Règlement de comptes
Dans cette série, je n’oublie pas les relations parfois un peu tendues que nous avons eu à vivre avec nos amis de l’Aéronavale.
Si j’atteste que nous étions parfois des voyous, je pense que certains de nos amis marins étaient au moins des flibustiers...
Par exemple, nous faisions chaque année des exercices avec la ‘Royale’, lorsqu’un des porte-avions (Foch ou Clémenceau) se trouvait en Méditerranée. L’attaque à la mer étant la mission secondaire de notre escadron, nous recevions le renfort de quelques autres chasseurs pour ces missions, afin d’effectuer des ‘raids de masse’ sur les navires de la Marine Nationale. Ainsi, notre parking se peuplait à ces occasions de Mirages F1 CR de Strasbourg, de Mirages 5F de Colmar, ou de Mirages III E de Nancy ou Luxeuil.
D’ordinaire, un ou deux Mirages F1 CR (équipés de centrales à inertie) prenaient la tête. Suivaient huit ou dix Jaguar, chargés comme des camions, puis quatre Mirages 5 ou III, censés assurer la protection contre les interceptions au-dessus du dispositif.
Le profil de la mission était toujours très simple : il fallait trouver la flotte, dont nous n’avions qu’une position approximative, attaquer en 'rase-vagues' le bateau, et rentrer à la base. À cette occasion, je me souviens de ce Mirage F1 CR qui s’était trompé en insérant les coordonnées dans sa ‘centrale’ et qui nous avait amené 100 nautiques trop à l’Est de la flotte. Nos calculateurs de navigation confirmaient bien son erreur, mais chacun jugea amusant de le laisser dans sa m…
Il est vrai qu’on était un peu jaloux de leur équipement et qu’ils nous charriaient un peu avec leur soit- disant ‘précision de navigation’. Sur ce coup-là, les Mirages III E qui nous accompagnaient eurent tôt fait de détecter un bateau avec leurs radars (qu’ils jugèrent assez plat pour être un porte-avions). En réalité, nous avons attaqué un porte-container chypriote, dont l’équipage n’a pas dû comprendre ce qui se passait au-dessus de sa tête ! Personne ne s’est retourné pour recompter les containers après le passage, mais ça a dû faire un sacré boucan…
Plus sérieusement, d’ordinaire, on repérait la flotte sans trop de problèmes. C’est pendant l’approche finale que nos relations avec l’Aéronavale se détérioraient un peu. En effet, la tactique voulait qu’on attaque en ‘râteau’ (de front sur plusieurs km) en convergeant sur le porte-avions. De cette manière, nous avions plus de chance de diviser ses radars de tir et donc, plus de chance de survie (évidemment fictive).
Durant cette manœuvre, nous étions quasiment assurés de voir 2 ou 3 ‘Crouz’ (Crusader) nous remonter par l’arrière, au ras des flots, pour semer la pagaille dans notre formation.
Ils y réussissaient d’ailleurs très bien, car notre protection n’avait pas le temps de réagir (un radar ne voit rien vers l’arrière…) et leur vitesse permettait à chacun d’aligner au moins un bombardier avant de remonter à couvert. De plus, ces brigands prenaient un malin plaisir à dégager sous leur proie. Ce qui était relativement suicidaire à nos yeux, vu notre hauteur de vol, et je vous prie de croire que même un poisson volant ne s’y serait pas risqué !
Certains contraient évidemment leurs attaques et nous nous retrouvions à basse vitesse, au ras des vagues, en cercle d’autoprotection, comme des cowboys pendant une attaque d'indiens. Les ‘Crouz’ gardaient leur vitesse, piquant et remontant pour essayer d’améliorer leur tableau de chasse. A cours de pétrole, les uns et les autres rompaient le combat, un peu en vrac..
Une autre situation se présentait assez régulièrement du côté de Hyères.
En échange d’une permanence en tant qu’officier de tir, nous avions le droit d’utiliser un petit champ de tir appartenant à la Marine et situé sur l’île du Levant, situé en face du fameux 'fort de Brégançon’, sur la côte varoise. Cette opportunité nous permettait de tirer de nombreuses munitions, car ce site était à peine à 14 minutes de vol d’Istres. Ainsi, nous pouvions faire plusieurs rotations par jour, ce qui nous arrangeait beaucoup, et notamment en fin d’année, lorsqu’il fallait ‘écluser’ les stocks de munitions d'exercice.
Cependant, lorsque le porte-avions se trouvait dans les parages, nous savions qu’il faudrait souvent attendre avant de profiter du champ de tir, car les marins s’étaient réservé la priorité. Ce qui était très compréhensible, vu les impératifs d’appontage que nous n’avions pas.
Nous devions donc très souvent attendre au large de Hyères (entre la côte et l’île de Porquerolles) que les marins dégagent du champ de tir, afin de pouvoir en profiter.
La procédure voulait qu’on fasse des orbites à 3.000 pieds et vitesse réduite, sous le contrôle serré du radar de Hyères.
Bizarrement, ou peut-être avec les informations du radar… quelques Crusader ou Super-Étendard en maraude venaient souvent faire des barriques autour de nous, en plaçant quelques passes de tir, aussi anodines qu’énervantes. Comme la priorité était de larguer nos munitions et de rentrer à Istres au plus vite, ordre avait été donné de ne pas nous ’enrouler’ avec eux.
Cette mascarade commençait tout de même à en agacer quelques-uns et nous cherchâmes un moyen de se venger...
Nous savions que l’escadron de l’Aéronavale basé à Hyères utilisait souvent le plateau de Valensole (situé dans les Préalpes, un peu au nord de leur terrain) pour s’entraîner à la manœuvre en basse altitude. Très souvent, on s’était croisé dans cette région, mais sans trop s’agacer, chacun poursuivant sa mission sans engagement…
Suite à l’affaire du champ de tir, on organisa quelques missions ‘punitives’ par là-bas. Pour cela, nous adoptions la tactique de la ‘chèvre’, qu’on peut comparer à de la pèche à la traîne, sauf que le leurre est placé devant… Un avion paraissant très chargé (bidons, contre-mesures électroniques, etc.) était envoyé au travers de la zone, pas trop vite, assez haut, en annonçant régulièrement sa position sur la fréquence radio d’auto-information (dont nous savions qu’elle était écoutée par les marins). C’était la ‘chèvre’, censée attirer les loups. Plus en arrière, collés au sol et très légers, 3 paires d’yeux scrutaient le ciel et tombaient sur tout avion qui mordait à l’hameçon. Une fois, on a même piégé un Mirage F1 qui traînait par là… Le pauvre n'a pas compris ce qui lui arrivait !
Par la suite, on envoyait les films de tir à Hyères par la poste. On inscrivait sur l’enveloppe : « Cellule air-air Aéronavale (pour exploitation…) ».
Ces missions peu orthodoxes étaient très efficaces, mais il fallut les stopper assez rapidement, parce que le radar du Mont Agel (Nice) avait repéré notre petit manège. Il fut ainsi décrété que le plateau de Valensole serait le ‘bac à sable’ privé de l’Aéronavale…
Dommage. C'était amusant et très instructif.
Christian SEYSSET
Date de dernière mise à jour : 11/03/2022
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