Une histoire de valise
Cela s'est passé sur la base de Colmar-Meyenheim en 1956, Base Aérienne 113 commandée par le colonel Rouquette. Cette base toute neuve venait d'être terminée dans le cadre du NATO avec une belle piste de 2.400 m. La 13ème Escadre y était en formation sous les ordres du commandant Joseph Risso, héros du "Normandie Niémen". Cette escadre de chasse "tous temps" devait être dotée de F-86K fournis par les Américains. Nous ne les avions pas encore reçus et nous étions stationnés provisoirement sur la base de Lahr en Allemagne.
Nos pilotes venaient de diverses escadres (personnellement je venais de la 9ème EC basée au même endroit, dotée de F-84E puis G). Pour les préparer au vol aux instruments les Américains nous avaient livré une douzaine de T-33.
J’étais lieutenant et commandais cette escadrille d'entraînement au VSV, destinée elle aussi à rejoindre Colmar. J'avais quelques mois auparavant, effectué avec un autre pilote le stage Jet Instrument Instructor School sur la base de Fürstenfeldbrück près de Munich.
Au cours de ce stage sur T-33, nous faisions des exercices de panneau partiel. Il y avait notamment un exercice d'aural null. Cela consistait à supprimer la fonction automatique du radiocompas et à rechercher le minimum de son en orientant manuellement l'aiguille. Cela fonctionne très bien lorsqu'il n'y a pas trop de vent. Mais ce jour-là, avec mon moniteur américain en place arrière, nous avions à 30.000 pieds un jet stream de plus de 200 nœuds dirigé vers l'est. Il faisait heureusement un temps épouvantable et nous étions dans la couche. Cette fichue aiguille ne voulait pas s'écarter pour nous indiquer l'approche de la verticale de la base. Finalement, nous avons dû passer une bonne vingtaine de minutes en Tchécoslovaquie. Les radars russes avaient dû nous apercevoir, mais à l'époque ils n'avaient pas de missiles suffisamment performants. Ayant remis le radio compas sur automatique, il nous a fallu plus d’un quart d'heure plein ouest pour rejoindre Munich.
Nous faisions avec ces T-33, de fréquentes rotations entre Lahr et Colmar. Certaines au détriment de la douane, ce qui m’a valu quelques ennuis.
Un jour le commandant Risso me demande l'amener à Colmar. Il avait une valise PN un peu trop grande pour être glissée dans la soute à bagages. Il me dit :
- « Ce n'est pas grave je vais la prendre sur les genoux en place arrière ».
Décollage et vol sans problème, temps superbe, nous approchons de Meyenheim et au lieu d'effectuer une branche vent arrière tranquille, je décide de faire comme à l'accoutumée un break. Nous voici à 1.500 pieds face à la piste.
J'incline brusquement l'appareil sur la gauche de presque 90° en tirant sur le manche et en sortant les freins de piqué. Cette manœuvre aurait dû normalement donner un peu plus de 3 G. Je n'avais pas réalisé que la valise était ainsi devenue trop lourde. Le commandant Risso n'a pas pu l'empêcher de venir s'appuyer sur le manche qui entre ses jambes était déjà en position arrière. C'est là qu'elle a rencontré le trim de profondeur qu'elle a déroulé complètement vers l'arrière. Combien de G avons-nous alors subi et quel effort sur le manche vers l'avant avant de pouvoir redresser l'appareil et le maintenir, malgré le réglage du trim, une fois la vitesse réduite. Je ne m'en souviens plus. Comment n’avons-nous pas décroché ?
Le reste du circuit et l'atterrissage se sont par la suite déroulés sans problème. Il n'y a pas eu de débriefing seulement un petit sourire complice.
Par la suite, sur des appareils à double commande, je n'ai jamais toléré que l'autre pilote ou que le passager ait un objet quelconque sur les genoux.
Maurice CAVAT
Date de dernière mise à jour : 06/04/2020
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