Vol critique
Il s’agit de quelques minutes critiques en vol entre Saint-Didier et Avord le vendredi 26 mars 1970, quelque-part au-dessus des Vosges.
Dans la semaine du 26 mars 1970, j'étais le responsable technique d'un détachement de Mirage III B, avec une douzaine de mécaniciens, à Saint-Dizier, base où était stationné un escadron de bombardiers Mirage IV.
Sur ces appareils, l'entraînement coûte une fortune. Aussi les équipages devaient s'entraîner sur biplace. Le Mirage III B était un avion de chasse monoréacteur beaucoup plus économique que son grand frère bombardier. Mais son pilotage, ses équipements et son fonctionnement étaient assez similaires.
Les équipages s'entraînaient donc sur les Mirage III B mis en place par nos soins périodiquement, pendant une semaine.
Mirage III B
Je ne sais pas comment c'est actuellement, mais à l'époque, nous avions beaucoup de problèmes techniques, de toutes sortes. Au milieu de la semaine, sur l'un des appareils, il y avait eu un problème de transfert de carburant : l'un des deux réservoirs extérieurs ne transférait pas.
Pour les exercices, pas de problème, car on pouvait bien s'en passer. Mais pour le retour en fin de semaine, il y avait deux solutions :
- Soit laisser cet appareil sur place avec quelques mécaniciens en attente des pièces à remplacer,
- Soit prendre le risque de rentrer comme ça, sachant qu'avec les réservoirs internes, normalement il y avait largement assez de pétrole pour rentrer à notre base.
En accord avec le chef pilote, le Cne Préville, nous avions opté pour la deuxième solution.
Comme à l'aller, en tant que mécanicien, j'étais en place arrière. Le Cne Préville était devant, en place pilote. Un autre Mirage III B était juste derrière nous avec l'Adc Etchéto plus un mécanicien. En bout de piste, nous avions dû attendre longtemps avant d'avoir l'autorisation de décoller, et moi je m'inquiétais déjà pour le carburant consommé pour rien en attente.
Aussitôt après le décollage, un autre problème grave : panne radio totale. Circonstances aggravantes, il y avait une couverture nuageuse sur tout le Nord de la France. Seule solution, prendre de l'altitude, car il y avait du relief partout. Au bout de quelques minutes, nous nous étions retrouvés au-dessus de la couche, avec un soleil éblouissant à l'horizon.
Mais nous ne savions plus très bien où nous étions, quel cap prendre pour avancer vers notre destination, cap à l’ouest seulement.
À cette époque il n’y avait pas de radar de bord, pas de GPS, pas de centrale gyroscopique. Et dans de telles circonstances, seules les informations radio en provenance des opérateurs de la circulation aériennes, en se basant sur notre position suivie au sol par un radar pouvaient nous guider. Mais sans radio, impossible de recevoir leurs directives. On ne savait donc plus quoi faire. Moi j'avais l'œil rivé sur la jauge de carburant.
Le Cne Préville s'énervait. L'interphone nous permettait de communiquer entre nous. Il se demandait comment sortir de ce piège : faire des triangles dans le ciel pour signaler notre position de détresse majeure ?
C'est à ce moment-là que j'ai commencé à penser que ça pouvait tourner mal. Plus que 15 minutes de carburant et toujours perdus au-dessus des Vosges. J'ai pensé à ma famille, à mes enfants, à ma vie suspendue à un mince fil... d'espoir.
Je m'étais préparé à l'éjection avec mon siège éjectable. J’avais tâté à la main toutes les manettes qu'il fallait connaître... J'étais prêt... et, au cas où l'éjection se passerait bien, il fallait encore penser à l'arrivée au sol ou dans l’eau. Au-dessus des Vosges, il y a beaucoup de lacs (ex. Gérardmer) et, en mars, la température de l’eau est basse.
L'opérateur radar qui suivait notre trajectoire a finalement compris qu'il fallait agir vite, et a indiqué notre position au 2ème avion qui se demandait où nous étions passés. Enfin, après de longues minutes d'attente, d'un seul coup, j'ai vu, à ma gauche, tout près, le Mirage III B envoyé pour nous guider. Quel bonheur.
Mais le suspens subsistait, car il ne nous restait presque plus de carburant. L'Adc Etchéto heureusement a pris l'initiative de passer au régime le plus économique possible et en faisant une descente longue vers le terrain le plus proche, tout en retraversant la couche de nuages.
Toujours dans le coton, nous avions failli nous perdre au moment de la sortie du train d'atterrissage. En fait, Etchéto avait sorti son train d’atterrissage sans pouvoir nous prévenir. Ceci l’avait momentanément freiné et nous sommes donc passés devant. Seule, la présence d'esprit extrêmement rapide du Cne Préville avait réussi à rétablir la situation. Après quelques secondes nous avions repris notre position, aile dans aile, pour ne pas nous perdre de vue dans les nuages.
Au bout d'un moment, sous, la couche, nous avions commencé à voir le sol, et juste droit devant, il y avait une longue piste d'atterrissage, avec tout un dispositif de secours qui nous attendait : pompiers, ambulances etc.
Tous les autres avions en vol avaient été déroutés pour nous accorder la priorité d'atterrissage.
La jauge de carburant était à zéro. Curieusement, dès le toucher des roues sur la piste, notre radio s’était remise à fonctionner normalement.
On l'avait échappé belle ! Je n'oublierai jamais.
Pierre Le NY
Date de dernière mise à jour : 15/04/2020
Commentaires
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- 1. Pierre-Emmanuel Preville Le 27/03/2024
Bonjour,
Je suis le petit-fils du capitaine Preville. Mirage III, base d’Avord et dates coïncident. Merci beaucoup d’avoir posté cette histoire, si vous avez d’autres anecdotes je suis preneur !
Bien à vous !
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