Voler sur Vautour
Je ne pourrai ici évoquer le Vautour N chasseur de nuit, sur lequel je n’ai pas volé. En revanche, et parce que l’expérience fut plaisante, je donnerai mes impressions sur le Vautour B et surtout le Vautour A, monoplace d’attaque.
En prélude aux ravitaillements en vol sur le bombardier stratégique Mirage IV, il était utile, en ces années 60 de s’entrainer pour cette phase, en utilisant les Vautour A monoplaces dont certains avaient été modifiés par l’adjonction d’une perche sèche nasale (les Mirage IIIB équipés de perches ne vinrent que plus tard).
Le V2A avec perche sèche (Coll. M. Fluet)
Les chasseurs qui tentaient d’intercepter le biréacteur étaient étonnés par ses performances apparentes : il croisait imperturbablement à 0.92 de mach à 42.000 pieds sur de longues distances. Combien de longues poursuites durent être abandonnées faute de carburant …
Je fus heureux de connaitre enfin cette machine, en 1966, au moment où j’effectuais mes premiers vols sur le Mirage IV. Sa cabine, rustique, me rappelait fâcheusement celle de l’Ouragan, mais rapidement je découvris que le monstre, à moyenne ou faible masse tournait merveilleusement la voltige où son rapport masse/puissance jouait favorablement en sa faveur. Son pilotage était agréable.
De l’avis des utilisateurs chevronnés, sa stabilité naturelle, au cours de missions de tir air/sol et de bombardement à basse altitude révélait une plate-forme de tir de qualité. J’appréciai le confort du vol à basse altitude et à 500 kt et la présence rassurante d’un navigateur, actif dans le nez vitré, qui permettait de se concentrer sur le pilotage.
Quelques missions photos sur les châteaux de France donneront de grandes satisfactions au chasseur que je suis, quoique moins "intelligent" que ceux de la reco, parait-il (vieille histoire résultant d’un mot malheureux, mais qui fera florès…). Elles constitueront un excellent prélude aux missions de photos stratégiques en Mirage IV auxquelles je goûterai plus tard. Les pilotes d’essais israéliens, Benjamin Peled et Dany Shapira (que nous connaissions bien depuis Dijon), vinrent évaluer le biréacteur en juillet 1956. Ils virent immédiatement le formidable potentiel opérationnel qu’il représentait, le monoplace A surtout. Avec ses 4 canons de 30 millimètres, et l’emport possible de 316 roquettes de 68 millimètres (240 en soute ventrale et 76 en 4 pods) ou 10 bombes de 400 kilos, il avait quasiment la puissance de feu d’un … croiseur ! De plus, les 10.000 litres de carburant emportés lui donneraient un rayon d’action conséquent et une distance de convoyage de 2.800 kilomètres, à rapprocher de la distance séparant la France et Israël.
Pour l’anecdote, le premier vol d’évaluation de Benjamin Peled eut lieu sur l’avion 09 de pré-production, lequel était équipé de réacteurs RR Avon de 4.500 kg de poussée (au lieu des Atar normaux de 3.500 kg…). Le pilote fut impressionné par le temps de montée à 40.000 pieds de 5 minutes. Fantastique pour l’époque !
Curieusement posé sur son train monotrace qui donnait à l’avion une incidence au sol de 6°, l’avion, la puissance affichée, décollait de lui-même à la vitesse nécessaire et donnait l’impression de monter comme un ascenseur, sans changement d’assiette perceptible.
À l’atterrissage, le calcul de la vitesse d’approche, en fonction de la masse d’atterrissage, était recommandé, et même nécessaire sur le A, à cause de différences de configuration de voilure, de moteur, et de masse à vide entre les quelques avions de type A disponibles à l’unité. Ainsi l’avion se présentait de lui-même à l’incidence optimale et touchait doucement du diabolo arrière puis de l’avant une seconde après. Le roulage était facile sauf par fort vent de travers où les réactions des balancines déroutaient quelque peu.
La procédure de ravitaillement en vol (fictive, perche sèche), était grandement facilitée par la stabilité naturelle de l’avion et sa forte motorisation, et les pilotes prirent plaisir à prolonger les contacts avec le panier du tanker, jusqu’à plus de 20 minutes, virages compris. Une école de patience qui préparerait aux prises de carburant de 13 t sur Mirage IV autrement moins faciles
Quelques surprises étaient réservées aux nouveaux venus : après une longue navigation à haute altitude, il était courant, malgré les précautions prises, sans doute insuffisantes, de terminer le vol avec une verrière complètement couverte de glace, laquelle ne disparaissait pas, en descente vers le terrain. Heureusement, il suffisait d’effectuer une courte accélération à 500 kt pour transformer la glace en bonne pluie dans le cockpit.
Je pris ainsi de l’expérience au cours d’une mission "d’attaque au sol" d’un objectif en Corse du sud et retour à Bordeaux, puis d’une prise de photos d’un château fameux des Hohenzollern du coté de Munich …
Je découvris une surprise plus fâcheuse avec le Vautour A, dont les prises statiques, situées sur la perche de ravitaillement, givraient parfois en altitude.
Une procédure efficace, mais hasardeuse alors s’imposait, afin de compenser la perte de toutes informations anémométriques, vitesse indiquée, altitude et variomètre… Descente à une puissance moteur donnée et une assiette connue, jusqu’à une altitude de 6.000 pieds déterminée au chronographe. Ensuite, le pilote dépressurisait sa cabine afin de lire l’altitude réelle sur son altimètre cabine, ainsi mis à l’air libre. Enfin une courte accélération à 500 kt réglait le problème.
Heureusement, ces inconvénients étaient surmontés grâce à l’autonomie en carburant de l’avion, et pardonnés, pour les joies et agréments dispensés par le "bestiau" !
Je fis ainsi une bonne douzaine de vols, grâce à la complicité du bon Soubeyrant, commandant de l’escadrille des Vautour A, mais en échange de …futurs tours de Mirage IIIB.
Gens honnêtes s’abstenir.
Maurice LARRAYADIEU
Date de dernière mise à jour : 15/04/2020
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