Posé, pas cassé, on solde
Voilà : c’est fait !
Après cessation d’activité, la maison solde ses derniers vols et le dernier souvenir remonte à la surface.
Mardi 6 décembre 2016, veille de la date limite de péremption de mon aptitude médicale au pilotage, je viens de faire mon dernier vol comme pilote.
Le ciel était magnifique. Avec Alain, copilote toujours disponible, compétent et complice, j’ai pu faire un dernier décollage dans le décor qui a connu mes premiers virages et mon premier lâcher il y a près de 60 ans, un dernier atterrissage dans le décor qui m’enchante depuis plus de quinze ans. Que demander de mieux ?
Pas de regrets, que de bons souvenirs. Une mémoire remplie d’images, toutes plus belles les unes que les autres.
Refermer volontairement une porte ouverte aussi longtemps sur une passion, n’est pas anodin.
Nourri au "Grand cirque" de Pierre Clostermann dans les années 50, par l’École des Pupilles de l’Air, j’ai eu la chance de pouvoir apprendre à voler à l’Aéroclub du Dauphiné, sur l’aérodrome de Grenoble-Eybens.
Puis, après une petite vingtaine d’années comme pilote militaire, trois éjections, 1 sur Mystère IV et 2 sur F-100, un peu de vol à voile dans les nuages en Mirage III et une expérience d’instructeur sur Fouga, j’ai bifurqué vers l’industrie civile et continué à voler en aéroclub.
Retraité, inscrit à l’Aéroclub Alpin depuis plus de 15 ans, j’y ai passé mes qualifications "montagne sur sol naturel" et "remorqueur de planeurs", et volé comme un fou sur tous ses avions et tous ses planeurs du club, jusqu’à ce qu’une hémorragie méningée brise net cette trajectoire. Trois ans plus tard, d’abord avec, puis sans copilote de secours, j’ai pu reprendre les commandes.
C’est en refermant Le dernier envol de Romain Hugault, que j’ai pensé à faire revivre les vols dont je savais qu’ils seraient les derniers d’une longue série.
Voici leur histoire.
30 juillet 1974 – Mirage III E n°504 3-AK
Mirage III E (JF. Lipka)
C’est le dernier jour de campagne de tir, à Solenzara. Les mécanos commencent à démonter l’armement devenu superflu et à installer les gros bidons. Demain, l’escadron au grand complet s’envolera pour Nancy où nous reprendrons l’entraînement normal.
En préparant les ordres pour le retour je réalise que, non seulement je ne serai pas du voyage puisque nous remontons en famille et en voiture et que, dans une semaine, je rejoindrai la base de Toul pour y retrouver le F-100.
Sans y avoir prêté attention, j’aurais donc fait mon dernier vol sur Mirage avant longtemps ? Quel dommage. C’est trop bête.
Privilège d’un Cdt d’escadrille, il peut faire preuve d’initiative et se faire plaisir. Après consultation des mécanos, je programme donc un assaut à basse altitude au profit d’un pilote en entraînement à la qualification de sous-chef de patrouille.
Décollage de Solenzara, montée en altitude, descente sous le contrôle d’Istres. 40 minutes d’assaut dans l’arrière-pays varois et retour à Solenzara à haute altitude.
Pendant le briefing je vis déjà ce vol comme un au revoir au Mirage, un vieux copain que je vais quitter. Au revoir, car nos carrières ne sont pas terminées et je pense que nous nous retrouverons. Qui sait où ? Qui sait quand ? Peu importe, car on ne sait jamais.
Mise en route, décollage, retour d’un vol savouré et sans histoire. Je m’offre une remise des gaz en finale et une nouvelle arrivée, à 550 kt. Un break musclé, une finale ciselée, un arrondi et un toucher tout en douceur, lustrés comme à la peau de chamois.
Retour au parking, arrêt du moteur, silence. Mise en place des sécurités du siège éjectable. Descente de l’échelle et caresse au fuselage. Salut mon pote, prends soin de toi et à plus…
Dix mois plus tard, ma carrière de pilote de chasse se terminait brutalement sur F-100, au bout d’un parachute mal ouvert et dans lequel était emmailloté le siège éjectable.
C’était mon dernier vol sur un avion d’armes et, au décollage, je ne le savais pas.
30 juin 1978 – Fouga Magister n° 508
CM 170 Fouga "Magister
J’ai choisi de quitter l’Armée de l’air.
C’est ma dernière semaine à Salon et, dans ma tête, depuis quelques jours je programme mon dernier vol comme Cdt de bord d’un avion à cocardes.
Que faire ? Comment dire adieu gentiment aux belles années que je viens de vivre ?
Après avoir bien regardé les cartes j’irai à basse altitude, en limite d’autonomie et seul à bord, saluer le viaduc de Garabit.
La météo n’est pas très bonne, le viaduc se dérobe et me provoque. Je dois travailler pour faire mon chemin. Finalement, après plusieurs altérations de cap et sans prendre trop de risque pour éviter les nuages bas, je survole ce monument à basse altitude.
Retour tranquille au-dessus de la couche, atterrissage classique, coupure des moteurs. Silence.
Adieu mes potes.
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Après m’être déjà posé la question l’année précédente, le 7 décembre 2015 j’ai annoncé à mon médecin agréé que je ne ferais probablement plus appel à ses compétences aéronautiques.
Quand Jean-Pierre, mon ami et camarade de promotion, pilote instructeur en région parisienne, m’a demandé si la décision de ne pas reprendre de licence en 2017 n'était pas trop douloureuse, je lui ai répondu :
- « Elle n'est pas douloureuse puisque c'est moi qui la prends, et je sais pourquoi. »
1 - Avec le temps, mes oreilles et mes neurones deviennent de plus en plus poreux et sélectifs, et je crains de ne plus rester en mesure de gérer efficacement une situation délicate. Depuis bientôt un an mes yeux les imitent et, à courte distance sur les sentiers escarpés de montagne par exemple, je commence à avoir du mal à apprécier le relief avec précision.
2 - Mes démêlées avec le CMAC (1), l’évolution de la réglementation, font aussi que le plaisir de maîtriser la précision d’une trajectoire est passé bien après le plaisir des yeux et celui de la convivialité pendant le vol.
3 - J’ai gardé en mémoire une phrase dans un numéro spécial "Médecine aéro" du BSV :
- « Pour les pilotes : il faut savoir ne pas faire le vol de trop. »
Ne sachant pas comment identifier ce vol avant de monter dans l’avion, je la joue "calendrier et assurances".
4 - Pour boucler la boucle, j’ai choisi un aller et retour à Grenoble-Le Versoud, à défaut d’Eybens qui n’existe plus, pour y faire tamponner mon carnet de vol par l’aéroclub du Dauphiné, club qui m’a appris à déployer mes ailes en 1957.
5 - Quand l'envie me prendra, je pourrai toujours continuer à voler avec les pilotes du club comme "passager actif".
En avril dernier, j'ai pu faire proroger ma licence après avoir été contrôlé par un ancien pilote inspecteur retraité, instructeur montagne à l'ENAC à Grenoble et... rescapé du CMAC.
Il m'a fait poser à La Motte-Chalançon (N 44 29 41 / E 05 24 06) et à Faucon (N 44 32 15 / E 05 18 31).
Altisurface de La Motte Chalançon
Altisurface de Faucon (A. Bliez)
Je pensais que c’était probablement mon dernier atterrissage sur altisurface, et je l’ai vécu comme tel.
Mardi 29 novembre 2016 : dernier atterrissage sur altiport
Décollage de l'altiport de l'Alpe d'Huez
Alain et moi sommes allés à Huez en passant par le col de Lus-la-Croix-Haute (cause ZRT), pour un dernier attéro sur altiport. Jusqu'à Monestier-de-Clermont nous avons navigué sur la vallée, entre deux couches de gris, des petites fleurs de lumière ensoleillée persillant les sommets, Obiou et Mont Aiguille en tête, avaient de quoi faire aimer le vol à la montagne au plus grincheux des mortels.
Vendredi 2 décembre 2016 : première tentative
Le vol en direction du Versoud, avec Monique, Christian et Alain a été très sympa.
Départ de Tallard sous un ciel tout bleu, en espérant que les 3 km de visi annoncés par l’ATIS du Versoud allaient s’étirer sous le soleil. Passés par Lus-la-Croix-Haute, toujours pour cause de ZRT, nous avons découvert la cuvette de Grenoble et la vallée de l'Isère peintes d’un blanc éclatant et soutenu. Pas de trafic radio, pas de vue du sol même partielle, pas de dégradé vers les gris. Même pas eu envie de les appeler, encore moins d’aller voir pour vérifier si la visi annoncée est bien là.
Mardi 6 décembre 2016, DR 400-160 F-GLVU
DR 400 F-GLVU
La veille de la fin de validité de mon aptitude médicale, 60 ans à 2 ou 3 mois près après avoir fait mon premier vol aux commandes d’un avion, j’ai décollé du Versoud vers Tallard après avoir fait tamponner mon carnet de vol à l’aéroclub du Dauphiné.
Alain, toujours disponible pour voler, vigilant et complice, avait bien voulu m’accompagner.
Avec le casque radio, la planchette de vol et la carte au 1/500.000, le reste de ma panoplie de pilote est maintenant rassemblé dans son sac, celui qui m’accompagnait toujours en vol.
Un beau livre d’aventures vient de se transformer en recueil de souvenirs.
Dimanche 4 novembre 2018 - DR 400 F-BTZP
Pour la première fois depuis presque deux ans, j'ai repris les commandes d'un avion pour participer au concours d'atterrissages organisé par notre aéroclub. N'ayant plus de licence de pilote et comme un instructeur était à mes cotés, comme aux cotés de chaque concurrent pour éviter que certains furieux ne jettent l'avion sur l'étroite zone à atteindre, j'étais plus que relax. La chance aidant, j'ai été classé 5/21 concurrents.
J'ai pu mesurer la largeur et l'épaisseur des marges de progression qu'il me faudrait satisfaire pour espérer pouvoir me poser à nouveau sur des altisurfaces. De surcroît, tout en profitant bien de la convivialité de ce type de rencontres et des magnifiques couleurs des forêts vues d'en haut à l'automne, j'ai pu revalider ma décision d'avoir arrêté le pilotage au bon moment. Une bonne journée dans les Alpes du sud...
Dimanche 14 juin 2020 DR 400 F-GDTE
Profitant du vol d'un élève en formation à la navigation vers le PPL avec le chef-pilote, nous sommes allés visiter le musée des avions de chasse à Montélimar. C'était très sympa, j'y ai revu beaucoup d'avions que j'avais pilotés ou sur lesquels j'avais volé.
Comme convenu j'ai fait le vol de retour où j'avais prévu de survoler les altisurfaces sur lesquelles je m'étais posé quand je pratiquais l'aviation de montagne. Ce projet imposait une navigation précise dans une région sans beaucoup de repères.
Malheureusement, j'avais mal préparé le départ de Montélimar et mal renseigné la première carte, si bien qu'il m'a fallu une vingtaine de minutes pour savoir exactement où je me trouvais. Après avoir dépassé les deux premières altisurfaces, j'ai heureusement trouvé les suivantes.
Comme quoi le manque d'entraînement, associé aux souvenirs et à une vieillerie qui s'installe, ne sont pas gages de compétence !
Heureusement, le plaisir des yeux et la convivialité étaient là, et c'est le plus important. Coté pilotage, après presque 3 ans sans avoir tenu un manche, j'estime ne pas avoir trop perdu pour les manœuvres de base par beau temps.
Denis TURINA
(1) Conseil Médical de l’Aviation Civile : autorité médicale qui, en France, décide souverainement sans aucun contact avec l’intéressé et uniquement sur dossier, si un individu est physiquement et mentalement apte à piloter un avion.
Date de dernière mise à jour : 04/01/2021
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