Mission Caméléon

Sur les traces du Père de Foucault, au sud du Sahara Occidental

- Date : fin 1977
- Nom code : Caméléon
- Avion : Mirage IVA n° 61
- Équipages :

- Titulaire : Cne Monnier / Cne Barillot
- Remplaçant : Cne Agnard / Cne Leboucq.

Cette mission de plusieurs heures a nécessité une préparation longue et minutieuse avec une mise en place des moyens sur une base FAS propice au rassemblement discret d'un dispositif comprenant :

  • 2 Mirage IVA, équipés :
    • de 2 bidons pendulaires RP 20 de 2500 litres,
    • du containeur photo CT 52,
    • des contre-mesures électroniques internes.
  • 3 C-135F :
    •  équipage 1 : cdt de bord Cne Tartière,
    •  équipage 2 : cdt de bord Cdt Brûlé, dont un mis en place "aux antipodes" pour assurer les ravitaillements retour.
  • Le DC-8 Sarigue pour la couverture électronique.
  • Des Nord SNB de soutien qui feront des allers-retours incessants lors de la montée en puissance entre la base FAS et Mérignac, notre terrain de stationnement.

 

Préparation

Après une semaine d'analyse et de préparation des différentes missions photos possibles, les 2 équipages sont prêts et dans l'attente du décollage.

Et c'est en toute fin d'un après-midi que nous recevons les éléments précis du run photo et l'heure de l'engagement est fixée aux aurores, le lendemain.

À genoux dans la salle d'alerte de la ZA, le navigateur titulaire, dit Babar, aidé par le sous-chef ops des FAS, lui aussi à genoux, trace son rail de navigation sur les cartes qu'il a assemblées. Ces cartes datent pour certaines d'avant 14/18 et nous y lirons : "relevé du lieutenant X - 1910". Les renseignements topographiques se limitaient à "caillou grisâtre", "arbre rabougri". Mais, avec conscience, le navigateur note toutes les coordonnées.

L'équipage du Sarigue qui nous couvre depuis l'océan, nous informe au dernier briefing que nous allons naviguer à la limite du rayon d'action de Mig-21, basés sur un terrain d'un pays voisin.

Vu la durée du vol, nous prévoyons un gros sandwich, une grande bouteille d'eau (dans le IV, chaque membre d'équipage a son urinoir ! Merci aux prévoyants ingénieurs de Dassault) et un pistolet Mac 50, bien enfoncé au fond d'une des poches de la combinaison.

Engagement

Le jour prévu, nous nous réveillons à 01h00. Douche, café, œufs sur le plat puis nous rejoignons notre avion qui est prêt depuis la veille.

Formes à signer avec le chef de piste, tour du IV avec le chef-avion de l'équipe mécano pour une dernière vérification, monter dans les cabines pour mettre les dossiers à leur place et exécuter la check-list avant décollage. Tout est OK ; nous redescendons et attendons les ordres.

Vers 2 heures 30 : Alerte à bord !

Vers 3 heures : Scramble !

Le décollage s'effectue à l'heure H dans l'ordre : le C 135, le M IVA titulaire puis le M IVA remplaçant. Après une montée sans encombre, les 3 avions en MIC MAC (1) prennent le cap auquel se fera le premier ravitaillement. À ce premier RVT, comme la mission se passe correctement pour l'équipage titulaire, le M IVA remplaçant retourne vers sa base mère.

Durant le trajet vers le théâtre d'opérations, nous effectuerons 3 autres ravitaillements : l'un pour assurer le retour vers base si nécessaire, le suivant pour assurer une mission minimum et le dernier juste avant la séparation afin d'être au maximum de carburant au début du run photo.

H + 3 heures 30 : le début de mission est difficile car dans cette zone saharienne aucun point n'est radarisable, ni visible pour recaler le système de navigation… Nous ferons au mieux avec le recalage précis lors du passage de la côte – la dérive du SNB était alors minime - et avec cet écho radar qui doit être le fort si réputé de la région...

La météo n'est pas celle prévue sur zone lors de notre préparation du run : une brume épaisse va nous obliger à descendre à un niveau de vol inférieur à celui prévu. Entre la côte et le début des photos, le nav a dû se bagarrer dans sa cabine trop étroite avec ses grandes cartes pour recalculer tous les éléments photos en fonction de la nouvelle hauteur de prise de vues.

Le Sarigue nous appelle pour nous signaler que 2 Mig-21 viennent de décoller d’un pays voisin [NDLR : Colomb-Béchar] et qu’ils sont en montée cap Sud … vers nous ! Mais ils sont loin et mes souvenirs de pilote de chasse sur l’autonomie du Mig-21 me laissent à penser qu’ils n’auront pas "les pattes assez longues" pour venir nous chatouiller … de plus, nos CME restent muettes… Quelques minutes plus tard, le Sarigue nous annonce un changement de cap "moins agressif" des Mig. Nous reprenons notre respiration… normale.

Les photos débutent, comme prévu, vers 20.000 pieds, soit environ 6.000m. Mais la visibilité devient si crapoteuse que nous sommes obligés de descendre vers 12.000 avec une incursion vers 7.000 pieds… Un calcul carburant rapide montre que le reste de la mission ne passera pas à cette altitude. Résultat : dès que la visi s’améliore, nous remontons à une altitude de vol permettant d'économiser le carburant.

On fera souvent ce vol de type yoyo.

H + 5 heures 30 : le run se termine, nous mettons le cap vers notre point de rejointe. Nous avons rendez-vous avec le C-135 "des antipodes" . Mais grâce à "Murphy" et à sa loi à la gomme (2) la balise de rejointe ne donne rien, le Tacan A/A est muet et nous ne pouvons, bien sûr, compter sur aucune assistance. Là, vu le pétrole restant dans les nourrices, ça commence à être préoccupant !

Nous décidons de mettre le cap sur le seul aéroport de déroutement ami prévu et situé dans le proche Atlantique… [NDLR : Tenerife] et comme nous avons le contact radio avec le tanker, je lui demande d’en faire autant, espérant le rejoindre sur ce trajet… car le pétrole restant ne nous permet pas d'être optimistes.

Enfin, ouf ! Contact visuel ! Nous rejoignons. À l’enquillage, il reste une tonne de pétrole et je ne vois pas beaucoup d’îles à l’horizon !!! Le plein complet nécessitera un transfert de 15,2 tonnes ! (3)

H + 7 heures : cap retour. Après l'affichage du prochain point tournant, le SNB nous donne une distance de 1100 NM ! Belle ligne droite !

Heureusement ici il fait beau, mais aux latitudes plus nord, le temps n'est pas terrible. Bof…

Non, pas Bof ! Car le PA (pilote automatique) tombe en panne et il me faut épisodiquement faire de la patrouille serrée - à cause de la visibilité dans les nuages - avec le C-135 qui nous remonte vers la France car les contrôleurs sont, depuis ce matin, à l’affût d’un "2ème plot !". On assurera encore 2 ravitaillements de confort sur le trajet retour qui s'avèreront, la fatigue aidant, être un peu "galère". Mais voilà que nous longeons les "Cantabriques", montagnes chères à notre prévisionniste météo de Mérignac : la maison n’est plus très loin.

H + 9 heures 25

On se pose. Enfin chez nous !

Dix minutes plus tard, réacteurs coupés, la sortie de la cabine est tout de même difficile… et il faut encore faire le débriefing et assister nos amis de la section photo qui vont aussitôt débuter les développements et les premières interprétations… en gros 2 à 3 heures. Le général FAS, présent à notre descente d'avion, apprendra que la mission a été effectuée sur le trait et les interprétateurs lui donneront rapidement confirmation de la réussite du vol.

Voilà. Après 9 h 25 de vol, 7 ravitaillements, 35 tonnes de pétrole transféré, 400 NM de photos, nous allons enfin nous reposer en ayant la satisfaction d'avoir accompli "notre mission".

"Caméléon" ne sera définitivement "bouclée" que quelques jours plus tard, après que nous aurons fait le débriefing oral à notre état-major à Taverny et déjeuné avec le CEMAA de l'époque à Balard.

L’exploitation de notre mission a permis de mettre sur pied une opération militaire dont nos amis sur Jaguar pourraient nous parler.

L'équipage : Pilote, Cne Pierre Monnier, Navigateur, Cne Jean-Paul Barillot (4)

PS : ceci se passait il y a plus de 30 ans. Le Mirage IVA, devenu IVP, a effectué bon nombre de missions de ce type avec - presque - le même matériel ! Quel avion !

(1) Vol en Mic Mac : les 3 avions sont en vol en patrouille et donc à la même vitesse et altitude.
(2) Loi de Murphy dit que si quelque chose peut mal tourner, alors cette chose finira infailliblement par mal tourner.
(3) Le plein du Mirage IV, avec bidons pendulaires, est de 14,6 tonnes.
(4) L'équipage Monnier-Barillot recevra un témoignage de satisfaction du ministre de la Défense de l'époque.

Extrait d’ANFAS Contact n° 61 de mai 2009

Date de dernière mise à jour : 05/04/2020

Ajouter un commentaire