Train droit non sorti à l’issue d’un vol de nuit sur Mirage IV
C’est un vol d’entrainement de courte durée - une heure et demie - qui est prévu ce soir. L’avion est « lisse », c’est-à-dire qu’il n’est pas équipé de ses bidons externes ; son plein est donc de 10,6 tonnes de kérosène. Je suis le plus ancien de l’équipage et donc j’assume les fonctions de commandant d’avion. Mon pilote est confirmé, nous nous connaissons bien ; c’est un calme qui aime à dire « qu’il n’y a pas de bons pilotes mais de vieux pilotes ». Le cahier d’ordres est signé en salle d’opérations puis nous nous rendons sous les hangars de la mécanique où nous signons les formes de l’avion. Le casque sous le bras et sacoche en mains, nous traversons ensuite le parking pour aller vers la « bête », autour de laquelle s’activent nos mécaniciens.
Dans le clair-obscur du parking, éclairé seulement pas les lueurs des lampes multicolores des appareils de mise en route, cet avion me parait encore plus beau que de jour. Il est à ce point une réussite qu’il m’apparait en même temps imposant et gracile, pesant et profilé comme une fléchette. On ne se lasse pas d’en admirer la finesse et même l’élégance qui rappelle d’autres formes élancées… Une petite merveille de la technologie française qui, en ces années soixante-dix, n’a pas beaucoup d’égale au monde. Seuls, ceux qui ont eu la chance de chevaucher cet étalon ont ressenti la fierté et l’honneur de le dompter. Mais assez de lyrisme ! Avec un œil critique, nous faisons attentivement le tour de l’avion puis, la visite de préparation pour le vol terminée, nous montons aux échelles pour rejoindre nos cabines respectives.
En aviation, comme dans bien d’autres mises en œuvre complexes, les procédures peuvent paraître routinières, tant sont connues par cœur les différentes phases. Cependant, nous savons bien que toute notre attention est exigée pour les mises en route des moteurs et des instruments, les affichages des données de navigation et la manœuvre ou la vérification des centaines de commandes dans un ordre quasiment immuable.
Le roulage jusqu’au bout de piste est mis à profit pour vérifier encore une fois tous les paramètres puis nous décollons, dans le bruit et la fureur de nos deux réacteurs en pleine charge de post-combustion.
Nous sommes en vol depuis une heure passée ; tout est OK ! Nos exercices terminés, nous nous alignons à une centaine de kilomètres de la piste pour effectuer une percée en vue de l’atterrissage. Je donne le top de descente, le pilote réduit et exécute sa check-list en vue de la finale.
Un peu plus tard, alors qu’il vient d’actionner la palette pour sortir le train, il m’annonce « une rouge à droite », ce qui signifie que la jambe de train droite n’est pas verrouillée, ni même peut-être pas descendue. Seules les lampes de la jambe gauche et de la roulette de nez sont vertes…
J’ai déjà eu cette panne et je pense immédiatement à une lampe grillée. Mon pilote vérifie et m’assure que la lampe est en état… Il remet les gaz, rejoint une altitude moyenne tandis que je sors ma check-list rouge, celle des pannes. Quelques secondes, le temps de trouver la bonne page, puis nous effectuons successivement toutes les manœuvres conseillées : nous rentrons le train puis le ressortons sous facteur de charge, c’est-à dire en lui faisant subir une accélération positive afin de faciliter sa descente et son verrouillage. Malgré la nuit, nous effectuons un passage à basse altitude près de la tour mais les contrôleurs ne distinguent rien… Nous remontons en altitude pour décider de la suite…
La check-list est on ne peut plus claire dans ce cas de figure : c’est l’éjection pour l’équipage ! J’en relis une énième fois le texte ; nous avons tout tenté !
Il est clair qu’avec une jambe de train folle, peut-être non – ou mal - sortie de son logement, le Mirage IV - qui est si beau en temps normal - devient un cercueil volant dans cette configuration, avec ses ailes en delta, son incidence – environ 20 degrés –, sa masse et sa vitesse au poser des roues…
S’ensuit un silence pesant entre nous deux, chacun cogitant et tentant d’imaginer la suite…
Le pétrole diminue.
Au bout d’une ou deux minutes qui nous paraissent une petite éternité, je demande à mon camarade de me donner sa décision. Il a tout pesé et me confie son intention de tenter un atterrissage de précaution mais il me recommande l’éjection, moins risquée selon lui.
J’avoue n’avoir pas eu souvent dans ma vie l’opportunité de prendre à chaud une décision engageant ma vie. Le temps nous est maintenant compté et il faut trancher. Je ne sais si c’est intuitivement ou du fait d’un raisonnement cartésien que je prends ma décision : j’accompagne mon pilote jusqu’au bout !
J’ai parfaitement conscience de la difficulté de cet atterrissage : poser la bête sur une patte, tout en soulageant l’autre et en laissant reposer le plus délicatement possible la roulette de nez, est un exercice de la plus grande délicatesse, sachant qu’aux basses vitesses cette masse d’acier est beaucoup moins réactive aux commandes que dans toute autre phase du domaine de vol.
Après l’impact tout en douceur de la jambe gauche, nous ressentons un choc relativement léger au poser de la droite. La tension diminue d’un cran car je m’attendais au pire, c’est-à-dire l’affaissement brutal de l’aile droite, voire même à un effet de toupie qui aurait complétement déstabilisé l’avion. K….G, mon pilote, contrôle très habilement une légère embardée et l’avion s’immobilise peu après sur le bord droit de la piste.
Lorsque nous descendons l’échelle, nous nous retrouvons dans une féérie de lumières, de véhicules aux feux tournants, de matériels divers, de pompiers et de personnels accoutrés spécialement pour les crashes.
Nous contournons la pointe de l’avion et découvrons les dégâts : le fût et les supports de la jambe de train droit, dont le diamètre doit avoisiner les trente centimètres, ont carrément traversé l’aile et la dépassent de quelques 25 centimètres !...
Décision du commandement : 5 points positifs pour le pilote et pour le navigateur-bombardier-radariste commandant d’avion…
Jean PICOT
Date de dernière mise à jour : 14/11/2024
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