Un contrôle de routine à Genève
Les suisses sont réputés pour leur amour de l’ordre et de la tranquillité, toutes choses étant bien rangées, les prairies vertes et les vaches paissant au rythme lent du pas montagnard. L’orient compliqué leur est sans doute étranger.
Les orientaux, eux, s'accommodent d’un désordre apparent et, surtout quand on est un prince de la péninsule arabique, on aime disposer autour de soi de ces objets brillants, dorés, scintillants, des tapis épais rappelant le faste des tentes bédouines sous le ciel étincelant et sombre du désert par une nuit sans lune. D’autant plus qu’on est propriétaire de l’appareil et son seul utilisateur.
Cet avion, immatriculé dans une île anglo-normande, piloté par des français réputés pour leurs gauloiseries et une interprétation très personnelle des lois et règlements toucha gentiment des roues le sol helvétique. Il n’en fallait pas plus pour attiser la curiosité des autorités de l’aviation civile.
Pendant que son Altesse visitait le stand Dassault de l’European Business Aviation Association, nous étions confortablement installés dans son superbe jet quasiment neuf et nous vîmes arriver une voiture officielle.
Au nombre de deux, un alémanique et un francophone, les fonctionnaires contrôleurs se sont présentés au pied de l’avion. Brandissant la carte de la FOCA ils sont montés à bord de notre Falcon 900EX Easy II pour une petite inspection. Pas de quoi être inquiets avec un tel aéronef briqué comme un sous neuf et qui comptait moins de mille heures de vol.
Après les salutations d’usage toutes empreintes de souriante courtoisie, ils ont focalisé leur attention sur le contrôle rigoureux d’un avion hautement suspicieux.
Un premier coup d’œil sur les documents techniques leur montra que l’équipage fonctionnait à peu près correctement, nonobstant quelques remarques de détails sur l’absence de routing pour dégager au besoin vers Lyon (c’était un plan de vol généré automatiquement par Jeppesen).
Les minutes passant, nous pûmes lire dans leurs yeux progressivement la surprise, la réprobation, une certaine compassion et enfin la stupeur.
La caverne d’Ali Baba était arrivée sur le sol genevois par la voie des airs. C’était un souk étalant son luxe oriental avec une désinvolture coupable. Il fallait réagir.
L’aigle doré (référence subtile à son immatriculation) disposé à proximité du passager était une arme potentielle destinée à le blesser ou le tuer et envoyer derechef le pilote en prison comme me l’a expliqué l’un d’eux sur un ton aussi ferme que réprobateur.
Les parapluies bagués d’or, la cave à cognac dans son écrin de cuir fauve entre deux sièges, le repose pieds et tous ces objets placés en un lieu précis par le propriétaire pouvaient devenir en cas de turbulence de graves dangers.
La démocratie participative et référendaire était menacée. C’était manifestement une provocation et en quelque sorte comme si un minaret était tombé sur la tête de nos deux compères.
La décision fut prise. On cria haro sur le bédouin. Ordre fut donné de transformer illico presto cet effrayant bazar en cabine d’avion d’affaires. On me remit un papier officiel qui nous interdisait tout départ. L’avion était administrativement saisi jusqu’à la réalisation des modifications prescrites.
Je dû appeler la compagnie pour expliquer la situation. Et surtout insister pour que l’on prévint notre passager de la surprise qu’il aurait au retour dans son avion.
Je craignais de subir une de ces colères dont il était coutumier et qui donnaient à son visage la couleur pourpre d’une cape de toréro.
Nous avons entassé dans la soute l’ensemble des objets du délit (sauf l’aigle qui était collé sur un bois précieux). Une deuxième inspection dans l’après-midi sembla satisfaire nos deux amis. On me remît un document dûment signé et tamponné nous autorisant à décoller.
Ainsi fut-il fait et le prince contrarié revint à Paris dans son salon volant vide et froid, rendu conforme à la réglementation helvétique.
La cabine au retour du vol… c'est à dire vide !
Lorsque nous sommes arrivés au parking, il me demanda de faire remettre en ordre son avion et il est resté pour superviser le travail.
Le métier de pilote en aviation d’affaires est plein de surprises.
Didier GAITTE
Date de dernière mise à jour : 14/11/2023
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