Un pilote exceptionnel
Gilbert Pagnot a été certainement le pilote le plus doué de notre génération. J'ai passé environ deux ans avec lui au sein de la "Section Chasse" du Centre d'Expériences Aéronautiques Militaires (CEAM) au cours de l'expérimentation du Mirage III C. J'ai en mémoire certains vols effectués de concert et quelques unes de ses présentations en vol. Lorsqu'il est arrivé à Mont-de-Marsan en provenance de la 7ème escadre de chasse de Bizerte, il espérait faire au moins du Mystère IVA... Il a réalisé bien autre chose !
Je me souviens de son "lâcher" SMB2. Il était affecté au Groupe Support Réacteur (GSR). Nous étions plusieurs pilotes devant la "Section" lorsqu'il est arrivé "au break". Un break tellement serré qu'il a disparu derrière le hangar situé à notre gauche. Nous nous sommes précipités, persuadés qu'il s'était planté... Arrivés sur le parking, il est passé devant nous... Il s'était posé tranquillement ! Le lendemain le break était encore plus serré ! Il en fut ainsi pour tous ses lâchers.
Ce garçon avait quelque chose de plus que nous, mais il était incapable de l'expliquer. En octobre 1962, il nous a été demandé, à tous les deux, d'effectuer des tirs canons en léger supersonique sur cible "Soulé", alors en expérimentation à Cazaux. Remorquée par un SMB2, elle était présentée en ligne droite et nous commandions le break peu avant la distance de tir. Il fallait serrer très fort car la cible se dérobait très vite à l'intérieur du virage : il était donc impératif de dégager rapidement. La cible "Soulé" n'étant pas encore "acoustique", nous avons tiré pas mal d'obus en pure perte... Seul Pagnot eu un impact sans doute dû au hasard. Au cinq ou sixième tir, j'ai compris ce qui se passait et je l'ai expliqué à Pagnot pour qui le compte-rendu de vol était toujours succinct. Lors du break du remorqueur, le câble de remorquage (1.200m !) s'allongeait et la cible était renvoyée vers l'avant à l'intérieur du virage serré du "biroutier". Il fallait donc viser en avant de la cible et la laisser entrer dans le champ du viseur tout en serrant le virage.
Au vol suivant, j'étais leader à la première présentation. Dès que j'ai appuyé sur la détente, j'ai su que j'allais "faire mouche". La cible a explosé entièrement et je suis passé, sans doute, au milieu des morceaux. Les tirs supersoniques ont étés arrêtés. Nous avons tiré jusqu'à Mach 1.2. Reprise plus tard en subsonique, la méthode de remorquage a été changée : remorqueur en virage à inclinaison constante, donc plus d'à-coups !
Pagnot est devenu le présentateur du Mirage III C ou III B. En toutes occasions, tous ceux qui l'ont vu à l'oeuvre doivent s'en souvenir : c'était exceptionnel et ça se terminait par un break en 30 ou 32 secondes au toucher des roues. Mon humble record doit être de 50 secondes !
En dernier virage, Il donnait deux, voire trois, petits coups de post-combustion ("PC"). Un observateur averti et bien placé était persuadé qu'il "overshootait" le virage final... que nenni !
C'est à Reims que je lui ai vu exécuter une dernière présentation lorsque les Russes ont rendu au "Normandie-Niemen" leur visite effectuée auparavant par... des III C de la 10 ème escadre, car on ne pouvait pas envoyer à Moscou les vieux Vautours de "la 30". En URSS, sa démonstration en vol avait été également en tous points remarquable (dixit les pilotes de "la 10").
En août 1967 la 5ème escadre nouvellement dotée de M IIIC fit sa première campagne de tir à Solenzara. Habilité à voler sur cet avion j'avais demandé à tirer. La réponse avait été : « Quand nous serons tous qualifiés. ». Cela étant fait, on me proposa un tir air-air. Pagnot était assez dépité car les pilotes de l'escadron perdaient beaucoup de temps par des "norias" trop larges : souvent la deuxième patrouille n'arrivait pas à tirer car le SMB2 remorqueur n'avait plus de pétrole. Je demandais à voler avec Pagnot, ce qui fut accepté. Tout le monde savait qu'il était peu bavard et très avare de détails. Questions de ma part au briefing : « Quel étagement tu prends ? -.. .Bof... ça dépend... Quel écartement ? - … Bof... ça dépend... Quelle vitesse sur la perche ? - …ça dépend... »
Ça va j'ai compris. Il faut faire comme lui !!! Mise en place à l'intérieur du virage du remorqueur. Il part. J'attends qu'il soit à peu près à distance de tir et j'y vais... Je le vois cabrer fortement après avoir dégagé et passer à l'intérieur sur le dos. J'ai compris : nous avons tiré huit ou dix fois en effectuant des "barriques" autour du remorqueur et derrière nous la patrouille suivante a pu tirer également. De débriefing il n'y en a pas eu. On s'était compris une fois de plus. Un simple RAS figura sur le cahier d'ordres ! Sacré Gilbert ! Tu as souvent fait notre admiration.
Aprés "la 5" il est revenu au CEAM. Puis, à la retraite, il est entré chez Dassault où il faisait les écoutes des vols d'essais. Pilote hors pair il était aussi un athlète, un sportif accompli.
Peut être avait-il mené la "Bête" trop durement car il est mort sous la douche après un match de tennis.
Comme, beaucoup d'entre nous, j'aurais aimé le voir dans un avion aux commandes électriques...
André BOISNAUD
Date de dernière mise à jour : 06/04/2020
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