Un défilé aérien
La cérémonie du 14 juillet, et son défilé aérien, me rappellent un défilé où je devais participer. La scène se passe à Bordeaux le 11 novembre 1963.
À cette époque, sur la BA 106, était basé le CIB 328 (Centre d'Instruction du Bombardement) qui allait devenir le CIFAS (Centre d'instruction des Forces Aériennes Stratégiques).
Sous les ordres du Lcl Bar, le CIB comportait une section équipée de B-26 (indicatif radio Martell) destinée à la formation des pilotes sur avion bimoteurs, mais également pour la formation des futurs navigateurs de Mirage IV. Certains de ces avions étaient équipés d'un radar de navigation AN-APQ-13.
Une autre section était équipée de SO-4050 Vautour (indicatif radio Vautour), certains monoplace, d'autres en version bombardement avec le nez vitré pour assurer la visée du bombardier.
De l'autre côté de la base, du côté de la zone civile, deux escadrons de bombardement :
- le 1/92 "Bourgogne” (indicatif radio Milan),
- le 2/92 "Aquitaine" (indicatif radio "Chamois).
J'allais oublier l'ELA 43 équipée de T-28.
Le B-26
Cet avion, construit par la firme Douglas, eut son baptême du feu en Europe fin 1944. C'était un bimoteur avec 2 Pratt & Whitney R-2800 de 2.000 cv chacun, armé d'un nombre imposant de mitrailleuses qui inspiraient le respect.
Cet avion n'eut pas la renommée qu'il méritait. Il reprit du service avec les Américains en Corée, avec les Français en Indochine puis en Algérie, au Viêt-Nam avec les Américains qui les avaient rénovés et améliorés. Par la suite, certains furent utilisés comme bombardier d'eau.
Pour un défilé aérien le but est de passer au-dessus de la population avec les avions bien rangés à côté du leader, chef du dispositif. Les spécialistes vous diront que la partie la plus délicate d'un vol en formation serrée est la rejointe et plus les avions sont lourds plus cela est délicat.
Nos B-26 pesant entre 10 et 15 t, la manœuvre est assez délicate. Ajoutez à cela de la turbulence et du mauvais temps pour compliquer un peu plus la tâche. Une fois que la formation est établie, le chef du dispositif doit s'intégrer avec les autres formations mais aussi avec le timing des troupes au sol.
La mission du jour
Ce matin du 11 novembre 1963 il ne faisait vraiment pas beau. Du crachin, de la brume, un plafond bas, la météo classique de la région bordelaise au mois de novembre. Pas un temps à mettre un B-26 en l'air. Pourvu qu'on annule cette mission ! Mais la discipline étant la force principale des armées, quand il faut y aller, faut y aller.
Rendez-vous à l'heure en salle de briefing, en tenue de vol.
Pour commencer, la prestation de Monsieur Leray pour la météo, il se penche à la fenêtre, regarde le ciel puis se tourne vers l'assemblée et en faisant une moue qui en disait long sur ce qu'il allait nous proposer nous dit :
- « Il ne fait pas beau »
puis il installe son projecteur et ses transparents pour un briefing météo plus précis. Il ne faisait vraiment pas beau.
Puis vient le tour du Cne Ménanteau, chef du dispositif, indicatif Martell bleu leader.
Bon, c'est bâché, on annule et on rentre chez soi.
Pas du tout, celui-ci, flegmatique, imperturbable, nous débite son briefing :
- heure de mise en route des moteurs au signal du leader,
- contact radio sur la fréquence de la tour,
- roulage dans l'ordre,
- point fixe,
- alignement,
- décollage à 10 secondes (comme prévu dans le Règlement de manœuvre de l’Aviation de bombardement),
- rassemblement par virage à gauche,
- etc, etc.
- « Messieurs, aux avions »
Stupéfaction, quelques jurons, mines déconfites mais la discipline…
Donc, direction les avions.
On enfile les casques pour se protéger de la pluie, les gants pour se protéger du froid.
- « C'est pas un temps à mettre un ORSA en l'air ni même un sous-off ! »
Prévol effectuée, installés dans les avions, brêlés, à l'écoute de la radio, on laisse les canopées ouvertes pour éviter la buée, et on attend l'heure de notre destinée : on annule oui ou non ?
Le temps ne s'arrange pas.
À l'heure précise définie au briefing, bruit de mise en route, fumée bleue à l'échappement, Martel bleu leader vient de mettre en route, mauvais présage d'une destinée qui devait mal se terminer.
- « Le con il va nous mettre dans la mouise et tout cela pour avoir les félicitations du général commandant la place de Bordeaux même pas pour une médaille ! »
Mais la discipline… (air déjà connu).
Moteur droit démarré, soute à bombe fermée pour vérifier le bon fonctionnement de la pompe hydraulique, pression huile OK, température d'huile en augmentation.
Moteur gauche démarré, pression huile OK température d'huile en augmentation, combinaison chauffante branchée, rhéostat réglé, il ne fait pas trop froid mais quand même c'est plus confortable !
Mais revenons à la mission :
- « Ici Martell bleu leader pour essai radio »
- « Martell bleu 2, Martell bleu 3, 4, 5, 6, … »
- « À tous les Martell bleu, ici Martell bleu leader, la France a perdu une bataille mais elle n'a pas perdu la guerre, on arrête les moteurs et on retourne se coucher ! »
Jacques BEAUDEAUX
Date de dernière mise à jour : 04/04/2020
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