Un décollage rocambolesque
Fin août 1962, 4 Vautour B, dont deux en version “reco” de l’escadron de bombardement 1/92 « Bourgogne », participèrent à des manœuvres aéronavales à Madagascar. Au cours de cette mission, l'auteur a pu découvrir des performances insoupçonnées du Vautour.
SO-4050 "Vautour II B"
Le trajet se fit par patrouilles légères : Mérignac-Reggan, Reggan-Fort Lamy (aujourd’hui N’Djamena), Fort-Lamy-Entebbe, Entebbe-Nairobi. Cette étape très courte (une 1 h de vol) fut effectuée à basse altitude. Après quelques tonneaux pour marquer le passage de la ligne indiquée avec précision par le Garnier-Crouzet, ce fut l’occasion unique d’un safari-photo armé de caméras verticale et latérale. J’assistai activement aux cavalcades en tous sens d’une faune importante composée principalement de zèbres, antilopes, gazelles, girafes. Un vrai régal !
Entre Nairobi et Majunga, notre destination finale, une météo très quelconque nous empêcha de contempler au passage les neiges du Kilimandjaro noyé dans les nuages.
Quatre Nord 2501 d’accompagnement assuraient la logistique. Les manœuvres se déroulèrent les 1er, 2 et 3 septembre, avec la participation du croiseur De Grasse. Puis le détachement fit mouvement vers la base aérienne d’Ivato, proche de Tananarive (Antananarivo).
Le lendemain, 2 Vautour rejoignirent Saint-Denis de la Réunion pour une exposition statique et présentation en vol. Les écoles avaient donné congé. Il y eut la grande foule sur le terrain.
Au retour, l’un des deux appareils fut retardé au décollage et le parcours se fit en individuel. Au passage de la côte de Madagascar, le deuxième équipage ne réussit pas à se repérer. S’estimant au nord de la route, le pilote mit cap au Sud, cherchant un point de recalage à travers un ciel 4 à 5/8 couvert, ce qui n’est pas chose facile le long du rivage rectiligne, uniforme et sans relief de la partie orientale de l’île. Le temps passant et le pétrole diminuant, il fallut se rendre à l’évidence qu’il n’était plus question de regagner Tananarive et qu’il devenait urgent de trouver un terrain de déroutement.
Je me trouvais à la tour de contrôle d’Ivato pour accueillir les deux équipages. L’attente du deuxième appareil fut longue, très longue, jusqu’au moment où un contrôleur me tendit un téléphone. J’avais au bout du fil un interlocuteur passablement excité, à fort accent malgache, qui tentait de m’expliquer qu’il venait de voir débouler sur son terrain de Manakara un avion inattendu, qu’il n’avait jamais vu, qu’il ne connaissait pas, et il demandait des instructions.
Le lendemain matin, j’accompagnai dans un MD 315 du GAM 50 le commandant Capiod, commandant l’escadron, ainsi que l’officier mécanicien de l’unité, pour juger la situation sur place.
À l’arrivée, nous fûmes admiratifs devant la prouesse d’un atterrissage réussi sur un tel terrain en latérite, de onze à douze cents mètres, parsemé de cailloux et gravillons et traversé au tiers de sa longueur par une voie ferrée non enterrée. (1). L’appareil semblait en parfait état de vol, juste la soute arrière un peu cabossée qui ne nécessitait pas de réparation sur place. Restait à reconditionner l’avion en tenant compte des contraintes liées à l’appareil et à la situation.
Le Vautour, équipé d’un train monotrace à deux diabolos, présente au sol son assiette de décollage. Inutile de lui “tirer sur la gueule” pour anticiper quelque peu la manœuvre. Il ne décolle, volets sortis à 15 degrés impérativement, que lorsqu’il atteint la vitesse requise. Pour raccourcir la distance, on ne peut et on ne pourra jouer que sur la quantité de carburant emportée, à limiter au minimum possible pour la circonstance.
D’autre part, le remplissage des réservoirs se faisant uniquement sous pression, il faudra apporter des fûts de pétrole sur place, les déverser ensuite dans une citerne et enfin, à l’aide d’une pompe Japy, procéder au remplissage. En l’occurrence, la voie ferrée serait bien pratique pour amener à pied d’œuvre une citerne des chemins de fer.
Le train de Manakara à Fianarantsoa (Coll. Y. Le Coz)
Les fûts de pétrole furent transportés le lendemain par voie aérienne, en même temps qu’une équipe de mécaniciens.
En tant que commandant d’escadrille, il me revenait de me désigner pour le retour. Je demandai à mon vieux copain Claude Rocca-Serra s’il voulait bien m’accompagner comme navigateur dans cette aventure, ce qu’il accepta sans hésiter.
Le jour J, 9 septembre, un MD-315 nous amena à Manakara dans la matinée. Manakara est un ravissant petit port de pêche, et nous en profitâmes pour partager une belle langouste dans un petit restaurant fort sympathique. De retour au terrain, vers 14 h, il y avait une quantité innombrable de Malgaches venus en curieux assister à l’opération. Il y en avait partout et il en arrivait de partout, notamment des enfants qui s’agglutinaient sur la citerne. Un spectacle et une ambiance indescriptibles !
Le moment du décollage approchait. Un jeune homme portant une boîte blanche d’environ 40 sur 30 avec une croix rouge sur le couvercle m’annonça qu’il était l’infirmier et me demanda à quel endroit se poster. Je lui répondis que si cela se passait mal, ce serait plutôt en bout de piste et il s’y rendit. Un autre personnage, doté d’un petit extincteur Sicli me posa la même question et reçut la même réponse. Peu après, nous aperçûmes deux Pères blancs se dirigeant vers nous.
- « Cette fois, c’est peut-être pour une bénédiction » dis-je à mon navigateur.
Ils se présentèrent aimablement. L’un d’eux était breton et ce fut l’occasion de parler du pays. Pour le décollage, je donnai comme instruction à l’officier mécanicien de se tenir en bout d’aile, côté gauche, pour m’indiquer par signe à partir de quel moment, à la mise des gaz, les réacteurs commenceraient à aspirer poussières et petits cailloux. Je demandai aussi à mon navigateur de me donner le top 100 kt. Si au travers de la tour, située à mi-piste, cette vitesse n’était pas atteinte, j’arrêterais tout : réduction des gaz à fond, sortie du parachute de queue, freinage maximal pour essayer de ne pas sortir du terrain.
Aligné au plus près de l’entrée de piste, réacteurs tournant, autorisé à décoller, je remarquai que l’officier mécanicien était livide. Je mis très progressivement les gaz. Lorsqu’il me fit signe de lâcher les freins, j’étais à 7.800 t/mn et il était déjà transformé en peau-rouge – il ne récupéra jamais son treillis au lavage –. J’affichai rapidement 8.400 t/mn et fus extrêmement surpris par la rapidité de l’accélération. Le choc du diabolo avant avec la voie ferrée fut brutal et catapulta l’appareil hors sol. Dans cette fâcheuse posture, il s’agissait avant tout d’éviter que le diabolo avant ne retouchât la piste, provoquant fatalement un marsouinage incontrôlable et très dangereux à pleine puissance.
À la rentrée du train, le voyant du diabolo avant resta au rouge. Je ressortis le train. Au deuxième essai, tout rentra dans l’ordre. Vue la distance nous séparant de notre destination, nous accrochâmes, aussitôt branchée, la station radio compas de Tananarive. L’indication donnée ne correspondait pas du tout à la route à suivre, il s’en fallait d’une trentaine de degrés !
Après 35 minutes de vol au-dessus de cumulus bourgeonnants, nous nous posâmes normalement sur le terrain d’Ivato.
Le lendemain matin, 10 septembre, les 4 Vautour étaient disponibles pour participer à la journée “Portes ouvertes” de la base aérienne, qui fut un réel succès.
Plusieurs semaines plus tard, ayant été muté à l’équipe Mirage IV du CEAM, je reçus un “papier” référencé n° 1173/CAS/3/SG, en date du 6 novembre 1962, m’attribuant cinq points positifs. Motif :
- « A décollé un Vautour à partir d’un terrain qui n’en présentait pas les caractéristiques » !
Récemment, regardant à la télévision un documentaire sur les trains à Madagascar, je vis avec surprise et une certaine émotion un train de voyageurs traverser la piste de Manakara. Il y avait en arrière-plan un bimoteur léger. J’eus l’impression que la piste était maintenant goudronnée et la voie ferrée enterrée. Vision fugitive, qui m’a donné l’idée de vous raconter cette histoire.
Yvon Le COZ
Extrait du "Piège" n° 216 de mars 2014
La piste de Manakara aujourd'hui (Coll. Y. Le Coz)
Date de dernière mise à jour : 24/04/2020
Commentaires
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- 1. Philippe Oberle Le 01/05/2021
Bonjour Monsieur,
Allant de temps en temps à Madagascar, j'ai pris le train Fianarantsoa - Manakara il y a quelques années. Je puis vous rassurer : la voie ferrée n'a pas été enterrée, elle traverse la piste du terrain d'aviation. Un employé est chargé d'avertir le contrôleur aérien lorsqu'un train va traverser la piste ! Tout va bien, avec 4 trains par semaine au maximum et peu d'avions, aucune collision jusqu'à présent !
Amicalement,
Philippe Oberlé
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