Quand le Béarn volait sur réacteur
Non, ce n’est pas une galéjade car un avion à l'insigne des Bœufs a bien volé avec deux réacteurs sous les plans. C’était en 1959, au Bourget. Un jour, un magnifique Douglas C-47B - on aurait dit qu'il avait été passé au polish - nous est arrivé soit de l'AIA, soit du CEV, soit peut-être d’ailleurs, je ne m'en souviens plus ! Il était équipé, sous chaque plan, d’une petite merveille de chez ʺTurbomécaʺ et baptisée Palas. Ces petits réacteurs de 160 Kgf de poussée fonctionnaient à l’essence avion 100/130. Bien que modeste, la poussée de ces deux machines au décollage n’était pas négligeable : évidemment ce serait beaucoup dire, qu’assis à ma place radio, j’avais les fesses plaquées au siège quand le pilote « mettait la gomme » ... cependant, c’était un "petit plus" sur le plan de la sécurité au décollage.
C-47B s/n 43-49881 - FRAKP - GT 1/64 ʺBéarnʺ - 1959
C’est en relisant l’excellent livre "Sur les routes du ciel" de notre ancienne camarade d’équipage, Valérie de La Renaudie que m’est venue l’idée de ce petit retour en arrière. "Val", comme nous l’appelions, y relate deux crashs de C-47, en bout de piste et de nuit.
Le premier se situe à Gao, sur les bords du Niger, le 12 juillet 1951, peu après trois heures du matin. Le Dakota de l'équipage Dubourdieu, Huguenet, Laurence, Epinat, Girardin et miss Roure, suite à une baisse de régime, se "crashe" train rentré, à 400 m du bout de piste et prend feu. La convoyeuse fait évacuer neuf passagers par l’arrière. Puis, elle retourne dans l’avion en flammes pour essayer de récupérer deux autres passagers inanimés. Elle trouve la porte équipage coincée et n’entend âme qui vive à l’avant. Bien qu’affreusement brûlée, elle croyait s’en être tirée à bon compte mais vers 17 heures, elle se rend compte de son état ; elle entre dans le coma une heure plus tard et expire à 20 h 30. Valérie venait de perdre, en Geneviève Roure, sa meilleure et plus fidèle amie !
Invité à passer quelques jours chez mon vieux camarade Pierre Grandvalet, dans les Côtes d’Armor et, traversant le petit cimetière de Pléneuf, nous nous sommes recueillis devant une tombe portant cette simple inscription "GENEVIEVE ROURE IPSA Convoyeuse de l'Air - GAO 12 juillet 1951".
Le second crash relaté par Valérie a lieu trois semaines plus tard, le 2 août 1951, vers quatre heures du matin. Le Dakota de la ligne 102, à destination de Paris, avec pour équipage Guiroz, Tanguy, Blanchet, Brunet, Grandsagne et Gisèle Pons, décolle de Saigon Tan-Son-Nhut. L’avion s’écrase en bout de piste et prend feu. Dans sa chute il a écrasé une paillote du village et fait des victimes civiles : il n’y aura que deux rescapés dont Blanchet, le navigateur...
Certes le Dakota, avec ses deux moteurs Pratt et Whitney R 1830 était un excellent avion mais, à pleine charge au décollage, la panne moteur pouvait mal se terminer, pour peu que le mécano ait des difficultés à passer l’hélice en drapeau. Quel était cet excellent pilote du Béarn qui, venu déjeuner au mess pendant qu’on lui préparait un autre avion, nous avait confié : ʺje n'aurais jamais imaginé voir, d’aussi près, les cheminées de l’usine à gaz et les toits de La Courneuve.ʺ : décollant, à pleine charge, sur la piste 27 du Bourget, une "carafe moteur" suivie d'une mise en drapeau l’a fait se traîner, à pleine charge, au ras des pâquerettes d’abord, puis des toits ensuite. Après un virage en table de bistrot et, se traînant de longues minutes, à la limite de la vitesse de décrochage, il a réussi à s’aligner et à se poser sur la piste 03... Ouf ! S’il avait été aux commandes du C47 n° 881 - Kilo Papa (FRAKP), la situation aurait été moins critique. Ce n'est pas Pierre Sallon, mécano navigant sur cet avion, qui me contredira. D’ailleurs, il se souvient de ce 15 juillet 59 où avec Vandam aux commandes, notre "Kilo Papa" a fait un décollage extra-court du Bourget (de plus, nous étions à vide) à destination de Caen Carpiquet. Le gars de la TWR du Bourget en fut épaté ! But de notre mission : donner des baptêmes de l'air à de nombreux jeunes bretons – type de mission idéal pour utiliser les Palas au décollage – C’était sans compter que, Carpiquet n’ayant qu’une piste en herbe à l'époque, le commandant d’aérodrome avait eu la bonne idée d'y faire passer la faucheuse ; c’est bien connu, les réacteurs, contrairement aux vaches, n’aiment pas l’herbe fraîchement coupée. En conséquence, nous donnerons bien nos baptêmes de l'air... mais sans l'appoint des Palas, au décollage.
Une rumeur courut et s’amplifia : le Béarn allait être mis au même régime alimentaire - à base de laitages et jus de fruits - que les "gus" de la chasse. Il va sans dire que nombre de navigants firent grise mine et notamment parmi « la mécanique » ... D'ailleurs le séjour de notre C47 à réaction sera de courte durée, d’une part parce que ses longerons d’aile encaissaient mal l’effort et d’autre part le Béarn, dernier escadron à voler sur Dakota, attendait son premier Nord 2501, lequel sera affecté en mars 1960. Et depuis, les ʺBœufsʺ ne volent plus sur réacteur !
Je ne peux terminer sans adresser un grand merci, plein de reconnaissance, à la gentille et discrète Valérie de La Renaudie. Aussi discrètement qu’elle a vécu, elle s’en est allée le 24 septembre 1997 - avant d’avoir pu savourer le succès de son remarquable livre - rejoindre, au paradis des Convoyeuses, sa chère amie Geneviève Roure et toutes ses autres consœurs tombées au service des ailes françaises.
Bernard GAUDINEAU (1998)
Publié dans le bulletin n° 5 de janvier 1999 de l'Association des Anciens de l’Escadron Béarn
Date de dernière mise à jour : 03/04/2020
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