On a failli perdre un colonel US
21 mai 1966
La Patrouille de France se pose en début d’après-midi sur la base de Châteauroux-Déols, qui est alors un centre important du MATS (Military Air Transport Service). Cette base dessert en logistique une grande partie de l’US Air Force en Europe.
Nous sommes accueillis sur le parking par le Col Francis Pope, cdt la base. C’est un vieux briscard de pilote de chasse, en fin d’une carrière qu’il a commencée en abattant quelques avions japonais qui n’auraient pas dû se trouver là dans le Pacifique. Il est assez corpulent et d’une grande jovialité.
Après un pot d’accueil non alcoolisé, il nous faut de nouveau décoller pour prendre nos repères pour le meeting du lendemain, qui est une journée Portes ouvertes organisée par l’US Air Force.
Le Col insiste pour que je l’emmène en place arrière durant cet entraînement, ce que j’accepte, par respect pour cet ancien chasseur qui a participé à cette épopée de lutte contre l’axe du mal de l’époque.
Il avait tout prévu, s’éclipse et, dès avant le briefing, revient habillé d’une combinaison de vol. Après le briefing, il me demande si une fois terminé notre entraînement, nous pouvons effectuer un passage sur un château où se déroule une réception en l’honneur du cdt adjoint de la base, qui va rentrer aux States.
J’accepte et nous repérons ce château sur la carte et nous nous rendons aux avions. Je l’installe dans l’avion, lui fait l’indispensable briefing et attire son attention sur la nécessité de rester solidement attaché, ce que je vérifie moi-même.
- « Of course chap » me confirme que c’est clair pour lui.
Nous décollons et, comme d’habitude, nous vérifions les éventuels obstacles et nous prenons les repères pour les différentes figures du lendemain. Ceci fait, nous prenons le cap pour le château où a lieu la Partie et y effectuons un passage.
Comme presque tous les châteaux, il est sur une éminence et comme cet endroit s’y prête bien, je demande à mon passager s’il souhaite que nous fassions une courte présentation, ce qu’il approuve chaleureusement. Nous débitons alors quelques boucles et tonneaux et j’informe Pope que nous allons faire notre fameux passage sur le dos, que nous pratiquons à quatre avions en virage à 30° d’inclinaison.
Vu du sol, c’est très spectaculaire, mais ce n’est rien par rapport aux impressions vécues à l’intérieur du cockpit. Comme nous avons durement travaillé tout l’hiver, nous avons notre nouveau show bien en mains et nous sommes souvent en vol dos à une trentaine de mètres du sol.
- « Sir, are you ready for the upside down ? ».
- « Yes – That’s wonderful – Go ahead »
Pendant que mes compères Abadon et Combes amusent le terrain par quelques boucles et le fameux tonneau en miroir, qui est ma fierté du show de cette saison, nous nous éloignons pour prendre l’axe que je me suis défini et, durant le retour, je passe sur le dos et mes trois équipiers doivent en faire autant.
Mais ils ne le feront pas : j’entends dans mon interphone quelque chose comme « Humpf » et Bacharan qui est à ma gauche me crie :
- « Il est tombé dans la verrière ! ».
Je suis à 30 m au-dessus des arbres, sur le dos et le Col Pope, qui s’est dégrafé de son harnais par mégarde est scotché sur la verrière du Fouga qui le maintient à bord et voit défiler les arbres comme s’il allait les toucher dira-t-il ensuite. Ce n’est pas une situation d’avenir, mais pour faire le demi-tonneau qui doit me faire revenir en vol horizontal, je dois d’abord pousser sur le manche pour reprendre une assiette adéquate, ce que je fais avec modération, en espérant que la verrière ne partira pas, et le Col avec, car cela m’imposerait un compte rendu de perte d’un Col de l’US Air Force, relativement peu courant dans l’Armée de l’Air !
J’effectue mon demi-tonneau qui nous ramène en vol horizontal plus classique et dans l’interphone, j’entends sa respiration précipitée dans le masque à oxygène.
- « Are you OK Colonel ? »
- « Yes, but it was terrific » me répond-il sobrement.
Durant le retour à Châteauroux, pas un mot plus haut que l’autre et le bruit de sa respiration dans l’interphone se calme. Au parking, je me précipite et ouvre la verrière de l’extérieur, car il est tout prostré. Cette bouffée d’air frais lui fait beaucoup de bien et une fois son masque à oxygène retiré, j’ai droit à :
- « Never again, please ! ».
Je ne saurai jamais comment il a pu dégrafer la boucle de son harnais et apparemment lui non plus !
Lors de la réception du lendemain soir, après le meeting, le Col raconte avec truculence son histoire à tout le monde. Il y là tout l’État-Major du MATS en Europe et leurs épouses et tous sont hilares à ce récit. Nous sommes les vedettes du jour, aussi hilares que les autres.
Je garderai le contact avec Pope, qui disparut dans les années 80.
C’était un sacré personnage !
Christian ROGER
Extrait de “Piloter ses rêves” (Éd : Bookelis - 2015)
Date de dernière mise à jour : 30/03/2020
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