin 1940, le capitaine Soufflet est adjoint au commandant de l'École de pilotage 101 sur l'aérodrome de Saint-Cyr.
Le 17 juin 1940, refusant la défaite et l'armistice annoncé par le maréchal Pétain à la radio, il s'envole de Royan, sur un Simoun, en même temps que ses camarades Ezanno, Préziosi, Gaillet et Moizan pour rejoindre l'Angleterre.
Jacques Soufflet
Nommé chef d'escadrille des Forces Aériennes Françaises Libres au camp d'Odiham, il rencontre le général de Gaulle le 23 août 1940 à Carlton Gardens en compagnie de Henri Gaillet. Tous deux se voient alors confier la mission, en raison de leur connaissance des lieux, de convaincre les aviateurs basés sur l'aérodrome de Dakar-Ouakam au Sénégal de reprendre le combat. Cette mission doit avoir lieu dans le cadre de l'opération Menace qui s'apprête à appareiller de Grande-Bretagne.
Le 6 septembre Jacques Soufflet quitte Greenock sur l'Australia et atteint Freetown le 17. Il est reçu de nouveau par le général de Gaulle le lendemain sur le Westernland.
Le 23 septembre, les capitaines Gaillet et Soufflet décollent de l'Ark Royal et posent leurs Luciole sur l'aérodrome de Ouakam ; très vite, l'opération échoue et les deux officiers sont faits prisonniers par les forces de Vichy de même que cinq camarades parmi lesquels Jules Joire et Fred Scamaroni. Ramenés en France, ils sont graciés le 28 décembre 1940.
Nommé inspecteur du commissariat général aux Sports, Jacques Soufflet entre parallèlement dans la résistance et, fin 1942, parvient à s'évader de France, par l'Espagne, pour rejoindre les FFL en Grande-Bretagne.
Affecté d'abord au Groupe de Chasse "Alsace", il y effectue cinquante missions offensives. Il prend ensuite le commandement du Groupe de Bombardement "Lorraine" et participe à la tête de ce groupe à cinquante nouvelles missions de jour et de nuit sur le front de l'Ouest.
Jacques Soufflet termine la guerre avec le grade de lieutenant-colonel et sert ensuite au cabinet du général de Gaulle.
Parallèlement conseiller à la Compagnie Air Transport puis à Air Algérie, il est élu sénateur (UNR) de Seine-et-Oise en 1959 ; il est réélu dans les Yvelines en 1968.
Président du groupe UDR du Sénat (1965-1971) puis vice-président du Sénat en 1971, il est ministre des Armées du gouvernement Chirac (1974-1975).
Membre du Conseil de l'Ordre de la Libération à partir de 1979.
Jacques Soufflet est décédé le 9 janvier 1990 à Neuilly-sur-Seine. Il a été inhumé à La-Croix-en-Touraine en Indre-et-Loire.
- Commandeur de la Légion d'Honneur
- Compagnon de la Libération - décret du 28 mai 1945
- Croix de Guerre 39/45 (7 citations)
- Médaille de la Résistance
- Médaille des Évadés
- Distinguished Flying Cross (GB)
- Air Medal (USA)
Date de dernière mise à jour : 18/04/2020
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