Pierre Houzé, un chevalier du ciel
- « Mon commandant, je ne serai jamais prisonnier. »
- « Mais voyons, Houzé, il n'y a pas de déshonneur, dans certaines circonstances, à être prisonnier. »
Le visage du Lt aviateur Pierre Houzé s'est éclairé d'un petit sourire :
- « Non, mon commandant, je ne serai jamais prisonnier. »
Cette conversation entre le Cdt Hugues, brillant pilote de la guerre 1914-1918 avec 12 victoires aériennes officielles, responsable du groupe de chasse 2/5 et le Lt Pierre Houzé, pilote de chasse aux "Cigognes" côtoyant dans ce groupe l'escadrille des "Sioux", se déroulait en mai 1940 alors que l'offensive allemande déclenchée le 10 mai à l'aube battait son plein et que nos chasseurs combattaient chaque jour dans le ciel.
Le Lt Pierre Houzé était arrivé comme pilote de chasse, en octobre 1937 sur la base de Reims et, rapidement, se faisait remarquer comme un pilote au-dessus de la moyenne.
Quand la guerre est déclarée à l'Allemagne nazie, le 3 septembre 1939, par la France et l'Angleterre, le Lt Houzé est toujours au groupe 2/5, héritier de la fameuse escadrille "La Fayette", créée le 6 décembre 1916, avec des volontaires américains venus se battre pour la France. Les "Sioux" et les "Cigognes" sont maintenant sur leur terrain de guerre à Toul - Croix-de-Metz, en Meurthe-et-Moselle, où les premiers combats aériens ne tardent pas à se produire.
Depuis le début de l'année 1939, sentant la guerre approcher, on se rend enfin compte dans le haut état-major que la chasse française, si elle a des équipages remarquables, possède un matériel volant inférieur, en performances, à la chasse allemande. Il y a bien le Morane-406, mais le Bloch-152 ne sortira que dans quelques mois. Si d'autres chasseurs à hautes performances sont en études avancées et certains au stade de l'essai-prototype, il s'écoulera encore de nombreux mois avant leur arrivée dans les escadrilles.
Morane 406
Bloch 152
Une mission française se rend aux États-Unis pour y acquérir un chasseur robuste, peut-être trop faiblement armé, mais équipé d'un moteur increvable d'une grande sûreté : le Curtiss P-36 qui deviendra en France le Curtiss H-75. C'est cet avion très maniable approchant les 500 km/h qui équipe le groupe 2/5 et que pilote le Lt Pierre Houzé.
Curtiss H-75
L'hiver arrive dès la fin octobre et la première neige recouvre le sol. C'est alors que le Lt Houzé va participer au plus grand combat aérien de la "drôle de guerre", période allant de septembre 1939 au 10 mai 1940.
9 Curtiss contre 27 Messerschmitt
Nous sommes le 6 novembre 1939. Il fait froid mais le temps est beau. Édouard Daladier, alors président du Conseil, vient ce matin-là décorer les pilotes du groupe car plusieurs ont déjà des victoires en combat aérien.
Comme le ciel est très clair, dans le courant de l'après-midi, un Potez-63 de reconnaissance est demandé pour une mission photographique sur la Sarre. Il faut se méfier des Messerschmitt 109 d'en face, très agressifs depuis quelque temps et une patrouille de protection est demandée au groupe 2/5.
Bientôt, s'envolent 9 Curtiss, 6 des "Sioux" et 3 des "Cigognes". Le chef de la patrouille est le Lt Houzé qui emmène ses chasseurs dans le ciel de Metz où, à 7.500 m, ils retrouvent le Potez-63 qu'ils doivent protéger. Au moment de pénétrer dans les lignes allemandes, et alors que le ciel bleu est parsemé de gros cumulus blancs, les yeux d'aigle de Pierre Houzé découvrent, à la même altitude que les Curtiss une vingtaine de Messerschmitt 109. Bientôt, il en aperçoit 10 autres à 1 km des premiers. C'est un groupe complet de chasseurs allemands que nos 9 Curtiss risquent d'affronter.
Messerschmitt Bf-109
Le Lt Houzé pèse ses chances. À 29 ans, c'est un vieux renard qui s'est acquis une solide réputation de pilote de chasse, plus soucieux de veiller sur ses pilotes que de courir après des victoires personnelles.
Le chef de patrouille demande à ses compagnons de prendre de l'altitude tout en profitant du soleil favorable. Ses deux ailiers le suivent mais les 6 autres ne semblent pas avoir compris la manœuvre et, au moment où le Lt Houzé revient dans leur direction, les Messerschmitt-109 déclenchent l'attaque. C'est la mêlée générale en un grand combat tournoyant. Les Français sont 9 et les Allemands 27.
Quand, vers 15 h 30, les Curtiss plus ou moins endommagés regagnent Toul - Croix-de-Metz, nos chasseurs ont remporté 10 victoires dont 8 sûres sans perdre un seul des leurs.
Le Lt Pierre Houzé n'obtient pas de victoire ce jour-là. En chef de patrouille, il revient trois fois dans la mêlée pour dégager quelques-uns de ses pilotes serrés de près par les 109. À la fin du combat, son avion est criblé de balles et un début d'incendie se déclare à bord. Il rentre au terrain. Son train d'atterrissage refusant de sortir, il se pose sur le ventre.
Gravement endommagé à la suite du combat, le Curtiss n° 5 du Lt Houzé se pose
sur le ventre en rentrant à son terrain de Toul - Croix-de-Metz (SHAA)
Le 11 novembre, Édouard Daladier revient à Toul - Croix-de-Metz, accompagné des généraux Vuillemin, chef d'État-major de l'Armée de l'air, d'Harcourt et Têtu pour féliciter les pilotes victorieux et leur dire que cette bataille du 6 novembre avait un grand retentissement, non seulement en France, mais dans le monde entier et principalement aux États-Unis où les journaux rappellent que ce groupe est le descendant du La Fayette de la Première Guerre mondiale.
Le terrible hiver 1939-1940 est maintenant terminé. Le printemps est là et, le 10 mai 1940, au petit matin, l'armée allemande se lance à l'assaut de la France. Le Lt Houzé se bat dans une arène à sa taille. Le 11 mai, il descend un bombardier bimoteur Heinkel 111, le 18 mai un Messerschmitt 109 et, le 20 mai, un autre bombardier Dornier 17. Quatre jours plus tard, c'est une nouvelle victoire sur un Messerschmitt 109.
Dornier 17
Heinkel 111
À chaque fois, la mort le frôle de près mais le sinistre camarade va avoir sa revanche.
Durs combats dans le ciel de l'Aisne
Le 5 juin la "Bataille de France" reprend. Il manque 10 jours au général Weygand pour mettre en place le dispositif de défense et, malgré des combats acharnés sur le sol de notre département de l'Aisne, les Allemands gagnent du terrain. Dans le ciel, le groupe 2/5 est aussi sur l'Aisne avec 20 Curtiss, 9 patrouillent sur le secteur Laon-Saint-Quentin emmenés par le Cne Destaillac, les autres sur l'axe Amiens-Saint-Quentin conduits par le Cdt Hugues en personne. Les Curtiss rejoignent bientôt 9 Bloch 152 et croisent ensemble, pendant près d'une heure, entre Noyon et Tergnier sans rien rencontrer quand deux petits avions de reconnaissance Herschel 126, appareil fortement blindé, se heurtent à la patrouille. Les deux Curtiss sont abattus mais le Bloch 152 du Sgc Cucumel est descendu par la DCA de petit calibre.
Au cours de cette mission, le Lt Houzé, et deux équipiers, repèrent des bombardiers Dornier 17 sur un terrain de campagne près de Malmaison, font une rapide passe au sol et deux Dornier 17 sont la proie des flammes.
Nous sommes le 6 juin. Dans l'après-midi, 15 Curtiss des "Cigognes" et des "Sioux" sont à nouveau dans le ciel de l'Aisne, accompagnés de 9 Bloch 152 le tout escortant une dizaine de bombardiers Lioré 45, attaquant le secteur Noyon-Coucy-le-Château.
Le "Curtiss" du lieutenant Houzé lors de sa dernière mission
le 6 juin 1940, dans le ciel de l'Aisne. Le pilote se prépare à décoller
Si deux Lioré 45 sont abattus par la DCA allemande, les chasseurs de protection sont, à leur tour, attaqués par des Messerschmitt 109. Les Curtiss bien groupés font face mais rapidement la formation éclate et la lutte se transforme en un ensemble de combats individuels. Le Lt Huvet abat tout de suite un adversaire mais le Sgt Hême, blessé par deux Messerschmitt 109, est dégagé in-extrémis par le SLt Angiolini.
LeO 45
Quand le combat cesse, au bout d'une vingtaine de minutes, 4 Messerschmitt 109 ont été abattus mais le pilote tchèque Sgc Janeba, dont le moteur a été touché, a de graves ennuis mécaniques. Il se pose sur le ventre entre les lignes, saute de son avion inutilisable et fonce vers le Sud. Après avoir couru pendant 2 km, il rencontre une section de soldats français et rentre à son terrain deux jours plus tard.
Mais le Lt Houzé ne rentre pas...
La fin héroïque d'un chevalier du ciel
Au cours du combat, le Lt Houzé se sépare de ses deux équipiers, les Sgc Queguiner et Janeba. Il les voit revenir vers lui et les trois pilotes ayant encore une bonne réserve de carburant décident de rester dans le ciel de l'Aisne au-dessus d'un triangle Chauny-Coucy-le-Château-Betancourt, où se déroule une furieuse bataille terrestre, espérant voir arriver des bombardiers ennemis et les attaquer pour soulager les troupes françaises au sol.
Bientôt, le Lt Houzé aperçoit au-dessus de sa patrouille 8 bimoteurs de chasse lourde Messerschmitt 110 à 3.500 m d'altitude. Pour les attaquer, avec ses deux équipiers, il grimpe dans le soleil à 4.500 m et, avec cette altitude supérieure, plonge sur les avions ennemis. 3 contre 8, c'est une proportion raisonnable en ce printemps 1940.
Messerschmitt 110
Au moment où le Lt Houzé arrive en position de tir sur un Messerschmitt 110 une formation de monomoteurs Messerschmitt 109, arrivée on ne sait d'où, attaque les 3 Curtiss. Celui du Lt Houzé est mis en flammes à la première rafale.
Le Sgc Queguiner aperçoit l'avion de son Lt passer sur le dos, le pilote s'éjecter et ouvrir son parachute. Pris en chasse par un Messerschmitt-109, Queguiner perd de vue son chef de patrouille et rentre au terrain.
Accroché à son parachute, le Lt Houzé descend et regarde le sol où se déroule la bataille cependant que son avion s'écrase dans un champ, près de la route reliant les communes de Saint-Paul-aux-Bois et Besmé. Chez qui tombera-t-il ? Avec ses compatriotes ou chez les Allemands ? Instinctivement, il tâte sa poche revolver car pour lui « il n'est toujours pas question d'être fait prisonnier ».
La chance, pour l'instant, est de son côté. Il prend contact avec le sol, sur une prairie en pente, à 300 m d'un petit bois où sont retranchés une trentaine de dragons motorisés, près du village de Besmé, et qui tiennent en arrêt les Allemands depuis le matin.
Dragons motorisés lors d'une reconstitution historique
II se jette à plat ventre et, par bonds successifs - car la bataille fait rage - atteint le bois. Un jeune lieutenant, le mousqueton à la main l'accueille. C'est l'officier qui commande le détachement. Il tend la main à Houzé :
- « Vous avez eu beaucoup de chance, à quelques centaines de mètres vous étiez chez eux ».
Les obus de mortiers allemands commencent à tomber aux alentours et Houzé, en connaisseur, admire cette troupe décidée à se battre que l'ennemi n'a pas encore encerclée.
- « C'est une mission retardatrice ? " demande Houzé au jeune officier.
- « Oui, il faut essayer de gagner du temps pour établir la ligne de résistance sur la rivière Aisne mais nos motos sont à l'intérieur du bois, avec un side-car, je vais vous faire conduire à l'arrière.
- « Non, répond tranquillement le Lt Houzé, il n'en est pas question, je reste avec vous. J'ai appris aussi à me battre à terre, mais donnez-moi une autre arme que mon revolver 7.65, voulez-vous ? »
Le Lt de dragon, après un moment d'étonnement admiratif, lui donne le mousqueton d'un soldat blessé. Il est un peu plus de 17 h.
Voilà que la bataille reprend et qu'un guetteur signale l'arrivée de renforts chez les Allemands. Un petit avion d'observation Henschel 126 essaye de repérer l'importance des positions françaises. L'assaut ne tardera pas et la petite troupe risque d'être submergée. Il va falloir décrocher sans pouvoir attendre la nuit.
Henschel 126
Tous attendent que le Henschel 126 se soit éloigné et, empruntant un sentier sous-bois gagnent la direction des motos et des side-cars. Il va falloir traverser un terrain découvert. Un peu plus loin, le village que l'on aperçoit, c'est Besmé encore tenu par les troupes françaises.
Alors que la canonnade reprend, les engins sont mis en marche. Le Lt Houzé saute en croupe d'une moto que pilote un Sgt ayant en travers du guidon un fusil-mitrailleur approvisionné.
Tout se passe bien dans le petit bois mais, à l'extrémité de la prairie, un feu nourri se déclenche sur eux. L'ennemi a déjà contourné la position. Des balles claquent partout et, brusquement, le Sgt s'affaisse sur sa moto qui se renverse avec le Ltt Houzé. Simplement étourdi, Houzé se relève et prend le fusil-mitrailleur. À moins de 50 m, des uniformes gris-vert de l'armée allemande. Le Lt Houzé, le fusil-mitrailleur sous le bras, s'élance au-devant en tirant.
Des Allemands surpris sont abattus. Assisté de quelques camarades qui ont fait demi-tour pour venir le dégager, l'ennemi recule en tirant une dernière rafale. Le Lt Houzé s'écroule sur l'herbe verte sans un cri.
Grièvement blessé, ses camarades l'emportent vers les premières maisons de Besmé et le couchent dans une baraque. Deux heures plus tard, il expire.
Le Lt Pierre Houzé avait tenu son serment : il n'avait pas été fait prisonnier.
Le souvenir
Dans la nuit, les troupes françaises évacuent Besmé pour se replier sur la rivière Aisne sans avoir le temps de lui donner une sépulture. Quand les Allemands occupent le village, évacué de ses habitants, ils trouvent le corps et l'enterrent tout près, derrière le monument aux Morts.
Au retour d'évacuation, après la signature de l'armistice le 25 juin 1940, et la France occupée, Mme Houzé chercha à savoir ce qu'était devenu son mari. Était-il prisonnier ? Certainement pas, il n'était pas recensé dans aucun camp !
Par son groupe de chasse, le 2/5, elle apprit le lieu présumé où il avait été abattu et vint à Besmé. On chercha. Il y avait bien une tombe derrière le monument aux Morts, mais elle était anonyme, portait une simple croix avec un casque de soldat français. Est-ce là que reposait Pierre Houzé ? En cherchant encore, on trouva dans la baraque parsemée de taches de sang, un petit foulard avec l'insigne du groupe 2/5. Le Lt Pierre Houzé reposait bien sur cette terre de Besmé, à l'ombre du monument où sont inscrits "Ceux" de la Première Guerre tombés en 1914-1918.
Une cérémonie intime se déroule en présence de Mme Houzé. Comme il était impossible d'emmener le corps à l'église, le curé du village voisin de Manicamp vint bénir la tombe et réciter la prière des morts.
Pendant des dizaines d'années, Mme Houzé viendra fleurir la tombe de son mari, cet héroïque français.
Pierre Houzé, 1911 - 1940
Son nom a été donné à la promotion 1960 de l'École militaire de l'air
Date de dernière mise à jour : 17/04/2020
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