Souvenirs d'un pilote de bombardement
À vingt ans de distance, un pilote ne se rappelle plus que le meilleur et le pire d'un avion. Ou plutôt, comme cet avion lui a finalement laissé la vie sauve, et lui a tout de même apporté beaucoup de satisfactions, et quelques émotions, il ne veut et ne peut se rappeler que le meilleur, tempérant celui-ci d'un peu de moins bon.
Pour la génération des pilotes et des navigateurs qui vécurent le renouveau du bombardement français et son passage aux appareils à réaction à la fin des années cinquante et au début des années soixante, le Vautour représentait alors le nec plus ultra de l'aviation.
Quelque peu éblouis et impressionnés par cet avion, nous ne nous interrogeons guère sur ce à quoi il pouvait servir, au fond. Ce n'est que petit à petit que nous nous rendîmes compte que ce biréacteur présentait un certain nombre de défauts qui apparaissaient à l'évidence comme la négation de la mission pour laquelle il avait été conçu.
Car ou bien il emportait du carburant, et alors pouvait parcourir une distance respectable. Ou bien il emportait des bombes, puisqu'il était en principe prévu pour ça.
Mais en aucun cas il ne pouvait faire les deux, c'est-à-dire intervenir, comme avion d'armes à des distances supérieures, disons, à quelques centaines de kilomètres. Car avec son plein interne de carburant, il n'allait pas au-delà. Le plein interne qui permettait d'utiliser les soutes à bombes pour y mettre... des bombes.
Vautour II B avec le chassis à bombes baissé et des bombes sous les ailes
C'est qu'en effet la possibilité existait de placer des réservoirs dans ces soutes, au lieu de bombes. Et très vite, les réservoirs en question y furent installés à demeure, même lorsqu'on monta des bidons supplémentaires sous les ailes. Dans ces conditions, l'avion était à même d'effectuer des missions longues, jusqu'à trois heures, à haute altitude. Mais sans armement.
On volait pour voler. Non, soyons juste : on pouvait encore emporter quelques bombes sous les ailes, mais le chargement semblait bien léger par rapport à l'avion.
Ceux qui avaient rêvé d'un bombardier à haute altitude, capable d'intervenir en profondeur, restaient sur leur faim. Peut-être, d'ailleurs, ceux-là avaient-ils rêvé à tort, transposant dans les années cinquante leur expérience de la seconde guerre mondiale.
Plus tard, on en est venu à une meilleure estimation des possibilités de l'avion, et l'on est passé du bombardement horizontal (avec viseur Norden, qui lui aussi datait de la dernière guerre), au bombardement à basse altitude, à l'appui-feu.
Voilà pour la mission.
Mais, puisque nous en sommes au stade des critiques, parlons aussi d'un autre point, qui, d'apparence banal, témoignait bien aussi des erreurs de conception.
Cet avion, prévu en principe pour effectuer des missions très longues à haute altitude, était fort mal climatisé. Et encore, le terme est-il faible. En réalité, même si la climatisation était placée sur la position la plus forte (désembuage secours) dès le décollage, au bout d'une heure ou deux à haute altitude, la température intérieure de la cabine descendait nettement au-dessous de zéro degré.
Un navigateur-bombardier qui avait eu la curiosité d'emportare un thermomètre - la cabine bombardier, qui comportait seulement une bulle transparente vers l'avant, ne bénéficiait pas de l'ensoleillement dont profitait le pilote sous sa verrière..., ce bombardier eut la surprise de voir que l'air de sa cabine était à -17°.
Le poste navigateur-bombardier (Coll. Ph. Evrard)
Deuxième anomalie : l'absence totale d'installation permettant à l'équipage de satisfaire... un besoin bien naturel au bout de plusieurs heures et en atmosphère aussi froide. Les membres d'équipage en étaient donc réduits à utiliser de petits sacs en plastique, qu'ils plaçaient ensuite contre la paroi, ce qui provoquait rapidement le gel de leur contenu. On avouera que ce genre de palliatif, s'il témoignait d'une certaine débrouillardise de la part des équipages, ne se situait guère au niveau de l'avion, fer de lance du bombardement français.
Un avion au demeurant fort sympathique, si on ne tient compte que de ses qualités de pilotage. Pour les pilotes qui venaient du B-26, la transition s'était faite sans trop de difficultés, le lâcher avait lieu sur Vautour II A monoplace, et après un certain nombre d'heures, et un contrôle par un instructeur-pilote qui prenait la place du bombardier, le nouveau pilote de Vautour II B était autorisé à voler en équipage. D'abord avec un instructeur-navigateur, puis en équipage constitué.
L'entraînement se composait ensuite essentiellement de missions de navigation à haute altitude - jusqu'à 48.000 pieds, limite imposée par la résistance de la verrière -, avec attaque fictive d'objectifs, ainsi que de missions de bombardement sur cible avec bombes d'exercice.
En pilotage pur, l'avion se révélait particulièrement stable, même à haute altitude, lorsqu'il volait à une vitesse indiquée relativement faible.
L'accoutumance à l'utilisation des servo-commandes venait vite, même pour ceux qui n'avaient jamais piloté d'avions dotés de cet équipement. On dira que ces qualités de stabilité (et de maniabilité) étaient bien le moins, pour un appareil destiné à des missions de bombardement horizontal.
C'est sans doute vrai, mais il est bon de noter que, de ce point de vue, le constructeur avait réussi un avion excellent. Cela se révélait important pour des missions de longue durée, au cours desquelles la fatigue se faisait sentir.
Également en pilotage sans visibilité, en particulier lors des percées : avec le Vautour, du fait même de ses qualités, il était possible d'atterrir malgré des conditions médiocres de plafond et de visibilité.
Cela, du moins pour l'approche.
Vautour II B en finale, avec bidons Chipiron
Car pour ce qui concerne la manœuvre d'atterrissage elle-même, disons que la disposition du train d'atterrissage provoquait quelques soucis, et engendrait quelques problèmes.
Dans un désir de perfection, presque de perfectionnisme, beaucoup de pilotes essayaient en effet de poser leur avion parfaitement horizontal, c'est-à-dire les deux diabolos touchant en même temps la piste. Mais l'obtention de cette simultanéité était délicate, et si le diabolo avant prenait contact avec le béton un peu avant le diabolo arrière, l'avion partait dans une série de rebonds qui allaient en s'amplifiant, et se sont parfois terminés fort mal. Il s'est ainsi produit des ruptures de fût de train d'atterrissage, consécutives à des rebonds de ce genre.
En fait, il suffisait de s'en tenir à la manoeuvre toute bête qui consistait à poser d'abord le diabolo arrière, pour que tout se passe le mieux du monde. C'était sans doute moins satisfaisant au plan esthétique et manoeuvrier, mais beaucoup plus sûr ! Vu à vingt ans de distance, le Vautour apparaît au fond surtout comme un avion de transition entre les appareils à hélice et les bombardiers supersoniques Mirage IV.
Une telle remarque peut sembler banale. Mais on est bien obligé de s'en tenir là, surtout si l'on veut se rappeler que cet avion a permis à des dizaines et des dizaines d'équipages de se reconvertir, d'effectuer leur transformation de pilotes et de navigateurs de transport en équipages de la Force Nucléaire Stratégique.
Parking de la 92ème Escadre à Cognac (Coll P. Narbey)
Il a en vérité ouvert la voie au Mirage IV, puisque le Super-Vautour, dont on parlait dans les années soixante, n'a jamais vu le jour, lui...
Germain CHAMBOST
Date de dernière mise à jour : 09/04/2020
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