Une mission pas comme les autres
Un pilote de Transall, commandant le groupe de transport opérationnel à Douchanbé, raconte une mission pas comme les autres sur le théâtre Afghan.
Ce jour-là, je reçois une demande de mission au profit de l’ISAF (International Security Assistance Force - Force internationale d'assistance à la sécurité). Le message émane du chef de la Tasking branch, un colonel américain, ce qui me donne déjà une indication sur l’importance de cette mission. Elle consiste à amener un haut dignitaire afghan et sa délégation sur le terrain de Chakhcharan, dans le centre de l’Afghanistan. La préparation de la mission requiert encore plus de soin qu’à l’habitude car le terrain de destination est isolé, les infrastructures quasi inexistantes et les massifs montagneux mettent les performances du Transall à rude épreuve. Les mesures de sécurité sont, quant à elles, très strictes. Les passagers doivent être scannés à l’escale aérienne de Kaboul, leurs munitions récupérées et scellées dans des caisses avant qu’ils n’embarquent.
De véritables risques pèsent sur cette mission puisque les autorités afghanes constituent des cibles de choix pour les insurgés. Il peut s’agir d’une menace sol-air, ou même d’un ennemi infiltré au sein de la délégation. Ainsi, des fusiliers commandos du détachement viennent renforcer l’équipage en tant qu’observateurs à bord, mais également pour assurer la sécurité de la cabine de pilotage.
À l’aube, près d’une heure avant le décollage, un officier renseignement réalise un briefing détaillé pendant que les services aéroportuaires assurent le dégivrage de l’appareil, les conditions climatiques régnant à Douchanbé depuis deux semaines étant particulièrement rudes. Arrivé à Kaboul, je demande à l’équipage de préparer la prochaine étape et je vérifie que mes passagers sont prêts à embarquer. Les afghans sont culturellement très attachés à leur armement et ne comprennent pas qu’il va falloir s’en séparer le temps du vol. Des discussions se tiennent et grâce au sang-froid et aux conseils avisés du détachement de protection qui m’accompagne, une solution est rapidement trouvée. L’embarquement peut finalement avoir lieu. À l’atterrissage à Chackcharan, un imposant comité d’accueil attend nos passagers de marque sur le tarmac.
La deuxième étape de notre mission ne devait être qu’une formalité. Elle consiste à rejoindre Herat, à l’ouest du pays, pour embarquer des soldats italiens et les ramener à Kaboul, avant de rentrer sur Douchanbé. Après le décollage, nous montons jusqu’à notre altitude de croisière. En ce début d’après-midi, la météo est parfaite pour apprécier le paysage des massifs enneigés, certains atteignant près de 6.000 mètres d’altitude. Quand soudain un voyant situé sur le panneau supérieur du mécanicien navigant s’allume, nous signalant que le moteur gauche vibre au-delà des tolérances. En cabine, l’incrédulité laisse place à l’inquiétude. Ces vibrations émanent du cœur même du moteur. Alors que l’alarme est plus souvent liée à un problème d'indicateur qu’au moteur lui-même, le voyant du bandeau des alarmes est resté éteint et le répétiteur de panne muet. Il a donc fallu toute la vigilance du mécanicien-navigant pour s’apercevoir du problème.
Je tente, en vain, de faire varier le régime moteur. Nous décidons alors de faire demi-tour, plutôt que de nous aventurer plus avant au cœur des massifs montagneux. Le terrain de Chakhcharan est le plus proche, mais la piste est courte et le parking minuscule. Après avoir méthodiquement déroulé la check-list, prévenu les contrôleurs ainsi que nos passagers, nous décidons de couper le moteur, c’est inéluctable. Nous sommes alors en situation de détresse.
Le vol en monomoteur sur Transall, particulièrement en Afghanistan, est une phase critique. J’affiche la puissance maximum autorisée sur le moteur droit, pendant que l’hélice gauche se met en drapeau. La vitesse diminue et rapidement, il n'est plus possible de maintenir l'avion en palier. Le contrôle aérien nous autorise à descendre sur le terrain d’Herat. Dans la cabine, mon équipage mobilise toute son expérience et fait preuve d’une grande concentration, chassant ainsi le stress qui n’a pas sa place à bord. Les entraînements réalisés en métropole sur ce type de situation portent leurs fruits et prennent tout leur sens. La piste est en vue et le contrôleur aérien nous donne la priorité en mettant en attente les avions prêts à décoller. Le Transall se pose en douceur sur la piste dégagée. À la coupure du moteur, nous soufflons, soulagés.
Cependant, il faut déjà penser au dépannage du Transall en panne moteur à Herat, qui plus est un 29 décembre. Nous ne savons toujours pas à quoi nous avons été réellement confrontés. Un problème de moteur ? De détection ? De plus, nous ne disposons pas du matériel nécessaire pour mener des investigations approfondies. Il faut donc envoyer une équipe de dépannage. Par chance, le deuxième Transall et son équipage ont une mission programmée le lendemain matin. En faisant un crochet, ils pourront déposer une équipe réduite de mécaniciens de Douchanbé. En une journée, tout sera réglé, nous sommes confiants ! Mais le lendemain, le verdict tombe : des impacts relevés à l’endoscope sur le troisième étage du compresseur basse pression prouvent que le moteur était bien en train de se détériorer. Cinq jours de travail viendront à bout de la réparation.
Changement d'un turbopropulseur sur "Transall"
Au bilan, nous devons une fière chandelle à notre mécanicien navigant, car le voyant qui l’a alerté est en dehors du champ visuel de l’équipage. Sa vigilance nous a permis de réagir à temps et de couper le moteur en toute sécurité.
Auteur inconnu
Date de dernière mise à jour : 26/04/2020
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