Et si le Petit Prince revenait ?
Je venais de descendre de l'avion et, comme depuis le lâché de mon premier élève en novembre 1955, je le regardais remonter la piste avec la même boule dans la gorge quand une petite voix me dit :
- « T'en fais pas, il est prêt, tout se passera bien d'ailleurs, tu le sais. »
Je regardais ce décollage, effectivement tout allait bien et je me tournais pour voir un petit bonhomme qui me souriait.
- « Je suis en visite dans la région et je constate que tu utilises toujours tes étranges machines, elles paraissent plus simples à utiliser que les anciennes, peux-tu me faire connaître ton club ? »
Il s'en alla au club et parut stupéfait de voir autant de documents affichés aux murs, il en déduisit que ses habitants devaient être fort sages pour se soucier autant de leur sécurité.
Son premier contact fut avec celui qui semblait être le Roi :
- « Dites-moi, Sire, pourquoi avez-vous fait coller tant d'affiches louant la prudence dans votre royaume ? »
- « Parce que c'est nécessaire, répondit le monarque. C'est la meilleure chose qui soit pour mes sujets. Les conseils diffusés doivent être connus de tous et mis en application. Ce sont aussi des règlements et je suis garant de leur strict respect. »
- « Et vous-même, Sire, respectez-vous la règle du jeu ? »
- « Moi, je n'écoute pas les conseils. Je les donne. N'est-ce pas la façon d'affirmer que je suis le Roi et que je représente la Loi ? »
Un peu étonné, le Petit Prince, pour satisfaire sa curiosité grandissante, accosta alors l'un des vassaux du Roi qui était en train d'orchestrer l'activité intense de la journée.
- « Ces affiches, répondit-il, empoisonnent surtout mon existence. Moi j'élabore la planification du travail. Plus il est fourni, mieux cela vaut et, si tout se passe bien, je serais un jour Calife à la place du Calife. »
- « Mais alors ... tenta de poursuivre le Petit Prince. »
- « Je n'ai pas le loisir de philosopher avec vous, clôtura le vassal. Pardonnez-moi, je n'ai d'ailleurs jamais le temps de philosopher avec personne, je n'ai plus le temps de faire de briefing, encore moins de débriefings, mes élèves s'habituent presque toujours. »
Le Petit Prince, un peu gêné d'avoir distrait ces dignitaires très affairés, se retrouva en un lieu plus quiet du club. Là un vénérable patriarche était en train de louer le bon vieux temps devant un jeune auditoire ébahi.
- « Je vous parle d'une époque sans réglementation, où nous avions plus de casse, mais la sélection naturelle purifiait la race, ces maudites affiches sont le signe de notre déclin, et pour vous le prouver je vais vous raconter comment. »
Le Petit Prince ne voulut pas en entendre plus. Revenu de son enthousiasme, il était déjà moins émerveillé par ces grands pilotes devant l'éternel.
- « Pour mon compte, lui avoua un jeune, je ne sais plus à quel saint me vouer. Ce qui est normal un jour ne l'est plus le lendemain, par exemple les avions doivent être rentrés pleins effectués mais tout le monde les laisse au soleil dès la fin du vol. Parfois il faut être rigoureux, parfois il faut faire des impasses, en particulier ne rien écrire sur le carnet de route car l'avion ne peut plus voler. J'en arrive à me débrouiller, pas vu... pas pris. »
Les grandes personnes sont bien étranges se dit le Petit Prince en lui-même, mais jamais il n'oubliait une question une fois qu'il l'avait posée.
Aussi il alla vers la salle de cours où semblait régner une atmosphère studieuse ; car il put ainsi assister au débriefing du nouveau lâché. Je faisais le point avec mon élève sur les problèmes posés par ce premier vol ; il me dit alors :
- « Voilà le fruit de ton travail, un nouveau pilote, et pourtant tu sembles le plus triste du club. »
- « Je croyais avoir semé l'idée de sécurité des vols, je pensais que mon expérience pouvait servir, que le bon sens et la réflexion seraient le moteur principal de notre activité, que les réunions et les discussions éviteraient aux jeunes pilotes mes erreurs passées. C'est pour cela que je suis triste, je croyais bien faire mais tout cela ne sert à rien, l'ambiance n'y est pas, il y a tellement à dire que je préfère me taire. »
- « Ton intention est bonne, ne sois plus triste, ne renonce pas, certaines causes exigent une persévérance de tous les instants. Et puis un jour, les vaniteux, les aspirants Califes, se tairont, le recul face à l'action se prendra naturellement, le bon exemple et le bon sens serviront à convaincre. L'ambiance, la bonne, sera revenue car n'oublie pas mon secret :
« On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux »
- « Les jeunes sauront à nouveau où ils doivent aller. »
Le Petit Prince s'en fut.
Les grandes personnes sont décidément bien bizarres, se dit-il simplement en lui-même durant son voyage.
*****
Le Petit Prince en visite
Le Petit Prince revint un matin de juillet, car une grande effervescence régnait sur notre aérodrome. Comme d'habitude il fût discret et me demanda de sa petite voix les raisons de cette agitation :
- « Je suis à nouveau en visite dans ta région et j'observe que tu utilises toujours tes étranges machines, cependant il me semble qu'aujourd'hui tu inities des profanes aux joies du vol, peux-tu me guider dans ton club et m'expliquer ces agitations. »
Le grand jour des 65 ans du club était arrivé, la manifestation devait être exceptionnelle, tout le Conseil d'administration était là, les groupes responsables de la canalisation des visiteurs œuvraient, les buvettes étaient prêtes pour accueillir tous nos invités.
Nous sommes ensemble venus visiter le cœur du club, le Roi régnait au milieu de ses sujets, tous déférents attendaient les directives qui tardaient à tomber, le Petit Prince demanda :
- « Sire, vos sujets sont attentifs à vos dernières recommandations, ils attendent avec dévotion vos dernières paroles »
- « Tout est écrit sur les tableaux, répondit le monarque. Les conseils diffusés doivent être connus de tous et mis en application. Ce sont aussi des règlements et je suis garant de leur strict respect, je sanctionne verbalement en présence de tiers les fautifs afin d'asseoir mon autorité. »
- « Sire vous oubliez ainsi la courtoisie qui était aux siècles passés la politesse des puissants, ne craignez-vous point de froisser vos aînés en les traitant ainsi ? »
- « Moi, j'ordonne même si cela vous paraît excessif. N'est-ce pas la façon d'affirmer que je suis le Roi et que je représente la Loi. »
Un peu étonné, le Petit Prince, pour satisfaire sa curiosité grandissante, accosta un Vassal du monarque qui affichait les informations météorologiques :
- « Ces tableaux me rendent insomniaque, je n'ai plus le temps de lire ces informations dont la plupart sont périmées, et les plus importantes du jour absentes. »
Passait dans le club un officier supérieur, en tenue blanche, portant une sacoche de documents. Le Petit Prince lui demanda les raisons de cette présence officielle dans des enceintes civiles :
- « Je suis le Directeur des vols pour cette journée et mon rôle consiste à rappeler aux divers participants les règles essentielles de sécurité, à contrôler les qualifications et la validité des licences de tous les pilotes devant utiliser l'espace aérien de la manifestation. »
Voici une journée mémorable, pensa le Petit Prince, aucun pilote ne volera avec une licence périmée ou sans l'entraînement indispensable. Il partit alors vers des espaces plus cléments à ses yeux, mais il n'oubliait jamais ses amis.
Quelques mois plus tard, un samedi alors que j'étais déjà descendu de l'avion et que ma dernière élève décollait pour son premier solo une petite voix connue me disait :
- « Tu dois être bien heureux de voir le résultat de tes efforts, comme d'habitude tu sais que tout se passera bien, pense à la joie de ce nouveau pilote à son retour. »
- « J'étais absent bien longtemps car je devais étudier les nouvelles JAR FCL 1, tu sais que j'ai d'autres amis sur ta planète, il me semble qu'enfin tout le monde parlera la même langue et utilisera les mêmes règles, la responsabilité de chaque pilote sera mise en exergue et, à terme, devraient disparaître toutes ces affiches donnant des directives parfois contradictoires. »
Alors le Petit Prince partit en visite de notre Club. À sa première halte, il trouva le Club House fermé et s'en étonna, ce lieu de convivialité lui semblait indispensable à la vie d'une association de pilotes. Un Quidam lui apprit que les déficits importants justifiaient cette décision, le nouveau Conseil d'administration n'ayant pas de solution possible, mais par contre grâce à quelques bénévoles, dans le hangar des amateurs, un lieu permettait de rassembler les nostalgiques des années heureuses.
Arrivé au Centre d'administration, le Petit Prince trouva le lieu désert à l'exception de la comptable.
- « Bonjour Véronique comment allez-vous ? Je cherche les nouveaux dirigeants ».
Il constatât alors l'absence de membre du Conseil comme celui de moniteur. Pour s'informer il lût les comptes rendus des derniers Conseils d'administration et comprit pourquoi tout le monde semblait triste alors que le ciel était si bleu.
Pendant que le Petit Prince visitait et que j'attendais, sur le tarmac, le retour de ma jeune lâchée je rêvais à un Aéro-club extraordinaire où :
- Le Roi des Rois, l'Argentier, le Scribe, le Roi seraient attentifs aux espoirs des sujets et des esclaves, où ils s'imposeraient grâce à leur souci permanent du dialogue.
- Ces Monarques prendraient exemple sur leurs grands anciens comme Didier Daurat pour l'organisation, Henry Guillaumet pour sa persévérance et sa gentillesse, Jean Mermoz ainsi que Georges Guynemer pour leurs compétences techniques, Antoine de Saint-Exupéry pour l'écoute des autres et la rédaction des synthèses.
- Les jeunes pilotes ou instructeurs écouteraient religieusement les récits des anciens puisant ainsi les réflexions afin d'améliorer leur expérience et leur savoir.
- Les anciens auraient leur place de conseillers afin de partager avec les "Puissants" leur amour du vol en toute sécurité.
Le Petit Prince, revenu près de moi me sortit de mes chimères :
- « Voici ton nouveau Pilote qui revient, je te laisse seul pour la féliciter, à bientôt. »
Le Petit Prince s'en fut.
Les grandes personnes sont décidément bien bizarres, se dit-il simplement en lui-même durant son voyage, elles ne savent plus la courtoisie ni la gentillesse.
Charles ROULET
Librement inspiré du livre "Le Petit Prince" d'Antoine de Saint-Exupéry (Éd : Folio junior)
Date de dernière mise à jour : 15/04/2020
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