Saute-moutons en Mirage IV
Nous sommes à Mont-de-Marsan, un jour de juin 1972, à l'ERV 4/91 "Landes", et, ce soir, je vais participer, en tant que navigateur C-135, à mon deuxième exercice Poker, qui met les FAS en alerte puis en vol pour une manœuvre d'ensemble.
L'équipage :
- en place gauche, une autorité d'Istres,
- en place droite, notre commandant d'escadron,
- à la table à cartes et au radar, moi, se faisant tout petit,
- puis l'ORV habituel du commandant.
Tout à l'heure, cela serait bien si la sortie de parking se faisait conformément à notre rang à l'annuaire des officiers d'active de l'Armée de l'air, mais notre avion occupe la place la plus à gauche du parking ZTO, le plus près de la porte de sortie du bâtiment, la plus loin du seuil de piste. Cela ne sera donc pas facile !
Maintenant, tout est prêt, l'avion, la mission et la Force viennent de passer en alerte à cinq minutes. Nous errons de salle d'OPS en salle de l'OPO en attente de l'ordre de décollage libérateur, qu'on puisse enfin y aller.
Le billou-billou éclate, impératif, les équipages courent aux avions.
Nous montons à l'échelle chacun à notre tour, les barreaux résonnent sous nos pas, l'ORV remonte l'échelle et ferme la porte.
Chacun s'installe à sa place, met sa ceinture, la cartouche du 4 est percutée, le moteur poussé à fond, métal hurlant, envoie autant d'air qu'il peut aux trois moteurs pour les démarrer, puis un silence relatif revient.
On roule, la roulette, les freins, "clair à gauche, à droite", les items des listes de contrôle se succèdent, rappel des vitesses et des consignes de sécurité au décollage, arrêt au point d'attente. Nous sommes en troisième position, mais personne ne fait de réflexion sur ce rang pas très respectueux.
Le premier s'élance et, en panne, s'arrête, annonce "Abort" puis roule vers l'arceau de la ZA 2 en piste 09.
Le suivant y va, décolle sans problème et annonce " Airborne".
À nous. Alignement, puissance, injection d'eau, les 3 alternateurs résistent au choc, lâcher des freins, contrôle accélération. L'horizon pilote décide de ne plus jouer avec nous et fait les pieds au mur. Décollage interrompu, "Abort" à la radio.
Nous roulons vers l'arceau ZA 2 en devisant gentiment, quand un bruit de tonnerre résonne d'abord derrière nous puis au-dessus et enfin devant, alors que les yeux furieux de deux tuyères crachent le feu dans notre pare-brise. Pas d'hallucination, c'est bien un Mirage IV qui vient de nous passer à saute-moutons et on a bien senti le vent du boulet.
Dès le lendemain, la procédure radio est modifiée, les mots anglais remplacés par de courtes phrases en français.
Le pilote du Mirage IV dira qu'il a mis son appareil sur la tranche pour réussir à passer la dérive du C-135, qui ne lui a jamais semblé aussi haute.
Sûrement le genre de numéro qu'on ne réussit qu'une fois dans sa vie.
Pierre NIGAY
Date de dernière mise à jour : 28/04/2020
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