Quand je me prenais pour un pilote d'essais

En 1961, je faisais partie de L'ECN 1/71, basée à Bône en Algérie. Cette unité, équipée de Dassault 315-Radar et de Meteor NF-XI, avait pour mission d'interdire le ciel de la partie ouest de l'Algérie à tout appareil étranger qui tenterait d'effectuer des parachutages d'armes aux rebelles.

Pour améliorer nos possibilités, l'État-major de l'Armée de l'air avait décidé de transformer en chasseurs de nuit des B-26C, en installant le radar AI Mk X du Meteor dans un radome qui prenait la place du nez vitré. L'armement consistait en deux mitrailleuses de 12.7 et deux lance-roquettes M-116 installés sous les ailes. Huit appareils furent ainsi modifiés par UTA-Industries.

B 26 n armt 1

Pour accélérer la mise en place de cet appareil, l'EMAA/BPM, avait décidé qu'un équipage de la 1/71 participerait à l'expérimentation du premier appareil modifié. Désignés pour ces essais, Bonnières et moi, arrivons donc fin février à l'Annexe du CEV de Cazaux.

Les essais étaient placés sous la responsabilité de mon camarade Daniel Rastel qui, pris par d'autres occupations, ne fit que les deux premiers vols. J'ai donc été chargé, à ma grande satisfaction, des vols suivants.

Lors du premier, je me souviens du hurlement de l'expérimentateur qui voyait la bande de papier de son HB défiler à grande vitesse. Encore novice dans le métier, j'avais simplement oublié de donner le TOP de fin de mesure.

Au total, une quinzaine de vols furent effectués pour valider l'adaptation du radar AI-Mk X sur l'avion et tester, par des tirs air/air et air/sol, l'installation et le fonctionnement des mitrailleuses et des lance-roquettes.

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Le Douglas B-26N "Invader" (Coll. Christian Faure)

Le dernier vol fut un tir de nuit des M-116, sur une cible remorquée par un B-26, et munie d'un clignotant pour des raisons de sécurité. La trajectoire des 36 SNEB tourbillonnant dans la nuit fut un vrai feu d'artifice.

Toujours prêt à m'installer dans le cockpit d'un avion que je ne connaissais pas, j'avais "musiqué" pour me faire lâcher sur certains appareils du Centre. Grâce à l'extrême gentillesse du Chef pilote, le LV Goupil, je fus donc lâché sur Mystère IV et sur Canberra.

Myste re iva
MD "Mystère" IVA (R. Evain-MAE)

Canberra763 a
English Electric "Canberra" B-6

Sur cet appareil, on nous envoya, Bonnières et moi, évoluer à 50.000 pieds pendant près de 2 h pour calibrer le radar du CEV. 

J'eus également l'occasion de piloter le B-26 523 du CEV, reconnaissable à sa couleur indéfinissable tirant sur le jaune. Cet appareil était utilisé pour le remorquage de cibles ainsi que pour l'étude du largage de certaines charges. Le cockpit avait été modifié : planche de bord redessinée et comportant un VOR/ILS, instrument nouveau pour moi. Il était beaucoup plus confortable qu'un B-26 standard, avec des sièges rembourrés pour les deux pilotes. De plus, la soute avait été aménagée pour l'installation de quelques passagers dans des conditions acceptables.

B 26 773
Le B-26 773 (Coll. CEV)

Cet appareil, qui disposait d'un réservoir supplémentaire dans le nez, avait fait partie d'une série dont le plus célèbre fut le Reynolds Bombshell, avec lequel Milton Reynolds fit le tour du monde pour faire la promotion de ses stylos à billes, les premiers réalisés ... mais qui fuyaient (me tâchant une belle chemise !)

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Le "Reynolds Bombshell"

Pour terminer l'expérimentation, nous convoyâmes l'avion à Bône, d'où un certain nombre d'interceptions de jour et de nuit furent réalisées.

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Au stade final, les 3 avions de l'ECN 1/71

Quelques années plus tôt, J'avais eu l'occasion d'aller au CEV pour le motif suivant :

Au "Lorraine", le V2N 309 avait présenté des blocages de la commande de gauchissement, qui ne se produisaient qu'après un certain temps à haute altitude, donc dans des températures nettement en-dessous de 0°. Le phénomène disparaissait dans les basses couches, plus chaudes, et pouvait raisonnablement être attribué au givrage de la servocommande.

En février 1958, j'accompagnais donc cet appareil à Brétigny où il fut expertisé sous la direction du Cdt Hourlier, qui effectua 2 vols et me passa le relais pour les 6 vols suivants.

Finalement, la solution retenue fut de changer la composition des joints d'étanchéité des vérins et, par la suite, tout rentra dans l'ordre.

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SO-4052 "Vautour" V2N1

Pendant mon séjour, on me demanda d'effectuer un vol sur un Meteor  équipé de l'un des deux horizon boule alors en compétition pour l'équipement du Mirage III.

Horizon sfim bezu
Horizon SFIM-BEZU

J'ai fait un vol sans histoire, l'utilisation de cet horizon étant très instinctive. Il me permit même d'effectuer quelques figures de voltige aux instruments. C'était exactement ce qu'il nous aurait fallu sur Vautour !

Au retour du vol, on m'a demandé de remplir un compte-rendu d'essai. J'ai fait remarquer que je n'étais pas "breveté" mais on m'a rétorqué :

- "Si, si, votre avis nous intéresse"

J'ai donc rempli consciencieusement l'imprimé.

Comme à Cazaux plus tard, j'ai obtenu d'ajouter quelques appareils nouveaux à mon carnet de vol en me faisant lâcher sur Broussard et sur Beech D-18S. De plus, on me permit d'effectuer en place gauche d'un SO-30P, un bref aller-retour Brétigny - Villacoublay.

Broussard cev
MH-1521 "Broussard"

D 18s cev
Beechcraft D-18S (O. Beernaert)

So 30p
S0-30P "Bretagne" (O. Beernaert)

J'ai gardé un très bon souvenir de ces deux séjours au CEV. J'y ai rencontré des pilotes et des techniciens passionnés par leurs "manips" … à une époque où les crédits étaient abondants. J'ai toujours eu envie de rejoindre cette équipe, mais le destin en a décidé autrement.

Jean HOUBEN

Date de dernière mise à jour : 29/03/2020

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