Un Français dans l'US Army

Vincent Ripoll fit son pilotage aux États-Unis au sein de la Promotion 52A, d'abord à Connally AFB (Texas) puis à Craig AFB (Alabama), où il effectua également un stage moniteur. Il épousa une Américaine et, de retour en France, il fut affecté pendant deux ans comme moniteur sur T-6 à Marrakech. Après avoir quitté l'Armée de l'air, il retourna aux USA et s'engagea dans l'US Army où il fut formé comme pilote d'hélicoptère, puis il rejoignit le Viet-Nam.

Cette journée de mars 1966 commença bien avant l'aube. Tous les équipages des hélicoptères étaient convoqués à 4 h 30 du matin pour un briefing dans la tente réservée à la salle des Opérations. Notre compagnie d'hélicoptères d'assaut UH-1B Iroquois fut désignée pour appuyer l'infanterie de la 101ème Division de parachutistes ainsi que la Korean Tiger Division. 

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Bell UH-1 "Iroquois"

Nous vivions alors sous la tente, à même le sable des plages de Tuy-Hoa. Ce matin-là, l'atmosphère était particulièrement lourde et bien différente de nos missions habituelles. Les troupes au sol devaient être déposées quelques miles au nord du point où nous allions rechercher, attaquer et détruire une importante force Viêt-Cong et des Viêts embusqués.

Nous avons attaqué aux premières lueurs du jour. En tant que pilote d'un hélicoptère d'attaque, j'étais le leader d'une patrouille de sept appareils. Ce jour-là, le Cdt de la Compagnie était mon copilote. Nous devions neutraliser la zone d'atterrissage par des tirs de roquettes et de mitrailleuses afin de déposer nos troupes d'assaut par vagues successives.

Après le largage de la première vague des troupes au sol, l'ennemi lança une contre-attaque. Deux hélicoptères d'attaque devaient rester en appui feu sur la zone des combats pour soutenir les troupes au sol en fonction des besoins.

Je faisais partie de la première patrouille. Au cours d'un de mes passages sur les positions ennemies, nous avons été touchés par un projectile de calibre 50 qui a brisé le bord d'attaque d'une pale de notre rotor. Suite à de sévères vibrations, nous avons dû retourner à notre base. À l'atterrissage, mon copilote décida de reprendre la direction des opérations du poste de Commandement situé sur notre base. Je redécollais avec un nouvel appareil et cette fois avec le Chef de notre Compagnie qui était mon copilote habituel. Nous retournons sur la zone de combat pour poursuivre notre appui-feu après avoir relevé l'équipage qui était en action.

À nouveau après une nouvelle passe d'appui-feu sur l'ennemi, notre hélicoptère était touché par une trentaine d'impacts lesquels, par chance, n'atteignirent aucune partie vitale de l'aéronef. Nous ramenons donc à la base un oiseau blessé mais toujours capable de voler. Notre équipe de mécaniciens avait, entre temps, remplacé la pale sur mon premier hélicoptère.

Nous redécollons et prenons à nouveau notre tour dans la noria des appui-feu. À la tombée de la nuit, j'avais finalement été sur la zone des combats pendant une bonne paire d'heures lorsque nous recevons un appel d' "Apollo 6" le leader de la division Korean Tiger. Il demandait l'évacuation de deux de ses hommes gravement blessés. Je relayais l'appel à l'unité médicale spécialiste des évacuations la Med Evac, ce fameux corps médical dont les équipages avaient la réputation de toujours aller au-delà de l'impossible pour récupérer les blessés. Alors qu'ils avaient évacué plusieurs blessés dans la journée, ce soir-là, ils ne purent réussir.

En effet, tandis que je mitraillais l'ennemi à outrance, le Med Evac fit plusieurs tentatives d'atterrissage mais le feu de l'ennemi était si dense que le pilote décida qu'il ne fallait pas risquer la perte d'un équipage et d'un hélicoptère. Il abandonna la mission.

Conscient que la vie des deux hommes était en danger, j'appelais notre Officier des Opérations lequel décida avec un autre pilote expérimenté de notre escadrille de nous rejoindre et de tenter à son tour de sauver les blessés.

Hélas, même les propres pilotes de notre groupe, ne purent accéder à la zone des combats tant le tir des ennemis était intense.

Pendant tout ce temps, la nuit tombait et la lune se levait à l'horizon. Je n'avais plus de munitions mais je savais très précisément où se trouvaient les blessés et connaissais la position de nos troupes qui étaient encerclées. Je captai le regard de mon copilote et sans ie moindre mot. nous avons compris que nous allions à notre tour tenter le sauvetage des deux blessés.

Il faut préciser que notre hélicoptère d'attaque n'était pas fait pour transporter des blessés pas plus d'ailleurs que d'autres passagers du fait de l'armement très lourd dont nous étions équipés.

Nous avions toujours au-dessus de nous l'hélicoptère de notre Officier des Opérations qui restait en appui-feu sur la zone et ce dernier me conseillait même de ne pas pousser ma chance au-delà des limites de l'impossible. Néanmoins pas très riche en pétrole et sans aucune munition pour nous défendre, je plongeais entre les arbres seulement éclairé par le clair de lune. Je demandais alors à "Apollo 6" de tirer une seule balle traçante à la verticale au moment où j'allais le survoler afin de bien visualiser sa position, et c'est ce qu'il fit.

Au milieu des tirs intenses de l'ennemi qui pouvait m'entendre mais probablement ne pouvait pas me voir, j'exécutais un atterrissage pas très orthodoxe en jetant littéralement mon appareil sur le sol.

Les Korean chargèrent les deux blessés à mon bord en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire et en l'espace de quelques secondes je quittais le sol et m'écartais de la zone des combats en me faufilant entre les arbres, aidé par la clarté de la lune, toujours sous des tirs très violents mais je restais apparemment toujours invisible aux yeux de l'ennemi.

Peu de temps après nous étions sur l'aire d'atterrissage de l'hôpital et nous déposions nos deux blessés pour repartir sans délai vers notre point de stationnement à notre base. Une fois posé à l'emplacement qui nous était réservé et alors que je commençais la procédure d'arrêt moteur, ce dernier s'arrêtait à court de carburant.

Ce jour-là, j'avais volé pendant plus de six heures, j'avais été mitraillé aux commandes de trois appareils différents, j'avais épuisé toutes mes munitions, j'avais sauvé la vie de deux soldats et accompli ma mission.

C'est donc ainsi que je fus décoré de la "Distinguish Flying Cross" et de la médaille Vietnamienne de la Galanterie pour ce qui a été décrit comme :

« Une action héroïque et une attitude d'excellence au-delà de l'appel du DEVOIR »


Vincent RIPOLL
 

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Le Captain Ripoll (Coll. V. Ripoll)

Origine du texte : APNFA octobre 2007 (transmis par Lucien Lavoine)

Date de dernière mise à jour : 07/04/2020

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