Rupture volet sur Vautour

C'est à la fin de décembre 1953 que j'ai fait effectuer son premier vol au Vautour 02. Deux mois plus tard, sur cet avion que je préparais pour le présenter au CEV, j'étais victime d'une vrille dont, normalement, je n'aurais pas dû sortir vivant. Ce jour-là, Girard suivait le vol, assistant Emery, jeune ingénieur d'essais.

À la dernière minute, il avait décidé que l'essai "tout sorti" commencerait à 15.000 pieds. Pressentiment ? Non. Mais flair, expérience, méfiance : toutes choses qui n'ont pu être acquises qu'après tant de coups durs en vol.

Le ciel était couvert au-dessus du terrain et j'évoluais de l'autre côté de la couche, après un vol en altitude. Il avait été prévu de faire des essais de vitesse réduite, volets sortis, en configuration d'atterrissage. Après avoir recoupé ma position par radio, je commençai donc l'essai à l'altitude de 5.000 m.

Petit à petit, l'essai me conduisit à 3.000 m, au ras de la couche de nuages, quand tout à coup, alors que je venais d'effectuer une manœuvre des volets, l'avion partit en vrille.

Un mot dans la radio :

- « Vrille... » puis le silence.

Je me battais avec l'avion, pour essayer d'en reprendre le contrôle. J'y parvins une première fois. Puis, dans la couche de stratocumulus, le départ en vrille recommença. Quelle désagréable impression ! La lutte reprit. Je me demandais pourquoi cette vrille. J'étais sûr d'être, au moins, à la vitesse normale quand j'ai ouvert les volets. Mais peut-être que, justement, ces volets ?...

Allais-je m'écraser ?

Attention à l'altimètre, c'est la limite pour sauter en parachute.

A la dernière des manœuvres à effectuer en cas de vrille, le Vautour se remit en vol horizontal. Un vol pénible, avec les commandes croisées et une puissance dissymétrique dans les moteurs.

Au micro, j'appelai Girard et lui répétai ce que je venais de vivre et où j'en étais.

Et comment atterrir maintenant ? Je ne le pouvais évidemment pas dans de telles conditions.

C'est alors que, de nouveau, je pensai à mes volets. En vérité, je n'avais cessé d'y penser que pour me battre, que pour essayer de sauver ma peau et mon avion.

En phonie, Girard me répétait : 

- « Position des volets ? »

Mais oui, bien sûr ; s'il avait été à bord, il m'aurait crié :

- « Les volets ! »

II a un métier fou. Aujourd'hui qu'il occupe les lourdes fonctions de directeur, il est pour nous, pilotes qui avons volé avec lui, irremplaçable.

C'était après avoir sorti les volets que le Vautour avait fait des siennes. J'actionnai alors l'interrupteur de commande dans le sens de la rentrée. L'avion reprit son vol normal. Malgré le mauvais temps et le peu de pétrole qui restait dans les réservoirs, l'avion serait sauvé.

Arrivé au sol, on constata que les commandes des volets étaient cassées sur la partie gauche de l'avion. Cette fois, j'étais fixé : la vrille s'expliquait parfaitement.

Cette catastrophe évitée fut d'ailleurs d'un précieux enseignement. Elle avait prouvé, et c'était d'un grand intérêt pour l'Armée de l'air, que le Vautour pouvait voler dans d'aussi invraisemblables conditions.

Les vols sur prototypes présentent parfois de réels dangers. Surtout lorsqu'il s'agit de prototypes très récents dont le pilote ignore encore à peu près tout. Or, ces prototypes, il faut tout de même les faire voler.

Un prototype, on ne le répétera jamais assez, c'est une succession de pièges. Si j'avais volé la veille, comme cela avait été prévu, devant les États-majors français et alliés - la Météo s'y opposa - j'aurais couru un risque à l'ouverture des volets, et s'il y avait eu un accident, la commande de Vautour n'eût pas été passée à la SNCASO, car on n'eût vraisemblablement pas retrouvé intactes les bandes enregistreuses expliquant les raisons de l'accident.

Le Vautour 02 - d'un aménagement assez différent de son prédécesseur - était cependant, et il l'est toujours, bien sûr, un appareil remarquable.

Au début d'avril, je lui fis faire son premier piqué sonique, et le mois suivant j'ouvris en vol les trappes de bombardement.

Depuis, nous avons pratiquement donné complète satisfaction à l'État-major en lâchant les bombes sans limitation de vitesse, ce qui est considéré par les spécialistes mondiaux comme une réussite sans précédent.


Charles GOUJON

Extrait de "Trident" (Éd : France Empire - 1956)

Date de dernière mise à jour : 08/04/2020

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