Samy, pilote de chasse
Samy est un pilote de chasse ayant été transformé en France, quand son pays acheta des Mirage F1. Il n’était pas le seul, il y avait entre autres Osman (né de père Irlandais du Nord et de mère berbère), Belkacem (pur berbère) et un certain Djellal bien connu à la 30ème Escadre pour avoir brillamment rendu quelques services à certains barons de la 30 (ceci est une autre histoire).
Samy est Français, né à Bordeaux au milieu des années 50. Son père, commerçant ayant perdu son épouse, a laissé ses trois enfants à sa sœur, est parti en Tunisie, s’est marié avec une tunisienne et est revenu exercer son commerce à Bordeaux. Aujourd’hui il a rejoint la Tunisie et il réside à au Cap Bon.
Passé 18 ans et son bac en poche, Samy, en vacances scolaires a voulu aller voir ses frères et, faisant fi des conseils de son père, s’est vu retenu dès le premier contrôle de police à sa descente d’avion à l’aéroport. Mis d’office dans une école militaire sans savoir ni lire ni écrire un mot d’arabe, il en est sorti pilote de chasse.
Samy était plus qu’une relation de travail, c’était un ami avec qui j’ai volé sur Mirage F1-B. Aujourd’hui, je l’ai perdu de vue. Il avait l’intention de rejoindre son amie qui lui a donné un fils et qui vit au Québec
À partir de fin 1984, la Base aérienne avait en permanence 2 Mirage F-1 dans le grand sud à 680 NM de la base de soutien avec un personnel militaire réduit et rendant compte dès qu’un léger problème se présentait. Nous étions souvent sollicités afin de les aider et ils auraient aimé avoir quelques techniciens français sur place. Nous n’étions pas d’accord car la plage était trop loin. J’y suis allé une fois en Iliouchine 72 afin de déposer le moteur objet de la suite de cette histoire.
Un des 110 "Mirage" F-1 livrés à la Libye
Arrivé un soir, la matinée du lendemain s’est passée à déposer le moteur cassé, poser un neuf, point fixe de contrôle et à 11 h retour dans le nord.
En été, les vols ne se font que le matin et avant midi, car il n’est pas rare que la température atteigne 50 voir 56° sous abri ce qui entraîne une moindre densité de l’air et donc des vitesses sol plus élevées ainsi qu’une diminution de la poussée et une gêne pour le personnel au sol, car il est difficile de rester dehors plus de 5 à 6 min. On a très vite l’impression d’avoir la tête dans le four d’une cuisinière et la sensation d’une brûlure des yeux.
Donc, dans le sud, Samy se programme un vol vers 9 h. À 8 h 45 il est au bureau de piste, il signe la forme en consultant ce qui s’est passé la veille : RAS.
L’avion est à 30 m du bureau. " Salamalecs" d’usage au mécano :
- « Ça va ! Tes femmes vont bien ? Les poules et les lapins aussi ? Il fait beau aujourd’hui ? » (on ne sait jamais quelque fois qu’il aurait neigé !)
Il dépose son casque au pied de l’échelle et commence le sacro-saint tour avion suivi du mécano.
Samy connaît très bien le personnel mécano. Il a une confiance limitée et, de ce fait, il regarde tout et même plusieurs fois. Le voilà au croupion ; un œil sur le parachute frein (il n’a pas dû servir ni être démonté depuis sa visite de départ de France), un œil dans le canal PC, les sondes T4 (1), la sonde à ions (2), les couronnes accroche-flammes, la tuyère, les volets chauds et froids.
Le canal, la tuyère et les volets sont tapissés d’un produit ressemblant à de la sciure de bois avec quelques copeaux de couleur jaune ou rouge. Derrière, dans l’axe de l’avion, le sol en recèle une grande quantité.
- « Qu’est-ce cela mon cher maître ? » m’aurait dit un pilote que je connais bien
- « Diable ! Aurais-je répondu ! » Car c’est un mot de passe entre nous.
Là, le mécano ne sait rien, n’a rien vu, n’a rien fait.
Le pilote s’énerve :
- « C’est quoi ce bordel ? »
- « C’est peut-être du sable »
- « Du sable en copeaux ? Tu te fous de moi ! »
- « Non Allah est grand »
- « Je sais plus de 2 m sans les talons »
- « Diable ! Aurais-je répondu ! »
Samy n’a rien d’un musulman intégriste. Ce n’est pas un honnête whisky qui va l’arrêter. Il ordonne l’ouverture des trappes principales de train afin d’avoir accès par une petite porte à Noël 80 (micro turbo). Il passe une main qui se pose sur un tas de sciure et de copeaux en ressort une grosse poignée qu’il jette par terre, recommence l’opération et sent sous ses doigts les ailettes de la RM1 (3) dont les bords d’attaque lui semblent ébréchés avec de grosses bavures qui lui écorchent le bout des doigts.
Il redescend :
- « Alors ,c’est toujours rien ! Ou du sable et tu as mis une échelle devant l’entrée d’air pour qu’il monte plus vite ? »
- « Je ne sais pas. »
- « Et mes doigts ? C’est le sable qui m’a écorché ? »
- « Faut pas toucher, ça coupe ! »
- « Je veux savoir ce que c’est, d’où ça vient, ce que tu as fait »
- « C’est pas moi, c’est Ali qui a signé la PPV (4) »
- « Où il est ? »
- « Il est parti chez lui, il était fatigué »
- « Oui, il était sûrement fatigué de s’entraîner à dormir »
Samy ramasse son casque et traîne le mécano au bureau de piste où, là, il explique le problème à un officier.
L’officier s’en va et revient tout de suite avec à la main le Coran.
Il s’adresse au mécano :
- « Mets ta main droite sur le "saint Coran inimitable" et jure sur Allah de dire la vérité. »
- « Je le jure ! »
- « Au nom d’Allah le miséricordieux que s’est-il passé ? »
- « J’ai fait une mise en route, Ali était au sol, le moteur avait trop de mal à démarrer. J’ai arrêté, j’ai attendu 2 mn et j’ai recommencé. Le moteur a démarré en broutant et le T4 a dépassé 1000°. J’ai tout coupé et le TAT (5) a fait 12 secondes, c’était bon parce qu’il s’est dépêché de s’arrêter. Je suis descendu et Ali m’a fait voir que le moteur avait mangé les caches d’entrée d’air en stratifiée avec les sangles et les crochets qui n’étaient pas en place. Ali a dit aussi qu’il y avait le feu au cul. On est allé voir mais il n’y avait plus rien. »
Question :
- « Et pourquoi vous n’avez rien dit ? »
- « On a cru que le pilote en démarrant allait s’apercevoir de quelque chose. Alors c’était lui le responsable »
Avant dépose j’ai constaté beaucoup de métallisation dans le canal PC et sur les volets chauds de tuyère. Après dépose, la RM1 était un peu abîmée et la RM2 avait pris un coup de vieux. Le dernier étage turbine était mort.
Au retour à El-Watia, après ouverture du compresseur, dépose turbine et chambre de combustion, les dégâts étaient tels que le coût des réparations aurait dépassé la valeur du moteur. Je ne pense pas qu’après une mise en route si tant est qu’elle ait pu se faire la poussée eut été suffisante pour faire rouler l’avion.
Samy a eu une autre frayeur. Trois pilotes déjà s’étaient éjectés pour une même panne. Sans aucun signe précurseur, le tachymètre dévissait lentement, gentiment et toute action sur la manette des gaz était inefficace, même le secours "panne d’huile" sollicité ne voulait plus rien savoir. On allait jusqu’à l’extinction, l’éjection, la perte du piège et personne n’allait récupérer les morceaux pour enquête.
J’avais dit à Samy au cas où… en se posant sur une route, on aurait au moins la faculté de faire des investigations et d’en savoir plus.
Dans le sud les routes à deux voies ont la largeur d’une trois voies en France. Elles sont parfaitement bitumées et on n'enregistre guère plus d’un véhicule à l’heure ; d’autre part, il n’est pas rare de trouver 15 km de ligne droite voire 20 ou 30 ou plus.
C’est donc ce qu’a fait Samy un matin vers 10 h. Acontucou, dit-on, Slats flaps (7) et aérofreins sortis, train aussi s’entend, parachute frein non utilisé. Après arrêt au milieu de la route, il a coupé la batterie, mis le parking et il est sorti de la cabine, a contourné le canopy, a suivi l’arête dorsale jusqu’à se laisser glisser sur un plan fixe arrière et de là rejoindre le sol. Casque à la main, tranquille, il s’assoit par terre, à l’ombre, le dos appuyé sur les roues du train principal. Il a même mis les sécurités sièges.
Au travers des masses d’air surchauffées et qui ondulent sur le sable et le bitume, il aperçoit au loin un véhicule qui lui fait des appels de phare.
C’est un camion, une "calabraise" qui date de l’occupation italienne, et qui sert à transporter en principe des pierres en forme de parallélépipèdes rectangles sciées dans leur carrière d’extraction et servant à la construction de maisons individuelles. Ces camions roulent à 25 kmh perpétuellement en surcharge si bien que les amortisseurs arrière constitués d’un empilement de lames de ressort courbées vers le haut, le sont maintenant vers le bas même s’ils sont à vide.
Le camion s’arrête à 2 m du nez du F1. Le chauffeur descend furieux et demande à Samy de pousser son "engin" afin qu’il puisse passer car il n’a pas que cela à faire, le mois du Ramadan approche.
Réponse de Samy qui sait que le frein de parking est en place :
- « Aide-moi à le pousser, je suis en panne et en plus fatigué. »
Le chauffeur s’épuise en vains efforts et finit par prendre la décision de contourner l’obstacle.
Nous avons récupéré cet avion et l’avons tracté jusqu’à la base, (150 km environ, 10 h de route aller et retour).
Le moteur a été démonté, envoyé en France, l’expertise a constaté le colmatage des filtres carburant du régulateur par de la poussière de sable (manque d’entretien des camions citernes de ravitaillement qui servent en même temps à la reprise de carburant dans les bacs de vidange).
À nous revoir Samy, même chez Allah pourquoi pas, dans son paradis où coulent le lait et le miel.
Pierre COLOMBE
(1) Sonde T4 : sondes thermiques situées après la turbine et qui renseignent sur la température du lieu : environ 750 °C sur F1.
(2) Sonde à ions : sonde qui lorsqu’elle détecte l’allumage postcombustion, allume en cabine le voyant "Fonctionnement PC" et coupe l’injection qui projette le pétrole enflammé des chambres de combustion vers les rampes PC à travers la turbine. Ne pas couper l’injection brûlerait la turbine. L’arrêt de l’injection est signalé en cabine.
(3) RM1 : première rangée d’ailettes de rotor du compresseur axial.
(4) PPV : préparation pour le vol.
(5) TAT : temps d’arrêt turbine (en principe 60 secondes, si plus long cela peut indiquer de la casse, si plus court, quelque chose freine le moteur).
(6) Tachy : tachymètre : donne la vitesse de rotation d’un moteur en tours par minute.
(7) Slats flaps : becs et volets hypersustentateurs.
Hors texte : aucune sanction n’a été prise à l’encontre du ou des mécanos. Un sous-off ou un soldat puni d’un nombre de X de jours de prison, bénéficie à sa sortie du trou d'un nombre égal de jours de permission.
Date de dernière mise à jour : 13/04/2020
Commentaires
-
- 1. Michel Tetard Le 20/12/2020
Bonjour,
Je suis resté plus de 8 ans en Libye, sur le Mirage V à Tripoli et plus particulièrement à El Watia sur le F1 en tant qu'électricien.
J'aimerai bien prendre contact avec des "anciens" pour des échanges de photos, d'adresses et éventuellement faire un groupe Facebook dédié.
Au plaisir....
Michel
Ajouter un commentaire