Mon vol sur C-135
Dorine Bourneton est devenue paraplégique à 16 ans, suite à un accident d'avion dans lequel elle était passagère. Son leitmotiv : « Je ne peux plus marcher, alors je volerai ». Brevet de pilote en poche, elle se bat pour permettre aux pilotes paraplégiques de faire de leur passion un métier.
Ce jour d’avril, le rendez-vous est fixé à 7 h 50. On est des lève-tôt dans l’armée ! Mais je suis tellement excitée par ce qui m’attend que je me suis réveillée avant l’aube. Une journée exceptionnelle a été organisée sur la Base aérienne de Istres : je suis invitée à voler à bord d’un Boeing C-135, l’avion ravitailleur des avions de chasse, un appareil qui date des années 60. Une véritable pièce de collection.
Un des C-135F du GRV "Bretagne" (SIRPA Air)
C’est un vrai privilège que l’on m’accorde, il est très rare que des civils puisse assister à une opération de cette nature, et je sais que je vais faire beaucoup d’envieux !
La veille, le Gal Yvon Goutx et moi avons pris le train pour Aix-en-Provence. Trois heures n’étaient pas de trop pour qu’il m’explique tout ce que je devais savoir de ce qui allait se passer le lendemain. À la gare, un officier de réserve nous attend. Spontanément, je m’installe à l’arrière droite et, lui, range mon fauteuil dans le coffre. Du coup, Yvon s’installe à l’avant près du conducteur. Il sourit, et je lui demande pourquoi :
- « Parce que tu as pris la place habituellement réservée aux officiels et, moi, celle du porte-serviette ! »
- « Oups ! pardon mon général ! Je ne le referai plus »
Quelques mois plus tôt, Tao et Mika, les deux pilotes présentateurs du Rafale Solo Display m’ont fait l’honneur de me demander pour marraine. Pour eux, j’incarne des valeurs importantes dans l’Armée de l’air : l’engagement et le dépassement de soi. Comme un petit soldat, je suis tombée de l’avion et tout de suite remontée dedans !
À Saint-Dizier avec Mika, Tao et Rut (Coll. D. Bourneton)
Alors que nous fêtions tous ensemble les 60 ans de la Patrouille de France, Yvon avait proposé au Commandant des Forces Aériennes Stratégiques qu’un ravitaillement en vol soit organisé pour moi. Je l’avais regardé, sidérée, ne m’y attendant pas du tout ! Le Général Charaix avait alors hoché la tête :
- « Excellente idée. J’organise le vol dès que je peux »
Les militaires tiennent toujours leur promesse.
Un an plus tard, nous avons rendez-vous, ce jeudi 17 avril 2014 avec le Cdt de la base d’Istres, le Col Jean-Luc Moritz, et le Lcl Olivier Roquefeuil qui a préparé la mission. Pour m’accompagner et veiller sur moi, il a réquisitionné le médecin de la base, une infirmière et deux auxiliaires sanitaires. Jamais je ne me suis sentie autant protégée !
Avec mon équipe d'assistance (Coll. D. Bourneton)
À table, avec mon équipage (Y. Goutx)
Au mess des officiers, je plaisante avec les deux jeunes femmes auxiliaires : pour elles aussi, c’est un baptême. Cet avion, elles le regardaient voler mais elles n’y avaient jamais eu accès ! À plusieurs reprises, pilote, équipage, infirmières me posent la question :
- « Mais… qui êtes vous ? Qu’est-ce que vous avez fait pour qu’on vous permette de monter dans le Boeing C-135 ? »
Bonne question. Qui suis-je ? Personne de bien important, mais une passionnée d’aviation qui est aimée et gâtée par sa famille d’adoption. Quelqu’un de très chanceux, également, parce qu’on lui fait, aujourd’hui, un cadeau exceptionnel. Heureusement qu’il y a ces moments uniques dans ma vie…
J’ai surtout été conviée à ce vol au titre de marraine des pilotes du Rafale Solo Display. Car ce sont Tao et Mika qui, à bord de leur Rafale, viendront se ravitailler à notre avion.
Le chargé de communication de la base nous fait une description rapide du site : 45 km de circonférence (le périphérique parisien n’en fait que 35 !) avec une piste de 5.000 m, la plus longue d’Europe. 4.500 personnes y travaillent.
La mission est baptisée Marcotte 410 (ne me demandez pas pourquoi). Et le décollage est prévu à 14h30. Nous rejoindrons l’axe Diana (près de Nîmes) où pendant près de 2 h, notre citerne volante va dessiner des "hippodromes" à 7.500 m d’altitude. Chaque zone de ravitaillement porte un nom de femme : Judith, Diana…
Zones de ravitaillement "Judith" et "Diana" (DIRCAM)
Sur l’hippodrome, deux points d’entrée, Delta 1 et Delta 2 où nous avons rendez-vous avec les avions de chasse à une heure bien précise. Afin de me montrer l’ensemble des possibilités, il est prévu trois séries de ravitaillement, d’environ 15 mn chacun : en bout d’ailes, appelé pods, et à l’arrière de l’avion, appelé boom ou "baignoire".
À 13 h, c’est le cocking, sorte de grande check-list de la mission : avec l’équipe médicale, nous répétons au sol tous les gestes, les déplacements pour qu’il n’y ait pas de mauvaise surprise en vol. En fait, ça fait un mois qu’elle s’entraîne ! Puis on m’installe à l’intérieur, derrière les pilotes. Mise en route, vibrations dans la cabine. Sur mon téléphone portable, j’enregistre le bruit assourdissant des quatre moteurs pour le partager plus tard avec mes copains. Rares sont ceux qui peuvent entendre ce son "de l’intérieur".
Les premiers ravitaillements ont lieu sous le nom de code Rayak 141 : quatre Rafale viennent, deux par deux, en pods, engouffrer 6 t de kérosène. Des caméras filment les avions qui tètent en bout d’aile. Dans la cabine, sur l’écran de contrôle, nous suivons le bon déroulement des opérations. Puis les auxiliaires me portent jusqu’au hublot pour que j’assiste au ravitaillement de deux Mirage 2000. On a l’impression qu’on pourrait les toucher du doigt.
Observation d'un ravitaillement en "pod" (Y. Goutx)
Mirage 2000 au contact du "pod" de droite
Enfin, nous nous retrouvons dans la baignoire, à l’arrière de l’avion. Pour mieux suivre l’opération, on m’a allongée sur une sorte de couchette près de l’officier ravitailleur. Avec Yvon qui grimpe sur le photographe, et mes deux "assistantes", nous nous serrons les uns contre les autres en pouffant de rire.
- « Jamais je n’avais vu autant de monde là-dedans ! » remarque le major, Opérateur de Ravitaillement en Vol.
Installation dans la "baignoire" (Y. Goutx)
On se relaie pour voir par la vitre les deux Rafale arriver de loin, s’approcher puis téter leur mère ! Surtout moi, puisque Tao et Mika sont aux commandes. Maman, marraine, filleuls, on est vraiment en famille !
À l'arrière, à côté de l'ORV (Y. Goutx)
Rafale ravitaillant au "boom"
Le ravitaillement en kérosène est terminé. Avant de rentrer à la base, Tao m’adresse des petits battements d’ailes de son Rafale qui me font fondre de tendresse…
Le vol est terminé ... (Y. Goutx)
Au sortir de l’avion, le Col Moritz vient recueillir mes premières impressions. J’avais prévu de prononcer une parole de remerciements, mais étourdie par le bruit, le vent, l’émotion, je me sens timide. Mon sourire et mes yeux brillants parlent pour moi.
- « Je vous écrirai… » ai-je dit au Colonel
C’est toujours dans la solitude de mon bureau que je trouve les mots qui expriment le mieux ma joie et ma gratitude.
Pour eux, elle est immense, aujourd’hui.
Dorine BOURNETON
Extrait de "La couleur préférée de ma mère" (Éd : Robert Laffont - 2002) et de "Au-dessus des nuages" (Éd : Robert Laffont - 2015)
Date de dernière mise à jour : 12/04/2020
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