Mission en Israël

Nous avons été scramblés vers 17 h 50 h par le radar de Tel-Aviv, pour ce qu’il a vu comme une intrusion venant de l’ouest. Nous sommes le 31 octobre 1956, et je suis le leader d’une patrouille de quatre Mystère IV du Squadron 199 IAF, dépêchée vers le Sinaï pour faire la couverture de l’axe Rehovot – Ravivim entre 35.000 et 40.000 pieds.

L’état d’hostilité entre la France et l’Égypte ne sera déclaré que le 5 novembre, aussi nous volons sur des avions fraîchement repeints de l’Étoile de David israélienne. Nos combinaisons de vol sont vierges de tout insigne d’appartenance, ou de grade. Je n’ai pas eu le temps de jeter un coup d’œil sur ma carte d’identité d’immigré israélien toute neuve : je dois sans doute m’appeler Ephraïm Zimboum ou quelque chose d’approchant. Quelle importance … ! Nous sommes là, très en forme et heureux, faisant notre métier. Nous nous serions presque battus pour monter dans l’un de ces avions singuliers.

Mystère IV
Dassault Mystère IV

Quelques jours auparavant, sur le parking d’Akrotiri (Chypre), les pilotes, en civil sous leur combinaison de vol, ont reçu, en grimpant dans leur cabine, une enveloppe "Secret", contenant une mini carte de navigation, avec un tracé : Akrotiri –> porte d’entrée en Israël –> cap d’approche strict pour la base de Ramat-David, leur destination. Silence radio durant le vol ; altitude maximale : 500 pieds sol/mer. Des mécanos, français, hilares, attendaient les avions avec des pinceaux à la main. Ils ont débarqué deux jours avant d’un Armagnac, dans le plus grand secret. Il y a aussi des armuriers très affairés, autour de bandes d’obus de 30 mm.

Nous remontons lentement vers le nord, du côté d’El-Arish, et le contrôleur nous invite à la prudence : en effet des chasseurs F9F7 Cougar, de la 6ème Flotte US viennent nous renifler… Par précaution, j’ai demandé à mes numéros 3 et 4 de grimper à ma droite, prêts à fondre sur les intrus … Je trouve ces derniers gonflés, car nos canons sont approvisionnés en munitions bonnes de guerre, et, avec un peu de nervosité des contrôleurs … Mais ils dégagent bientôt vivement vers le large, après avoir sans doute rempli leur mission de reconnaissance, et rendu compte à leur contrôleur.

Mon numéro 3, qui a quelques ennuis radio, vient se mettre à quelques mètres à ma droite, et la lumière rasante du soleil bas me fait découvrir l’indicatif opérationnel français, qui transparaît ainsi, sous l’Étoile de David, révélant son origine cachée. Dommage, je n’ai pas mon Foca (verboten !)

La fin de notre mission coïncide avec la venue de la nuit, et l’on nous demande de nous dérouter sur Khatzor, notre terrain étant inutilisable (appréhendant le pire, nous apprendrons plus tard qu’une escadrille de Mosquitos straffeurs, revenant qui sur un moteur, qui en panne hydraulique, a répandu ses pièces détachées sur la piste).

Pas évidente, l’arrivée de nuit à Khatzor : Israël respecte un black-out général absolu : aucun repère visible ! On nous donne 2 ou 3 vecteurs directionnel et le balisage est allumé un moment pour l’atterrissage. Les 4 avions posés, tout s’éteint ! Une jeep "Follow-me" pour lynx et hiboux vient nous pêcher sur la piste.

Après les inévitables questionnements des officiers de renseignements (elles sont ravissantes et amusées… et sans doute briefées sur la galanterie française) un repas très chaleureux nous est offert par les pilotes de chasse israéliens, dont nous connaissons quelques-uns, pour les avoir transformés sur Mystère IV à Dijon. J’ai l’honneur de grignoter à la droite du colonel commandant la Base, qui préside ; un certain Ezer Weizmann … oui … le futur président de l’État d’Israël … Nous parlons de Spitfire, avion sur lequel nous avons tous deux volé, puis des Messerschmitt 109, achetés en 1948 avec lesquels il a obtenu quelques victoires aériennes sur des Égyptiens (peut-être même des Anglais ?) volant sur … Spitfire ! Le monde à l’envers.

Le lendemain, 7 heures, nous sommes positionnés en alerte, sous des filets de camouflage, en vue d’une autre mission. De jeunes et charmantes combattantes viennent organiser un petit en-cas dans notre cockpit, avec œufs au bacon et thé chaud.

La belle vie quoi !!

Maurice LARRAYADIEU

Extrait d’Aeromed n° 17 de mars 2006

Date de dernière mise à jour : 29/03/2020

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