Pilote de zébu sous le Capricorne
Pris dans une très forte perturbation tropicale dont je n'avais pas été avisé et démuni de radio, j'avais dû faire un atterrissage forcé en Gemini, train rentré, perdu dans la nature à la tombée de la nuit, sous un déluge de pluie, alors que j'aurais dû me trouver au-dessus de Tuléar. Je passe sur les détails de ce vol où j'avais comme passagers un ministre français et son épouse.
Après avoir passé la nuit à l'abri dans l'avion, le lendemain matin, aux aurores, ils restèrent sur place en attendant que je revienne avec des secours.
Suivant une vague piste, après deux heures de marche dans la forêt, j'arrivai devant une modeste case occupée par un indien venu s'installer dans ce trou perdu pour y exploiter une petite plantation de pois du Cap et deux rizières. Ne comprenant pas bien le français, nous nous expliquâmes en malgache, langue qu'il parlait couramment.
Après lui avoir, tant bien que mal, exposé la situation, il réalisa que j'étais fatigué et mit à ma disposition une petite charrette à deux roues tirée par un zébu famélique. Je compris qu'à une dizaine de kilomètres exista une grande plantation appartenant à deux français.
L'indien, n'ayant pas de personnel à mettre à ma disposition, je n'avais qu'à laisser faire le zébu qui suivrait docilement l'unique et étroite piste conduisant là-bas. Plus tard il ferait reprendre son attelage.
Piloter un avion est une chose, mener un zébu en est une autre... Pas tellement fier, je laissais trottiner la bestiole en l'encourageant de la voix et de la baguette, pour parvenir, vers midi... au Ranouzaze, chez mes amis, les frères Jaussaud, où je me posais de temps en temps sur leur terrain privé, jouxtant leur grande maison.
Heureux hasard que cette arrivée chez mes amis Louis et Jeannot, attablés sur la véranda en compagnie d'Olivier, chef de District de Tuléar, et de Floch, le chef de Province. Je les connaissais très bien tous les deux, chez qui il m'arrivait de dîner.
Effectuant une tournée administrative, ils venaient d'arriver, tout ébahis au spectacle folklorique du gars Lalut derrière son zébu...
Éclats de rires et grosses plaisanteries durant de longues minutes pendant lesquelles j'essayais vainement de relater ce qui s'était passé, mais pas moyen d'en placer une, Louis me collant d'office un verre dans la main en s'exclamant que c'était une façon originale de passer mes vacances à la découverte de l'Île...
Brusquement Floch intervint en rappelant qu'effectivement la veille au soir, le ministre attendu ne s'était pas manifesté.
Grand silence qui me permit de raconter ma vie en exposant ce qui était arrivé, à la suite de quoi Jeannot fit préparer un panier-repas pour mes passagers et envoya sa Jeep pour les récupérer.
Plein de reconnaissance pour mon bovin à bosse, je demandai à ce qu'on lui offre un seau d'eau sans whisky, pendant que Louis nous en reversait une autre tournée.
Jacques LALUT
Extrait de "Des histoires de l’air" de Jean Belotti (Éditions Vario - 2011)
Date de dernière mise à jour : 09/04/2020
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