Stages voltige à Carcassonne
Ce n’était déjà plus l’époque des "faucheurs de marguerites" (dommage) et pas encore celle des "glass-cockpit’’ ou du ‘’when ready, press one for take-off " (heureusement).
Pour moi cela se fit sur les F-BDOP et F-BCQQ, de type SV4, équipés de moteurs Gipsy Major X de 145 cv ainsi que les Tiger Moth dont les immatriculations m’ont échappé. Sur chacun d'eux ce fut l'école de voltige élémentaire.
Stampe SV4
Je me souviens encore de mon premier vol solo à mi-parcours de ce stage. C'était tout au début de l’année 1957. Je devais avoir 20 ou 25 heures de vol moteur au compteur et le temps était fortement brumeux. Je n'étais pas dans mon assiette et devais débuter par une mise en virage serré à gauche à 90° d'inclinaison suivie d'un départ en autorotation à droite par décrochage dynamique avec mise du pied à droite à fond dès le premier signe de buffeting provoqué par la mise brutale du manche en arrière à fond aussi. Deux fois quatre tours d'autorotation devaient suivre, une fois à droite puis ensuite à gauche avec chaque fois arrêt sur l'axe préfixé. Ensuite, c’était une boucle suivie d’un renversement, une longue ressource pour rejoindre l’altitude nominale, un retournement, un tonneau à droite, puis enfin une mise dos d’une minute en vol rectiligne et Z constante.
Une fois posé et revenu au parking j’avais envie de vomir et m’empressais de sortir de la machine avant de retirer les gants et la veste en cuir. Pour la première fois je constatais que ma combinaison, ma chemise, mon pull et mon slip étaient à essorer avec énergie tant j'avais transpiré en dépit du fait que l'habitacle n'était pas chauffé, que nous y étions à l'air libre et que cela se passait en février.
Voilà comment il me fut donné d'apprendre le sens profond de l'expression ''mouiller la chemise''.
Après ça, ce fut le stage dit de ''perfectionnement voltige'' suivi plus tard par celui de ''deuxième cycle'' qui nous imposèrent l’usage d’avions bien différents, plus confortables et, bien entendu, aux performances sans communes mesures avec celles des Stampe et Tiger Moth, mais tellement moins exceptionnels. Pour moi cela se fit à Carcassonne, où l'on m'a plus tard conféré la qualification ''instructeur voltige" bien après avoir reçu bien entendu celle d’Instructeur tout court. De ce troisième stage, surtout du vol-test de clôture à l’issue duquel nous étions sensés recevoir notre qualification "Instructeur voltige", je conserve un exceptionnel souvenir.
Une fois aligné et l'autorisation de décoller reçue, je quittais la fréquence TWR, basculais sur celle du testeur qui, depuis le sol, devait suivre les opérations à la jumelle, et m’assurais de la qualité de la liaison avec lui. Cela fait, je lançais la machine pour le décollage tout en contrôlant les paramètres moteur et vitesse avec la rigueur enseignée par chacun de mes moniteurs successifs. Je les énonçais successivement et confirmais à haute voix celui vérifié ainsi que l’adéquate information effectivement lue sur l’instrument de bord ad’hoc. Connue par cœur, la check-list était parfaitement respectée. La montée se fit sans encombre. Une fois atteint les 4.500 ft et l’avion mis en palier, je lançais la phrase-code :
- « Fox Sol de Fox Alpha, Zoulou 45 atteint, paramètres contrôlés, parachute armé, prêt pour débuter. »
En retour je recevais la clearance attendue :
- « Fox Alpha, du Sol, exercice autorisé, stand-by. »
C’est alors que je pris conscience qu’au cours de ce bref échange mon cœur s'était une nouvelle fois mis à battre très fort. La montée d’adrénaline avait fait son œuvre. Trois profondes inspirations et expirations firent rapidement revenir le rythme cardiaque sinusal et je plaçais aussitôt la machine sur une assiette négative de 10° pour la prise de vitesse nécessaire tout en passant en configuration dos pour débuter par la boucle inversée, première des figures inscrites au programme d’enchaînement imposé. Le calme aidant, je les enroulais les unes après les autres avec aisance, quand, soudain et je ne sais pas pour quelle raison, j'en vins à repenser, l'espace d'un instant, à la trouille paralysante ressentie lors de ce fameux premier vol en voltige solo sur Stampe. Alors que tout allait bien en moi et que je me sentais parfaitement à l'aise, pourquoi un tel retour inopiné de cet évènement déjà bien lointain ? Je n’ai jamais su apporter la moindre réponse à cette interrogation …
« Fox Sol, de Fox Alpha, exercice terminé. »
« Le Sol, pour Fox Alpha, Comment vous sentez-vous ? »
« Fox Alpha, 5. »
Après un court silence la conversation repris :
« Fox Alpha, du sol, alors si tout va bien, c'est à ta convenance. »
Ce tutoiement valait indication que j’avais réussi l’épreuve et le message m’autorisait à donner libre cours à mes envies pour terminer le vol. J'étais à 5.000 ft, le temps était splendide, le ciel limpide, exempt de nuage, la visi excellente. À cette altitude le regard portait très loin. En suivant le défilement du capot moteur sur la ligne d'horizon, je ne pus m’empêcher d’admirer le paysage avec la Méditerranée et l'Océan aux extrémités de la chaîne des Pyrénées et la neige abondante, immaculée, sur plus de leur mi-hauteur. Le Cantal et les monts d’Auvergne étaient au bout de mes doigts, les Alpes un peu plus lointaines, mais le Mont-Blanc et ses voisins parfaitement visibles. J’avais conscience de vivre là une circonstance exceptionnelle. Pour la première fois je me sentais dans une espèce de matelas douillet fait de plumes et de ouate épaisse, un peu comme si je flottais dans la rassurante douceur fœtale, un état second inexplicable à qui ne l’a pas vécu, indescriptible, indicible, que l’on nomme "l’état de grâce du pilote" et que seuls les aviateurs parviennent à connaître parfois.
Cela dura un temps dont je suis incapable d'estimer la durée. Dans mon souvenir il fut long, ce qui est probablement inexact. Il fut en tout cas unique. Dans cet univers d’apesanteur surréaliste, ma pensée alla vers mes parents trop tôt disparus pour je puisse aller les embrasser avec fierté à l’issue de ce vol sans conteste inoubliable, puis j’en vins à penser que si le pouvoir de choisir le moment de ma mort m’avait été donné, c’est celui-ci que j’aurais choisi. C’eut été en effet tellement bien de mourir là, tout de suite, en cette circonstance intemporelle, enivrante et surtout si magique.
M’y baignant et passant d’une idée à l’autre, m’effleura celle que j’étais enfin parvenu au bout de mon rêve dont le point d’origine se situait alors qu’étant enfant je devais parfois courir avec mes parents pour rejoindre l’abri du quartier où, avec les voisins, nous venions nous abriter des bombes que des grappes d’avions que je voyais énormes venaient déverser de nuit comme de jour dans un tonnerre de feu et que, dans la journée, inconscient du danger, je regardais les avions de chasse se succéder les uns aux autres, à commencer par les Spitfire, puis les Stuka dont la sirène me terrorisait lorsqu’ils venaient mitrailler le secteur où était la maison de mes parents.
Et voilà que désormais je faisais partie de ces gars-là. Pas de ces pseudo-héros en puissance qui bombent le torse et écartent les bras en marchant comme si leurs muscles dorsaux les empêchaient de faire autrement tout en roulant les mécaniques au bar de l’escadrille où ils ne cessaient de faire étalage de leurs exploits souvent imaginaires, toujours embellis, ces gaziers qui se disent "bons pilotes" en se figurant ainsi impressionner les autres, alors l’on sait qu’à force de faire les mariolles, ceux-là ne font en général pas de vieux os. Non, je ne me sentais pas être des leurs, mais plutôt appartenir à ceux qui savent tenir un manche et qui, sans peur des dangers qui nous guettent en permanence aux quatre coins du ciel, même en temps de paix, savent voler sérieusement sans jamais se prendre au sérieux.
C’est alors qu’interrompant intempestivement cette euphorie du moment la voix du testeur résonnât dans mes écouteurs et me ramena un peu brutalement à la réalité :
- « Fox Alpha, du Sol, que se passe-t-il ? »
Inconsciemment j'avais entrepris un large virage à faible inclinaison et en palier, qui n’en finissait pas, ce qui, sans doute, l’avait inquiété.
- « Rien ! Répondis-je, je vivais seulement un instant béni des dieux … Demande autorisation effectuer quelques évolutions libres. »
- « Fox Alpha, du Sol, évolutions autorisées, mais sois rapide. »
Le ton s’était fait plus sec mais sans plus. Je compris cependant que j’avais un peu passé les bornes.
- « Fox Alpha, bien compris. »
Après quoi, j'entrepris ces dites évolutions, des plus simples aux plus complexes en passant par celles les plus farfelues, et m’en mis plein la tête (et les tripes) tout en résorbant l’altitude à perdre pour rejoindre la piste que j’atteignis par un encadrement terminé en PTU glissée suivie d’un kiss-landing comme personne n’en ferait sans doute jamais plus …
Avant d’entamer le repas de midi ce fut le champagne pour tous, à mes frais bien entendu, ce qui amputât sensiblement mes économies. Mais j’étais heureux et mes copains aussi. Le lendemain soir, ce fut le diner de clôture du stage dans le restaurant où il était d’usage que cela se fit. La patronne avait décoré la salle pour la circonstance. Dépités les malheureux qui n’avaient pas réussi s’en étaient allés dans leurs foyers sans attendre ce moment de partage. Nos instructeurs ainsi que les mécanos et quelques agents administratifs du centre, ceux avec qui nous avions été le plus en relation durant notre séjour, étaient là aussi et nous fîmes la fête jusqu’au petit jour.
Heureux, joyeux, pour un soir nous étions les rois, non pas du pétrole, non, mais du ciel et de la terre …
Jacques VASLIN
Date de dernière mise à jour : 05/04/2020
Ajouter un commentaire