Record d'altitude en T-33
BA 705 Tours 1968, je suis jeune sergent mécanicien au 1er escadron en piste T-33.
À cette époque, nous avons 6 à 7 avions par rangées (escadrons) et nos avions font en moyenne 4 sorties par jour, voire 5 si vol de nuit. L’équipe de mécaniciens de piste est de 6 techniciens "avion", les autres spécialités travaillent pour tous les escadrons.
Notre boulot est de préparer les avions et de refaire les mises en œuvre (aides aux équipages, tours d’avions, pleins carburant, huile, O2 et petit dépannages). Nous commençons à 7 h le matin pour que les premiers vols partent vers 8 h 30 - 9 h.
Le service de piste comporte à cette époque 4 escadrons : 1er, 2nd, 3ème et 4ème, plus le 6ème où je serai affecté plus tard et qui est l’escadron des "testeurs" et des abonnés.
Lockheed T-33 (E. Moreau)
Le 1er escadron, celui où je travaille pour l’instant, est "mixte" : il comporte une partie de pilotes de l’Armée de l’air et une partie de pilotes de la "Royale", idem pour l’encadrement. Je suis à ma première affectation depuis ma sortie d’école, et je suis très heureux de travailler sur ce type d’appareil.
À ma sortie d’école, comme pour les pilotes, nous choisissons notre affectation en fonction de notre classement, et, étant 4ème de la promo, j’avais opté pour la base la plus au sud de la France, je me suis retrouvé à Tours. Bon, la France devait avoir une frontière en-dessous de la Loire. Je suis resté à Tours jusqu’en août 1971, époque à laquelle j’ai été muté à Djibouti sur AD-4N Skyraider (super avion).
Le 7 mai 1968 (belle époque…) il y a un vol de contrôle réacteur à faire sur un T-33 de notre rangée. Le T-33 UR 028.
Le pilote est le Cne Bertrand (indicatif radio : Mickey 21). C’est l’un pilote des 6 Mystère IV qui se sont éjectés en Espagne quelque années auparavant car les contrôleurs espagnols ne les voyaient pas sur leurs scopes radar. Je serai le mécanicien contrôleur qui fera le vol. Mon boulot est de relever les paramètres moteurs tous les 5.000 ft (N1, TGT, fuel flow). La mission doit se faire dans le secteur Whisky (secteur le long de la Vienne vers l’Isle-Jourdain).
Petit briefing à l’escadron, j’explique au Cne Bertrand ce que je dois faire pour ce contrôle et il me dit tout simplement de surveiller l’altimètre et de lui demander la mise en palier avec un régime sélectionné pour effectuer mes relevés puis de lui donner un top pour continuer la montée.
Nous nous dirigeons vers l’avion après être passés par la salle des parachutes, nous effectuons le tour de l’avion, le pilote fait son tour comme prévu et j’enlève les sécurités des bidons et de train que je range comme d’habitude dans la boîte à cartes du coté droit en place arrière.
Nous montons dans l’avion, nous nous installons, pendant qu’un mécano de piste nous aides à nous "brêler" et vérifie que nous avons enlevé les sécurités des sièges éjectables. La verrière se ferme, l’autorisation de roulage est donnée par la tour, et nous roulons tranquillement pour l’alignement. Check freins en sortie de parking, bout de piste check-list "décollage", et c’est parti, en route pour le secteur du vol de contrôle.
Nous survolons la vallée de la Vienne et tous les 5.000 ft, je donne le top au pilote pour le palier, effectue mes relevés et nous continuons notre montée, 5.000 ft, 10.000 ft, ..., 35.000 ft, niveau où normalement j’ai fini mes relevés.
Le Cne Bertrand, mon pilote, me dit :
« Nous allons continuer de monter, il nous reste du pétrole… Je veux voir jusqu’où on peut aller » (nous étions partis en plein complet soit 813 US gallons)
La montée continue, on arrive à 40.000 ft et nous continuons, le secteur où nous évoluons fait environ 150 km de long, et pendant le vol en ligne droite nous gagnons gentiment 1.500 ft au début, en perdons quelques centaines pendant le virage, et nous arrivons péniblement à 45.500 ft, et là, les aiguilles du badin : celle de la vitesse, de la compressibilité et celle du décrochage se chevauchent pratiquement, impossible de continuer de monter.
Mais, mon Dieu que la terre est jolie à cette altitude, et quel silence, on n’entend pratiquement plus le réacteur, on voit que finalement la terre est ronde ! Depuis le milieu de la France, nous voyons l’Atlantique, la Méditerranée, les Alpes… C’est magnifique, on voit la France entière, mais, le pétrole diminuant, il est temps de songer au retour base.
Ce vol a duré 1 h 30, il a fallu 1 h pour monter et 30 mn pour redescendre, mais, c’était vraiment le plus beau vol que j’ai pu faire sur T-33, et je pense que le record que nous avons effectués : 45 500 ft n’a jamais été battu !
Christian CHASSAGNE
Carnet de vol de Ch. Chassagne
Date de dernière mise à jour : 15/04/2020
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