Traduction non souhaitable

II y a des termes anglais (ou plutôt américains) que l'on ne cherche pas à traduire.

Le break, par exemple : comment pourrait-on appeler, en français aussi efficacement qu'en anglais, cette manœuvre qui permet à une patrouille de passer le plus rapidement possible de la vitesse de croisière en formation serrée à l'atterrissage individuel ? La dislocation ? Cela pourrait faire bizarre lorsqu'on est tout seul, puisqu'on utilise alors le même terme.

On pourrait essayer d'imiter ce contrôleur de tour belge (certainement wallon) qui, pour accueillir convivialement une patrouille française la conviait à :

- « Rappeler à une minute de la cassure ».

Bien que doué pour les langues, le leader mis quelques instants à restituer le sens de l'invite. L'histoire ne dit pas si ce contrôleur a été rappelé à l'ordre de ne parler qu'anglais, ce qui règle en Belgique le problème interne de langues

Du temps où nous volions sur avions américains, nous avions une foule d'expressions que nous gardions telles que nous les trouvions dans le "TO" (Technical orders, le manuel technique de l'avion à l'usage du pilote). Nous nous y replongions très souvent, si bien, qu'à défaut de le connaître par cœur, nous trouvions très rapidement la bonne page.

Aucun mot français ne peut faire aussi court que le check out du T33 : ce test (tiens encore un autre) de la régulation de secours du moteur qui clôturait les vérifications avant le roulage et se traduisait par un gros pet.

Et la banana handle ? Cette poignée, jaune bien sûr, qui commandait l'éjection de la verrière.

C'était certainement un "Warning" du TO et non pas un simple "Caution", qui nous prévenait de ne pas la confondre avec la poignée noire de verrouillage de la verrière qui se trouvait de l'autre côté.

Nous avons pourtant vu un commandant d'escadre manœuvrer intempestivement cette banana handle avant de quitter le parking. Après un petit salto arrière le cadre de cette grande verrière est venu s'enfiler sur la dérive tandis que le plexiglas s'y fracassait.

Le lieutenant, pilote en escadrille, en place arrière, venait, sans entrain, de déployer sa capote pour sa n + unième mission VSV. Se retrouvant soudain en décapoté avec un vérin fumant sous le nez et voyant la mission annulée, il a été pris d'un fou rire qu'il a rapidement caché en débranchant son micro.

Le chef de la place avant aurait pu gagner un surnom ; il en avait déjà un.

Le plus grand morceau de plexiglas était encore assez important pour servir à la confection d'un aquarium qui a longtemps orné le bar (officiellement il n'existait pas, mais je ne sais plus comment on devait l'appeler) de l'escadron T33 ou VSV.

Sur le F-86K nous avions un tas de dispositifs nouveaux qui multipliaient les interrupteurs, les commandes voire les indicateurs et faisait doubler d'épaisseur le "TO" : je citerai les nozzles, le windshield defrost et ce screen d'entrée d'air rétractable qui ramassait les corps étrangers avant qu'ils ne pénètrent dans le compresseur.

Nous n'avions pas d'autre expression que screen extended pour annoncer à la tour que nous avions pensé à le rabattre avant l'atterrissage. Nous avions donné le surnom de screen extended a un de nos chefs ; je ne sais plus exactement pourquoi, mais il y avait un rapport avec son sourire.

Le Sabre F-86K, quelle confortable machine ! Une machine à se sentir à l'aise dans la merdouille la plus noire et la plus épaisse. Après le Mistral et le T33, c'était comme une Buick après une Simca ou une 203.

Il y avait un horizon artificiel et un compas deux fois plus grands que ceux des autres, avec un éclairage superbe. Si l'on se retrouvait dans les éclairs, on pouvait se faire soi-même des flashs dans la cabine pour s'habituer à l'éblouissement (mais je crois que personne n'a eu à s'en servir, en tout cas pas moi !).

S'il y avait 10 cm de verglas et de neige sur l'avion, point n'était besoin de demander aux mécanos de jouer du balai ou du pulvérisateur : avec le moteur à 55 % on mettait en route les différents defrosts, celui des ailes qui crachait derrière les slats automatiques si bien que le courant d'air chaud était rabattu sur l'aile, celui des leading edges de l'empennage, des lèvres d'entrée d'air, du radome et, bien sûr, le windshield de-frost central puis latéral ; en trois minutes la bête était clean (et ça, j'ai eu quelquefois l'occasion de le faire !).

Nous avions un nose wheel steering qui économisait nos freins et, en principe nous pouvions opérer sur le verglas si l'on avait monté les pneus à clous qui étaient disponibles en magasin. J'ai vu quelqu'un, un chef évidemment, les essayer un jour de QGO massif.

Pour les missions d'interception, l'équipier évoluait en snake : dès le décollage il suivait aussi exactement que possible la trajectoire de son leader, trente secondes derrière lui en prenant sur lui le lock-on de son radar. Ce n'était qu'au dernier moment que les deux avions viraient en même temps vers le target pour prononcer les attaques à quelques secondes d'intervalle. Après le skip it la patrouille se retrouvait en snake. C'était la mission King.

Il y avait d'autres Sabre dans la vallée du Rhin : les redoutables Canadiens qui se jouaient de nous généralement. S'il arrivait que nous puissions faire à peu près jeu égal, nos amis québécois l'imputaient à l'absence d' "après-brûleur" sur leur Orenda.

En six ans de bons et loyaux services le F-86K n'a pas tué un seul de ses pilotes (il y a eu cinq ou six éjections) et il nous a bien préparés au Mirage III, avec son after burner (nous disions quand même PC, french speaking), son radar surtout et aussi... sa faible autonomie.

Il me semble qu'avec le Mirage nous nous sommes mis à moins pratiquer l'anglais.

Je crois me souvenir que le terme de hand over a disparu progressivement pour laisser la place à transfert (le passage d'un contrôle à un autre, de l'approche locale à la station radar d'interception, par exemple).

Le "TO" à la couverture noire blindée a été remplacé par l' "UCB" à la couverture bleu foncé plus souple; à moins que ce ne fût l' "UCC"; l'une ou l'autre dénomination n'avait plus de signification intrinsèque mais s'intégrait dans je ne sais quelle nomenclature technocratique.

Le flame out pattern est devenu acontucou, entendez Atterrissage en CONfiguration TUrbine COUpée ; et on écrivait ACTC.

Comme tous les avions, le Mirage plane très bien, mais la vitesse de finesse maximale étant de 300 nœuds, il faut voir grand et même très grand, comme le rayon de virage.

Délicate manœuvre que cet acontucou plus ou moins passe de tir sur le bout de piste. Il faut, moteur au ralenti et aérofreins sortis, pour simuler l'absence de poussée, rejoindre la verticale de la piste à 15.000 pieds, puis, après 45 degrés de virage, atteindre le vent arrière à 10.000 pieds. Là, décélération pour sortir le train à 240 nœuds. Le dernier virage se négocie autour de 220 nœuds (ce qui fait quand même trois fois la vitesse maximale autorisée sur autoroute) et, en finale, on garde la perche Chaffois du bout du nez posée sur l'overrun.

L'exercice d'entraînement n'allait jamais jusqu'au toucher des roues et on remettait les gaz pour un circuit normal, avec un break généralement puisqu'il fallait qu'il fasse beau.

Pour ne pas perdre la pratique, tout de même, il avait été décidé qu'une semaine par mois nous ne parlerions qu'anglais sur les ondes.

C'est ainsi qu'un beau jour notre commandant d'escadre, qui tenait toujours à bien donner l'exemple en l'air, voulant profiter de l'absence de nuages et désirant tâter du delta rapide sans poussée, s'est adressé à la tour en ces termes :

- « I request to practice an écitici ».

Cela a dû être entendu par les deux ou trois contrôleurs de la tour, plus une ou deux paires de pilotes, plus peut-être un pompier de service, mais l'anecdote a vite fait le tour de la base et je suis sûr que, si je pouvais interroger un à un chaque pilote de l'époque, j'enregistrerais, en majorité, qu'il l'a bien entendu de ses propres oreilles stupéfaites, avec son casque sur la tête.

Nous n'avons aucun scrupule à franciser les sigles américains : VFR, ILS par exemple ; et pas seulement dans le domaine aéronautique, voyez ABS ou GPS ; mais entendre un sigle français anglicisé est amusant :

- « Quel tarif avez-vous sur le tigivi ? »

Je me montre impertinent à l'égard de mes anciens chefs, mais je tiens à dire qu'ils ont mon estime et que je leur garde une très respectueuse amitié. Vous avez noté aussi que je ne les ai pas nommés. C'est un secret que je réserve à tous les anciens de la 13 que j'aurais le plaisir de revoir. Je pense que beaucoup se rappelleraient de tel ou tel événement, mais je suis prêt à parier que la moitié se tromperait sur le nom.

Vous savez, ces histoires vieilles de plus de quarante ans ne s'effacent pas complètement, mais elles se transforment sans doute peu à peu.


Alain BROSSIER 

Extrait de "Pionniers" n° 159 été 2004

 
 
 

Date de dernière mise à jour : 07/04/2020

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