Panne moteur de nuit sur C-47

Année 1962. Nous sommes sur la Base aérienne 702 d’Avord, dans le Berry. Après avoir réussi au concours d’entrée du personnel navigant de l’Armée de l’air, j’ai intégré la promotion NAV62D qui va former une vingtaine de navigateurs. Les avions école sont des Dassault 312 et des légendaires Douglas C-47 Skytrain « Dakota ».

C47 dakota

Le C-47 « Dakota »

Nous sommes aux deux-tiers de la progression annuelle et devons effectuer une mission de nuit dont les points tournants sont Nantes, Bordeaux, Toulouse et retour sur Avord. Afin de rentabiliser les vols, nous sommes trois jeunes élèves-navigateurs de vingt ans environ qui devons totaliser moins de trente heures de vol au total. Nous allons nous partager le travail ; je dois naviguer sur la branche Bordeaux - Toulouse - Avord. Nous avons participé à la rédaction du plan de vol et sommes passés à la prévision météo. Sur le trajet, que nous ferons à une altitude moyenne de 7.500 pieds, nous devrions rencontrer un temps acceptable, à l’exception du sud-ouest qui est couvert aux sept-huitièmes. Cela ne me gênera pas puisque je dois effectuer une navigation aux instruments.

En plus des deux pilotes, du mécanicien et de notre moniteur, un Colonel, pilote de transport affecté en État-major, vient faire son entraînement.

Avant la mise en route, nous essayons notre parachute ventral et réglons les harnais selon notre morphologie. Notre colonel, qui en a vu d’autres et ne se sent pas contraint par les règles de l’école, se dispense de cette formalité et dépose négligemment son sac à parachute sur l’une des banquettes. Il faut dire que, sur Dakota, les parachutes ventraux ne sont obligatoires qu’en école et que, par ailleurs, cet avion, construit depuis l’année 1935 à près de 13.000 exemplaires, est l’un des plus fiables de son temps.

Le vol débute sans encombre. Mes deux camarades effectuent leurs branches de navigation et je m’apprête à prendre les choses en mains. A la verticale de Bordeaux, j’étale mes cartes, sors ma règle Cras et mon calculateur d’estime sur ma table, en partie droite de la carlingue, et je débute mon « tracé air » de navigation. Environ quinze minutes après le point tournant, une sirène retentit dans l’avion. Point n’est besoin d’en demander la cause : une vaste lueur éclaire tous les hublots du côté droit de l’appareil. Je suis aux premières loges ! Un vaste faisceau de longues flammes orangées et bleues lèche le moteur droit. Après un très bref moment d’hébétude, nous apprenons que les pilotes ont coupé le moteur incriminé, qu’ils ont mis en œuvre le système d’incendie mais que ce dernier a fait défaut… Le commandant d’avion a pris la décision de dérouter l’appareil vers le terrain de Toulouse Francazal.

Toutes les tentatives pour éteindre l’incendie restent vaines et l’ordre est rapidement donné de larguer la porte arrière de l’avion et de prendre les dispositions pour l’évacuation. A l’exception des pilotes, nous abandonnons nos activités, revêtons notre harnais et accrochons notre parachute ventral. Une certaine fébrilité est rapidement perceptible, d’autant plus que notre colonel montre manifestement quelques signes d’excitation ; il a rejoint rapidement son sac et se débat avec une fermeture éclair récalcitrante ! Les flammes sont de plus en plus importantes et dépassent largement le moteur. Pendant quelques secondes, je ne peux m’empêcher d’admirer ce spectacle… Mais le colonel me hèle assez brutalement et me demande mon aide : je parviens à décoincer la fermeture éclair et lui présente le harnais. Nous constatons immédiatement que ce dernier, qui a probablement été réglé lors d’un vol précédent par l’un de nos camarades, doit être considérablement adapté aux rondeurs de son propriétaire actuel ! La chose n’est pas si aisée et quelques secondes épaisses s’égrènent avant de l’avoir complétement équipé.

Nous attendons l’ordre de sauter ; le vent s’engouffre par la porte béante. Les prévisions météo étaient bonnes ; nous sommes dans une couche nuageuse laiteuse qui laisse deviner en-dessous une nuit noire, épaisse et froide… A vue de nez, nous ne devrions pas être très loin de Toulouse. Je fais appel à mes notions de géographie pour me rappeler le relief dans cette région. Je n’ai encore jamais sauté en parachute et je sens quelque chose qui me coule dans le dos… J’imagine des situations toutes moins agréables les unes que les autres, une chute dans les arbres, dans un étang, sur une agglomération, un parachute qui se met en torche...
Un personnel navigant est déjà arc-bouté à la porte de l’avion et attend le signal ; il en tient les montants, les bras à l’horizontale, prêt à tractionner pour sauter le plus loin possible de la carlingue. Je suis en position numéro trois, juste devant notre colonel.

C’est à cet instant, alors que tous dans notre tête avons déjà exécuté la manouvre, que nous parvient l’ordre d’annuler l’évacuation ! Sans que l’on sache pourquoi, le feu a diminué et s’est éteint.

Nous atterrissons à Toulouse. Tous, nous faisons cercle autour du moteur droit qui présente un trou béant dans sa partie droite. Le capotage est largement noirci ; nous apprenons rapidement par les mécaniciens qui procèdent à l’inspection que l’un des pistons des14 cylindres du Pratt & Whitney est passé à travers le moteur et son capotage !


Jean PICOT

C47 dakota 2

 

Pw r1830

Fiche technique du Douglas C-47 Skytrain
Pays créateur : États-Unis d’Amérique
Dénomination : Douglas C-47 Skytrain (« Dakota » en Grande-Bretagne)
Longueur : 19,65 m
Envergure : 28,96 m
Hauteur : 5,16 m
Poids à vide : 7 700 kg
Vitesse maximale : 370 km/h
Rayon d’action : 2 175 kilomètres
Plafond : 7 350 m
Transport : 28 passagers ou 4536 kg de fret
Équipage : 4 hommes (pilote, copilote, radio, navigateur)
Motorisation : deux moteurs Pratt & Whitney R-1830-92 à 14 cylindres en étoile de 1 200 chevaux chacun

Date de dernière mise à jour : 14/11/2024

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