Panne électrique de nuit sur Crusader
Qu’importe le jour, puisque c’était la nuit !
Loin de tout terrain de dégagement (ralliable train sorti) ou de déroutement (possible lisse et en altitude), quelque part au milieu de l’Océan Indien. Mon carnet de vols a retenu la date, le 30 août 1977, et le numéro de l’avion, le Crusader 4.
Deux sections sont catapultées en relève de deux autres qui terminent la première séance de CCI (Carrier Control Interception) du "Foch". Hubert Josselin est mon équipier pour cette fois, il y a deux jours, j’étais le sien. Catapultage comme dans le livre, allumage PC en sortie et en route vers le point de ralliement, 20.000 pieds à 30 nautiques sur une radiale.
J’y suis arrivé pile pour voir le tableau de bord s’éteindre, dans ce cas on pense que l’emport de la lampe de poche bien chargée n’est pas une brimade inutile. Les instruments en prise directe sur le moteur font leur office, le reste est bloqué. Ce n’est pas encore la panne électrique totale, puisqu’il me reste à sortir l’EPP (Emergency Power Package) dont la commande est directe. Je suis à 260 nœuds. Ça marche ! Quelques lampes, des indications limitées mais luxueuses et une radio avec le porte-avions à qui j’annonce la panne partielle. Pas de réponse, et tout redevient noir.
Reste à appliquer la procédure "maison", réfléchie pour ce cas de figure et que tous les Hiboux (pilotes de nuit sur PA) ont pratiquée en entrainement, une fois chasseur, une fois chassé. Les triangles réglementaires des CPO (Consignes Permanentes Opérations), de base une minute, ne permettent pas à la fois le ralliement par le chasseur, éclairé comme un arbre de Noël, la prise de visuel et le rassemblement par le chassé qui n'a plus que ses yeux et une manette délicate.
L'affaire se joue sur un hippodrome de base 2 minutes avec virages à 30°, du moins tant que l’horizon secours a encore de l’élan ! J’imagine Hubert, à 500 pieds sous moi, et le CCA (Carrier Close Approach) en chasse, visant un début de branche à 1000 yards, remontant à 300 nœuds jusqu'au signal « Skip it! » (dégagez !) du domaine Sidewinder du radar. Il ouvre alors de 20° à gauche pendant 20 secondes puis reprend le cap initial en réduisant la vitesse à 260 nœuds. Jusque-là je ne fais qu'imaginer, mais où l’entraînement porte ses fruits, c’est qu’au moment où je le pensais à "8 heures bas", il y est réellement apparu. Ne restait plus qu’à me laisser glisser vers lui, les 500 pieds à perdre ont fabriqué le petit badin dont j’avais besoin sans titiller la manette, à un moment donné il a passé ses feux sur "Patrouille" et a battu des ailes. Un coup du code HEFOE appris à Salon pour confirmer la panne électrique et surtout que c'est la seule.
La suite, la percée, sortir les éléments à imitation et morpionner comme jamais. Il éteint ses feux, le PA est droit devant, le miroir au milieu, il m’a lâché à 100 pieds, je ne touche surtout à rien. Boum, rendu. Les équipes de pont s'activent pour me dégager, Jos attend le pont libre.
Ce n'est pas tout, car dans cette péripétie, j'étais tranquille, seul coupé du monde, je ne savais pas que le PA lui-même était en train de tomber en panne électrique, quand vint mon tour, un seul diesel-alternateur alimentait ce qui devait l'être et le pacha, le capitaine de vaisseau Klotz, réfléchissait à un ultime secours que je ne détaillerai pas. Pour une fois, le débriefing n’a pas eu lieu en salle d’alerte, j’ai retrouvé Jos, Roland l'officier d’appontage qui m’a ramassé, et le chef du CCA dans le salon du pacha qui a fait claquer un bouchon et à même trempé ses lèvres dans sa coupe.
Bonne nuit à tous.
Christian MARTIN
Date de dernière mise à jour : 05/04/2020
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