Near collision à Port-Soudan
23 novembre 1970
Je suis bien installé dans mes fonctions de copilote et, comme tout le monde, soumis à des contrôles en vol. Je fais ce jour-là un vol en cargo Boeing 707 sur Paris-Djibouti et suis contrôlé par le Captain Londaits. C’est donc moi qui pilote sur cette étape et nous nous trouvons sur le Soudan en fin d’après-midi et allons arriver sur Port Soudan, au bord de la Mer Rouge. Nous sommes autorisés à voler au niveau de vol 350 et fidèle à une technique personnelle que j'ai adoptée, j'ai calé mon pilote automatique pour un vol à 34.600 pieds au lieu des 35.000 requis. Londaits m'en fait amicalement la remarque et me dit :
- « Allez Christian, fais-moi quelque chose de propre, puisque tu es en contrôle et mets-toi à 35.000 pieds »
Je lui réponds en lui exposant ma thèse : dans cette région d’Afrique que je connais bien, je sais que le contrôle est fantaisiste et qu’il vaut mieux être un peu à côté de la route ou un peu en-dessus ou en-dessous de l’altitude, car en cas d’erreur du contrôle, la précision des altimètres et de la navigation peut devenir une source de collision. La chose est patente sur l’Atlantique Nord où on fait des traversées en suivant à quelques dizaines de mètres près la même route que des avions volant un peu en-dessous ou au-dessus.
Il accepte gentiment ma théorie et je reste donc à 34.600 pieds et nous arrivons sur le point tournant de Port Soudan.
Nous sommes en contact radio en HF avec Khartoum à qui nous transmettons notre position. Tout à coup, l’avion est violemment secoué. Le pilote automatique saute et l’avion se retrouve à 45° d’inclinaison. Le nez dehors, j’ai vu une masse blanche jaillir vers nous et je crie :
- « On a touché un avion »
Londaits prend les commandes et nous constatons que l’avion répond normalement et reprenons le cap vers Djibouti. En consultant la carte, je constate qu’à Port Soudan, deux routes se croisent, l’une allant vers Djibouti et l’autre vers Djeddah de l’autre côté de la Mer Rouge. Je prends l’écoute VHF de Djeddah et entend un avion « Soudan Air STAAW » qui se reporte à Port Soudan à la même altitude et heure que nous. Je le contacte et lui signale notre presque collision, mais il ne s’est aperçu de rien. Il est probable que nous sommes passés juste en dessous de lui dans le souffle de ses réacteurs. Nous avons fait un "Air miss" pour alerter les autorités compétentes sur cette erreur du contrôle aérien de Khartoum, mais ce fut sans aucun effet !
Si nous avions été à 35.000 pieds, les deux avions se seraient probablement télescopés. Londaits et le mécanicien de ce vol m’ont payé quelques bonnes rasades à l’arrivée à Djibouti.
Bien des années plus tard, la doctrine d’Air France a été modifiée pour officialiser sur l’Afrique une navigation avec une trajectoire décalée de 1 mille nautique par rapport au trait officiel de la route, pour prendre en compte les fantaisies du contrôle aérien local, qui ne s’étaient pas améliorées avec le temps.
Christian ROGER
Extrait de “Piloter ses rêves” (Éd : Bookelis - 2015)
Date de dernière mise à jour : 30/03/2020
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