Mon premier Paris-Dakar
Non, il ne s’agit pas du rallye annuel sur deux, quatre ou six roues, mais seulement d’un voyage aérien ordinaire concocté par les OPS du GMMTA aux temps merveilleux où cette noble institution nous proposait d’effectuer des « lignes » avec passagers.
Mais pourquoi « premier » ?
Posons le décor.
Août 1953. Le GT 3/61 "Poitou" est encore basé à Chartres. Depuis le printemps, un événement majeur a profondément bouleversé le train-train de cette unité : nous avons touché les premiers "Dak", qui vont progressivement remplacer nos "Julies". Enfin à nous les grands raids sans escale, Paris Alger et retour sans ravitaillement à Toulouse pour l’avion, les passagers et l’équipage, ou encore Paris-Oran et retour sans pleins et sans paëlla à Perpignan.
Cerise sur le gâteau, nous nous voyons attribuer pour la première fois la Ligne 222, Paris-Dakar et retour… et votre serviteur l’inaugurera…
Itinéraire, après mise en place au Bourget la veille :
- Jour J : Le Bourget - Oran - Nouaceur (base US au Maroc),
- Jour J + 1 : Nouaceur - Tindouf (escale technique) - Dakar (Ouakam),
- 24 heures de repos avec mise en place à Yoff,
- Retour par Port Étienne (escale technique),
- Nouaceur jour J, puis Nouaceur - Oran - Le Bourget à J+ 1.
Donc, le "717", alias le C-47 N° 44-76717 F-RAQA, décolle du Bourget le 10 août, avec à son bord femmes et enfants.
Equipage, X…, Navigateur CA - Bias, Radio - Darenlot, Mécanicien - Geneviève de Galard, Convoyeuse, et le présent rédacteur comme pilote.
Le Commandant de bord est un ancien mitrailleur converti, rescapé de la Vallée Heureuse (1) et de nature plutôt calme et souriante…, habituellement. Le mécanicien, Capitaine chef des Services Techniques du groupe, est une vieille connaissance de 1948-1949 à l’ "Anjou" à Saïgon. Il était alors Lieutenant, également Chef des Services Techniques, et par voie de conséquence patron du jeune Sergent mécano-chauffeur-auto que j’étais. Nous avons des relations amicales, et même une certaine complicité s’est établie entre nous. Osmose mécano-pilote traditionnelle. Bias est un garçon sympa et de toute confiance. Quant à la Convoyeuse, inutile de présenter "notre" Geneviève ! Encore qu’elle fut à l’époque, moins connue, mais déjà toute aussi dévouée et estimée de tous.
Le trajet Paris-Dakar, pour un coup d’essai, fut un coup de maître. Qu’on en juge.
Sur le segment Le Bourget-Oran, la météo est superbe. Elle le sera d’ailleurs tout au long de la mission. Du grand beau temps avec un ciel de rêve. Au cours du survol de la Méditerranée qui scintille 10.000 pieds en dessous de notre aéronef dont les "Pratt" ronronnent agréablement, notre Miss, délaissant un moment sa cargaison humaine, rejoint ses camarades dans le poste d’équipage, et - tradition oblige - offre à la ronde quelques bonbons. Le hasard veut que je choisisse un caramel, qui, malheureusement s’amourache d’une de mes molaires couronnée de fraîche date. Résultat, exit de ma galerie buccale la couronne alors enlacée par le dit caramel. Et tout le monde de s’esbaudir, naturellement. Dans un poste d’équipage, la joie est de rigueur.
Le lendemain, c’est plein d’allégresse que nous embrayons sur la deuxième partie du voyage. À mi-chemin entre Nouaceur et Tindouf, Darenlot, qui occupe la place droite, me pousse du coude, en me disant : « t’as vu le moteur droit ? ». Réponse, « non, pourquoi, y a un problème ? » Il y avait effectivement un … petit… problème, sous la forme d’une traînée d’huile qui maculait le beau capotage bien briqué du "bouilleur" droit. Les pendules se maintenant toujours à l’heure, nous surveillons la fuite et nous continuons sur nos deux moteurs. Le malade tiendra sans problème de pression et de température jusqu’à Tindouf.
Comme quoi, les petits ruisseaux ne font pas toujours les grandes rivières.
Nous avions décollé de bonne heure de Nouaceur de façon à faire nos pleins à Tindouf et redécoller avec une température encore supportable, et nous étions devant le bordj aux environs de 9 h 30, heure locale. Pendant que X…, Bias et la Miss s’emploient à mettre les passagers au frais, Darenlot et moi plongeons dans le moteur qui nous avait créé des ennuis. Les dégâts se limitent à une durite percée, mais nous n’étions pas en mesure de décoller avant midi ou 13 heures. Je laisse au lecteur le soin d’imaginer la température qu’il peut faire à Tindouf au mois d’août à ces heures-là et dans quel état de propreté nous avons émergé de notre "atelier" ! Ce qui fait que Darenlot et moi suggérons à X… d’attendre au moins 16 heures pour lancer les moulins (les rameurs volants disent "balancer les machines"), ce qui nous ferait arriver à Ouakam entre 23 h et 23 h 30. La météo étant excellente, une arrivée de nuit ne posait aucun problème, et il était facile d’informer les OPS du retard et de son motif.
Refus absolu de notre CA malgré nos arguments (…de bon sens…), et renvoi autoritaire du cocher à ses commandes, suivi du reste de l’équipage. Embarquement immédiat des passagers, sous l’œil inquiet de la Miss.
- « L’horaire fixé par le GMMTA doit être respecté ! »… Ah, mais !
La suite, on peut facilement l’imaginer. C’était prévu. Huile à 120° en entrée de piste, moteurs coupés pour laisser refroidir un peu – ce qui déclenche une nouvelle intervention musclée du CA qui s’insurge contre ce « contretemps » – mise des gaz sur freins… mais l’oiseau ne veut pas quitter le sol et la piste se déroule bien vite….
Et entre le mécano et moi, debout, le CA qui psalmodie : « j’ai toujours dit que le désert appartient à celui qui se lève tôt… ». Ce qui provoque de la part du mécano un encouragement au CA à rejoindre au plus tôt ses outils devant sa table à cartes, encouragement énergique dont je ne reproduis pas ici les termes, par décence.
Pendant ce temps-là, le 717 court toujours.
À moi le crash sur le reg avec femmes et enfants ? Non, car enfin, pratiquement au ras des balises de fin de piste, le Québec Alpha rejoint timidement son élément naturel. Il faudra presque 1 heure pour atteindre 9.000 pieds.
Ouf ? Non… pas « ouf » !
Après environ 3 heures de vol, je signale discrètement à Darenlot que des effluves suspectes se font sentir. Il les avait perçus également.
Conclusion de l’enquête préliminaire, les batteries sont en train de bouillir et c’est l’odeur de l’acide qui envahi le poste d’équipage. Remède : couper tout ce qui est électrique, sauf les instruments de bord.
Darenlot informe le radio et X… Ce dernier plus calme et désabusé, nous déclare : « Faites donc ce que vous voulez… ».
Et déballe son sextant et ses éphémérides.
Nous remettrons la VHF en route à l’approche de Dakar.
Au parking de Ouakam, en abaissant le tiroir des batteries et à la vue de l’état de celles-ci, de leur support déjà attaqué, et des dégoulinades d’électrolyse, nous pensons que nous avons probablement frôlé l’explosion du compartiment.
C’était le bon temps !
Pierre MAYET
2007
(1) La Ruhr. Ainsi appelée par les équipages des « Lourds » pendant la guerre, à cause de l’accueil chaleureux de la DCA ennemie.
Extrait du "Recueil de l’ADRAR" Tome 1
Date de dernière mise à jour : 08/04/2020
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