Mes pérégrinations d'élève-pilote (1)

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Macaron d'élève-pilote

Saint-Cyr-l’École

Le 3 septembre 1944, je me trouvais, en compagnie d’une centaine d’autres candidats, devant le 26 bd Victor à Paris pour m’engager dans l’Armée de l’air, mais nous étions trop nombreux ce jour-là. Je devais revenir le lendemain pour signer un engagement pour la durée de la guerre.

Quelques jours plus tard, je reçu une lettre me disant de me présenter au Bataillon de l’air 116 à Saint-Cyr-l’École. Le lendemain, je rejoignais le terrain de Saint-Cyr et retrouvais une dizaine d'autres engagés comme moi à l'entrée ouest de la "base", qui n'était en fait qu'un immense tas de ruines.

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Stcyr 1
L'état de la base au cours de mon séjour (J. Houben)

Vers midi, et à notre grande surprise, un sergent arriva et nous apporta du pain et des boites de conserves : sardines, pâté… etc. Il nous informa que l'on s'employait à nous trouver un hébergement, que nous devions rentrer chez nous et revenir le lendemain. Avec quelques camarades, je décidais de rester sur place  mais où passer la nuit ? 

Après avoir exploré les immeubles de l'actuelle rue du docteur Vaillant, éventrés par les bombardements, nous avons découvert, après avoir emprunté un escalier défoncé et branlant, un logement où restait quelques meubles. Ainsi, j'ai pu passer ma première nuit dans l'Armée de l'air couché entre deux matelas !

Nous fûmes finalement regroupés dans deux propriétés à Fontenay-le Fleury et la vie militaire commença.

L'habillement posa de suite problème. Je me souviens avoir porté au début un pantalon de la Kriegsmarine et un blouson de tankiste allemand. Puis, on découvrit un dépôt des années trente qui n'avait pas été pillé par les Allemands et nous reçûmes alors des uniformes de l'Armée de l'air.

Le début de mon instruction militaire consista à monter la garde à l'entrée de ce qui restait de la base, ravagée par les bombardements de juin 1944.

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Je garde ... des ruines (J. Houben)

Les Allemands avaient constitué là un dépôt de matériel pour la Luftwaffe. Les caisses éventrées contenaient des équipements tels que instruments de bord, récepteurs radio, horizons artificiels, d'autres matériels de valeurs que certains s'employèrent à démonter. Il y avait également des réservoirs d'avions recouverts de magnifiques plaques de cuir gris clair qui furent vite découpées. Je me souviens avoir fait pour ma mère un sac à provisions qui a duré de nombreuses années.

Les propriétés, dans lesquelles nous étions hébergés, étaient limitées au sud par la voie ferrée Dreux-Versailles. Très tôt, les Américains avaient réorganisé les transports ferroviaires entre les ports de débarquement et le front pour convoyer leur ravitaillement. La signalisation étant détruite, les convois naviguaient "à vue" et un poste de régulation, tenu par deux soldats américains, avait été établi dans la gare de Fontenay-le-Fleury. Nous leur rendions souvent visite, c'était pour nous l'occasion de parler anglais … et de récupérer des cartouches de cigarettes.

Outre un vieux camion Berliet, on nous affecta deux véhicules allemands : un camion Opel Blitz et une Kattenkrad, sur laquelle les "lâchers" furent parfois homériques.

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Le SdKfz2 "Kattenkrad"

Un matin vers 6 h, le cuisinier, qui descendait au sous-sol pour allumer ses fourneaux, tomba nez à nez avec un Allemand qui déguerpit avec des provisions. Et pourtant, nous étions "libérés" depuis plus de trois semaines ! Nous nous lançâmes à sa poursuite mais il nous échappa. Prévenus, les Américains de la gare envoyèrent une patrouille qui récupéra une dizaine d'Allemands, planqués dans les ruines du fort de Bois d'Arcy.

Un jour, nous reçûmes la visite d'un groupe d'individus en combinaisons bleues bardés de mitraillettes. C'étaient des FTP, composante communiste de la Résistance. Ils nous demandèrent un peu d'essence, que nous n'avons pas pu leur fournir. Pas sympathiques du tout, et peu causants, ils repartirent à notre grand soulagement.

Le premier commandant de base disparut au bout de quelques jours. La rumeur publique nous dit que, sur le plan politique, il avait eu pendant l'occupation de mauvaises fréquentations. Il n'en fut pas de même, heureusement, pour celui qui devint ensuite notre chef et qui s'attacha à remplir sa mission du mieux qu'il pouvait, avec les moyens dérisoires dont il disposait.

Au début, on nous avait laisser entrevoir que nous partirions aux USA pour être formés. Évidemment, nous voulions tous être pilotes. Les semaines passaient et aucune information sérieuse ne nous était donnée. Certains n'attendirent pas et se firent muter dans l'Armée de terre. Ainsi, un de mes camarades rejoignit la division Leclerc, où il trouva la mort, la jeep qu'il conduisait ayant sauté sur une mine.

Pendant mes jours de liberté, je faisais le tour des terrains des environs, pour voir de près les appareils alliés, mais également pour établir des contacts avec des membres des troupes alliées afin d’améliorer mon Anglais. C'est à cette occasion que je pu prendre mon baptême de l'air. (2)

À Paris, le "Continental" avait été transformé en une immense cafétéria, où étaient servis gratuitement pour les troupes alliées : sandwiches, pâtisseries, thé, café, chocolat.  À chacun de nos passages, nous nous gavions de toutes ces bonnes choses dont nous avions été privés si longtemps.

Sur les Champs Élysées, le cinéma "Empire" était devenu une salle de spectacle, où étaient présentés des revues et des concerts de jazz. Il m'a été d'y applaudir l'orchestre de Glenn Miller, mais sans son chef, son avion s'étant perdu dans la Manche quelques jours auparavant.

Vers le Maroc

Fin mars 1945, nous sommes quelques-uns à être mis en route sur Marseille où nous sommes hébergés au Camp Sainte-Marthe, disparu depuis. Nous y retrouvons ceux qui revenaient des USA et qui arboraient l'insigne de pilote, les "Wings", qui attirait nos regards. Inutile de préciser que nous les questionnions pour savoir "comment c'était là-bas".

Wings
Nous en rêvions en permanence ...

Un matin, certains camarades ont la chance de partir par avion vers Casablanca. Pour ma part, j'embarque le 4 avril sur "La Providence" à destination d'Alger, où je débarque le 6. Après quelques jours passés à Blida, un groupe est reformé et nous prenons le train, direction Casablanca, où nous arriverons le 16.

On nous fit monter dans des wagons à bestiaux sur lesquels était inscrit à cette époque : 

"HOMMES 40, CHEVAUX (EN LONG) 8"

On nous donna des bottes de paille et une couverture à chacun. Avec cette couverture, mon ceinturon et une ceinture, je me fit un hamac, ce qui me permit de voyager assez confortablemement.

En
Notre "wagon-pullman" (J. Houben)

Le train se trainait lamentablement et les arrêts étaient nombreux, mais nous avons pu admirer de magnifiques paysages tout au long du trajet. À chaque arrêt, de petits Arabes nous proposaient des oranges et des produits de l'artisanat local.

Sur
Farniente, sur le toit du wagon, en roulant (J. Houben)

À Oujda, frontière du Maroc, on nous fit subir la cérémonie de l'"épouillage" ... pour les hommes de troupe seulement, les officiers et les sous-officiers, réputés "propres", en étant exemptés. Nos affaires personnelles ayant été mises en sécurité, nous bénéficiâmes d'une douche fort bienvenue pendant que nos vêtements - tous nos vêtements - passaient à l'étuve. On nous rendit à chacun un paquet de loques gorgées d'eau. Heureusement qu'avec la température qui régnait, tout cela fut sec en peu de temps mais nous n'avions pas fière allure dans ces habits sans aucune forme.

Casablanca

Camp
Casablanca, le Camp Cazes

À l'arrivée au CFPNA (Centre de Formation du Personnel Navigant en Amérique), je retrouve les camarades de Saint-Cyr qui avaient eu la chance de voyager par avion.

Nous étions logés à une trentaine dans des baraques où les conditions d'hygiène étaient déplorables. Périodiquement, nous devions brûler à l'essence les punaises nichées entre les planches de nos châlits.

Cazes
Une de nos chambrées

La nourriture était peu appétissante et souvent servie froide. Je me souviens des grands plats en alu contenant de la purée de pois cassés figée, dans laquelle surnageaient quelques croutons, c'était l'émaillite, du nom d'une peinture verte employée sur avion. Heureusement qu'à la sortie de la base, des vendeurs de pâtisseries ou de barres de chocolat nous permettaient de calmer nos fringales.

Un jour, on nous distribue des chemisettes et des shorts en coton, plus adaptés à la température ambiante. Curieusement, ces vêtements sont constitués de bandes de tissus blanc, d'environ 10 cm de large, cousues ensemble. Nous apprendrons bientôt que ces bandes servaient initialement à la délimitation des champs de mines.

Je n'étais pas arrivé depuis une semaine que nous recevons l'ordre d'aller passer les tests psychotechniques … à Alger ! Je reprends donc le train dans l'autre sens et dans les mêmes conditions : "Hommes 40, chevaux (en long) 8". Pour mes camarades qui étaient venus en C-47, ce fut une découverte ! 

Nous sommes logés dans la banlieue d'Alger à Baraki, qui était une ancienne base d'aérostation de l'Armée de l'air. Les tests, qui durèrent plusieurs jours, étaient destinés à détecter les capacités de chacun à remplir une fonction dans le personnel navigant : pilote, navigateur, bombardier, mitrailleur ou mécanicien. Bien évidemment, mes camarades et moi sommes tous classés "pilotes", nous y comptions vraiment. Et puis, nous reprenons une nouvelle fois le train : "Hommes 40, chevaux (en long) 8" … avec, de nouveau à Oujda, l'épouillage.

Ainsi, en quelques semaines, j'aurai parcouru plus de 3.000 km en chemin de fer entre Alger et Casablanca !

À notre arrivée, on nous intégra au 25ème USA qui comportait environ une centaine d'élèves. Le 24ème était complet et le 23ème était sur le départ.

Ma grande distraction était de regarder voler les avions. J'y passais de longues heures et suivais également le trafic radio de la tour sur un petit poste, pourtant pas du tout prévu pour cela.

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Quand pourrais-je voler ? (J. Houben) 

Nous devions monter la garde du camp des prisonniers italiens. Nous étions postés en haut d'un mirador, munis d'un vieux fusil Lebel (sans cartouches) et passions des heures à regarder ces hommes aller et venir, certains d'ailleurs sortant librement du camp pour vaquer à leurs occupations. Ils portaient des uniformes américains avec, dans le dos, l'inscription POW (prisonnier de guerre). 

Nous devions également assurer la garde du parking de l'AIA, où étaient stockés les appareils qui venaient d'être débarqués et qui étaient en cours de montage. Il y avait là principalement des P-47 et des P-63. Je n'imaginais pas alors que je devais voler sur ces deux types d'appareils deux ou trois ans plus tard.

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Des dizaines de P-47 prêts à être livrés aux unités (J. Houben)

Le poste de garde de l'AIA était installé dans la carcasse du prototype du Bloch-160, ancêtre du Languedoc, et concurrent malheureux de la course Istres-Damas d'août 1937.

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Le prototype du Bloch-160 (J. Houben)

 

Le 8 mai 1945 l'Allemagne capitule, partout c'est la fête.

Dès la fin des hostilités, les Américains organisent un pont aérien entre l'Europe et les États-Unis, via Casablanca, Dakar et Natal. Nous assistons à l'atterrissage de dizaines de B-17 Fortress transportant des soldats qui manifestent bruyamment leur joie de rentrer à la maison. Après l'atterrissage, ces avions empruntent une bretelle qui longe le Centre et nous saluons ceux qui, émergeant de la carlingue par différentes ouvertures, font des signes à notre intention. Savent-ils déjà, qu'après trois mois de permissions … ils repartiront pour le Pacifique ?

Pour nous, la fin de la guerre en Europe signifie l'arrêt de la formation du personnel navigant aux États-Unis. On évoque notre formation éventuelle dans la RAF, ou dans des écoles en France (à créer).

Le 22 août 1945, je quitte Casablanca pour rentrer en France par voie maritime à partir d'Oran et c'est "La Providence" qui nous ramène à Marseille, d'où nous gagnons Vichy. Je dois dire que je n'ai gardé aucun souvenir précis de ce voyage.

Providence
"La Providence" nous attend dans le port d'Oran (J. Houben)

Vichy

Insigne

Nous rejoignons le CPPN (Centre de Préparation au Personnel Navigant), nouvellement créé dans le camp Anne-Marie Menut à Cusset, dans la banlieue est de Vichy. 

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Entrée du camp (J. Houben)

Nous logeons dans des hôtels de la ville. Je partage une chambre avec quatre camarades au "Helder", tout en haut, avec vue splendide sur les bords de l'Allier.

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Sur le balcon de ma chambre (J. Houben)

Tous les matins et tous les soirs nous effectuons, en rangs, le trajet entre le camp et nos lieux d'hébergement. Peut-être chantions nous parfois, je ne m'en souviens plus.

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Défilé dans Vichy, deux fois par jour ouvrable (J. Houben)

Le camp est commandé par le LCL Janicot, qui ne dissimule pas son appartenance au Parti communiste, à tel point que je l'ai vu un jour d'hiver circuler dans le camp en battle-dress avec un cache-nez rouge. C'était une période très compliquée.

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Intérieur du camp (J. Houben)

La guerre en Europe est bien terminée, mais il reste le Japon. On commence à bien s'occuper de nous et suivons des cours intéressants, particulièrement en navigation, cours dispensés par des anciens navigateurs des groupes "Guyenne" et "Tunisie" alors équipés d'Halifax dans les FAFL.

D'anciens mitrailleurs, de Halifax également, nous font découvrir les joies du démontage (et du remontage !) de la mitrailleuse de 12,7. Plus de 75 ans après, je suis certain de pouvoir procéder sans faute à ces manipulations (sans oublier surtout, qu'avant de rentrer la culasse mobile dans son logement, il faut que le petit levier soit vers l'avant, les armuriers me comprendront).

Quelques mois plus tard, nous prenons la direction de la Savoie, le CPPN étant transféré au Bourget du Lac.

Le Bourget-du-Lac

 

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La Base du Bourget-du-Lac (J. Houben)

La base aérienne se trouvait en bordure du lac du Bourget, dans un environnement de montagnes magnifique. Nous n'y restons que quelques jours et sommes dirigés vers Entremont-le Vieux, sur les pentes du mont Granier, où nous nous répartissons dans deux anciens chalets de « Jeunesse et montagne », La Plagne où je loge, et Les Clarets distants de quelques kilomètres. Nous allons ainsi passer l'hiver 45/46 et le début du printemps à plus de 1.000 m.

Site

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Les chalets de La Plagne (J. Houben)

Nos occupations consistèrent d'abord en travaux d'entretien et de remise en état des chalets qui avaient été inoccupés depuis de nombreux mois. Nous faisions également beaucoup de sport et de randonnées dans la vallée d'Entremont. Nous avons également exploré plusieurs grottes dans les contreforts du Mont Granier, prenant parfois des risques inutiles.

Travaux
Travaux en cours (J. Houben)

Et puis, il fallait aussi assurer le ravitaillement, à dos d'homme ou avec cette carriole, aimablement prêtée par le fermier voisin.

Ravitaillement
Bévillard, Houben, X, Besson (J. Houben)

Fin octobre la neige est arrivée et ce fut, pendant environ trois mois, le ski du matin au soir, tous les jours de la semaine.

Moi

Au printemps, la neige ayant fondu à La Plagne, nous sommes allés passer deux jours à l'Alpette vers 1.500 m. La bergerie que nous devions occuper était recouverte de 2 m de neige et nous avons du creuser un tunnel pour y rentrer. Nous couchions sur les planches à fromage et nous nous chauffions avec un feu ... que certains négligeaient d'entretenir la nuit. 

Plus tard, départ pour Pralognan où nous passons une semaine environ, faisant de longues randonnées à skis, certaines à près de 3.000 m depuis le refuge de Peclet-Polset. 

Au début de l'été, nous rejoignons Le Bourget-du-Lac pour mise en route sur différentes bases. Pour moi, cela sera Cognac.

Cognac

La base abrite l'ETM (École de transformation monomoteur, plus tard BE-705), qui assure la formation des pilotes depuis le début jusqu'au brevet de pilote. Elle utilise des Tiger Moth, des Arado 96b, des SIPA S-10, des Nord 1.000 Pingouin, des Miles Master, des Stampe, des Morane 230 et des Avro Anson.

Le personnel vient de différents horizons : FAFL (Forces Aériennes Françaises Libres) et aviation de Vichy. L'amalgame n'est pas encore entièrement réalisé entre ces deux courants et de (rares) "échanges" ont parfois lieu. Petit à petit, tout rentrera dans l'ordre.

Ce qui est étonnant est que, selon son origine, le personnel qui circule sur la base est habillé d'uniformes de nature et de couleurs différentes : tenue gabardine bleu foncé de l'Armée de l'air des années 40, battle-dress gris de ceux qui viennent des FAFL, kaki (de différentes nuances) pour ceux qui ont été précédemment affectés dans des groupes équipés par les Américains.

Dès mon arrivée, je touche un "complément de paquetage", comportant en particulier … des sabots en bois ! Un règlement datant des années trente prévoyait en effet que les sous-officiers et les hommes du rang du personnel navigant (donc les élèves-pilotes) devaient en être munis. Ce fut une vaste rigolade et, à ce sujet, il me revient en mémoire une anecdote :

Les premières promotions (P1 et P2) qui étaient à l'instruction, comportaient dans leurs rangs quelques joyeux lurons. Un jour, les élèves de ces deux promotions décidèrent d'aller aux cours et de circuler sur la base en sabots. Ils eurent un franc succès mais, en haut lieu, on n'apprécia pas, mais alors pas du tout. Cette plaisanterie eut quand même comme résultat que, dans les jours suivants, les sabots furent réintégrés. Par cette décision, l'Armée de l'air venait de se moderniser : plus de sabots !

Les nouveaux arrivants sont répartis dans différentes unités de la base. Pour ma part, j'ai la très grande chance d'être affecté à l'Escadrille de navigation, équipée d'Anson, où j'occupe les hautes fonctions de secrétaire (tenue du tableau d'ordres et des carnets de vol, répondre au téléphone … etc.). Je suis autonome et soumis à une discipline très légère, ce qui me permet de vivre sur place et d'aménager un coin de l'escadrille pour dormir.

Mais, très important, je peux voler et profite de toutes les occasions qui me sont offertes. Connaissant mon statut "d'élève en attente", pilotes et moniteurs-navigateurs me prennent en main et me font travailler. Ainsi, je pourrai commencer mon instruction muni de connaissances en navigation qui me seront fort utiles.

Le week-end, je fais du vol à voile aux "Ailes cognaçaises", l'aéro-club local. Mes premières leçons de pilotage se font sur SG-38 : longues glissages, sauts à 4 ou 5 m de haut. Ensuite, double commande sur C-800 et lâcher sur Emouchet…

Sg38
SG-38

C800
C-800

Emouchet
SA-103 "Emouchet" (Parmentier)

Puis je pars en stage de vol à voile à la Montagne noire. Le centre est équipé de nombreux types de planeurs, dont un grand nombre de machines "récupérées" en Allemagne. Je fais en particulier de la double commande sur l'un d'eux, le Kranish. Mes premiers vols solos sur la pente s'effectuèrent sur Avia 152A à l'habitacle réduit au strict minimum, impressionnant pour un débutant !

Kranich
Kranich

Avia 152a
Avia 152A

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Le Centre de Vol à voile de la Montagne noire dans ces années-là

Parmi les stagiaires, Andrée Dupeyron, qui avait établi deux records de distance sur avion léger :
- le premier, en 1938 d'Oran à El Aim (Irak), 4360 km sur Caudron Aiglon,
- le second, en 1949 de Mont-de-Marsan à Jiwani (Beloutchistan), 5.932 km en 31 h sur Morane 572.

Aiglon
Caudron C-600 "Aiglon"

Ms
Morane 560, d'où est dérivé le 572 (Coll. R. de Narbonne)

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Andrée Dupeyron

Également, Jacques Grangette, qui revenait des USA où il avait été breveté, et qui sera plus tard pilote d'essais chez Potez-Fouga puis chez Airbus. 

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Jacques Grangette

Enfin, le général Éon, parachutiste, qui avait sauté sur la Bretagne le 6 juin 1944, et qui soutenait des projets bizarres et irréalisables, comme appuyer les troupes aéroportées par des vagues de fantassins pilotant des "Poux du Ciel" !

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Le général (alors colonel) Éon, et son arme secrète

Je partageais ma chambre avec André Bouchety, bassiste des orchestres Alix Combelle et Django Reinhardt. Lorsque nous étions au repos, et pour ne pas perdre le cal de ses doigts, il avait tendu une corde de son instrument entre les pieds d'un tabouret et grattait pendant des heures. À la longue, cela devenait lassant.

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Jean Bouchety au travail (J. Houben)

De retour à Cognac, je consacre une grande partie de ma solde de sergent à voler sur Stampe. Lâché, puis breveté…, je suis arrivé sur Tiger Moth avec déjà une petite - toute petite - expérience aérienne.

Moi
Sur Stampe, aux "Ailes Cognacaises" (J. Houben)

En 1946, une commission, présidée par le colonel Thibaudet, fait le tour des bases pour sélectionner les personnels à maintenir en formation. Vu mon âge (je n'ai que 20 ans)  je suis maintenu sur la liste de ceux qui effectueront leur pilotage. 

Certains se font démobiliser, d'autres se dirigent vers d'autres spécialités. C'est ainsi que mon camarade Cuny, que je n'avais pas quitté depuis Saint-Cyr, part à Cazaux en école de navigateur, spécialité où il effectuera une carrière exceptionnelle : sur Halifax, sur B-26 en Indochine, sur Meteor puis Vautour dans la Chasse de nuit, au CEAM, au CEV où il devient navigateur d'essais du Mirage IV, fonction qu'il conservera ensuite chez Dassault.

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Jean Cuny

Mais Cuny, c'est également une mémoire prodigieuse et un dessinateur remarquable dans la précision qu'il apportait à la réalisation de ses croquis, les livres qu'il a écrit, les "profils" qu'il nous a laissés en témoignent.

Et puis, le 26 avril 1948, je commence mon instruction officielle au "Groupe Début" et effectue mon premier vol sur Tiger Moth au sein de la promotion P-13.

P13
La Promotion P-13 : 1. Colin, 2. Mahé, 3. Dartigues, 4. Carquin, 5. Beaudoin, 6. Rozier, 7. Chappel, 8. Voogden, 9. Maurin
10. Malard, 11. Tabuteau, 12. X, 13. Houben, 14. Ligier, 15. Reynaud, 16. Bretagnon, 17. Beaufrère
18. Patron, 19. Even, 20. Quintin, 21. Laffeter, 22. Miart, 23. Grimmer, 24. Revil, 25. Leclerc, 26. Linières

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En piste, sur "Tiger Moth" (J. Houben)

Après la douceur des commandes du Stampe, le Tiger Moth me semblait un bon veau mais j'ai gardé un excellent souvenir de mes vols sur cet appareil où j'ai pris mes premières leçons de voltige.

Nous étions deux élèves à avoir le même moniteur. Pour la majorité des sorties, nous décollions de Cognac et, à l'issue de la leçon, nous atterrissions à Saintes ou à Jonzac. Le second élève, venu à Saintes en JU-52 ou à Jonzac en camion, prenait le relais alors que nous regagnions Cognac par le même mode de transport.

C'est sur Tigre que j'ai découvert le vol de nuit. La dernière sortie comportait une navigation en solo dans la région. Avant le départ, et à juste titre, nos moniteurs vérifiaient que nous connaissions par cœur les caps et les temps de vol entre chaque point tournant. Néanmoins, personne ne s'est perdu … Cognac avait un bon phare de rappel !

Également sur Tigre, premiers contacts avec le PSV. La capote rabattue sur la place arrière, et sans horizon artificiel, nous nous escrimions à maintenir la ligne de vol à l'aide de deux aiguilles indiquant l'une le virage, l'autre le dérapage. Et puis, il fallait essayer de rester en palier…
 

Le stage "Début" terminé, nous passons à la phase "Transformation" sur SIPA S-10.

J'ai gardé un très bon souvenir de cet avion qui était pour moi un petit chasseur, mon premier chasseur. Dans sa version initiale, le S-10 était magnifique dans sa livrée gris-clair avec sa verrière basculante type "Messerschmitt".

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Le SIPA S-10, première version (Olivier Beernaert)

Plus tard, ils furent équipés de verrières coulissantes (néanmoins très utiles pour la sécurité et la ventilation) et peints en "vert-armée". Mais, à mes yeux, le comble du mauvais goût fut d'oser faire voler des avions verts avec des moteurs couleur alu. Une horreur comme vous pouvez le constater :

Sipa10 d
Sans commentaire ! (Patrice Gaubert)

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Photo pour la famille : à l'époque, je vole sur SIPA.
Admirez les chronos dont nous étions dotés (J. Houben)

Pour le VSV, nous volions sur Nord-1000. L'élève en place gauche était sous capote, le moniteur était à droite et un second élève assurait la sécurité dans le secteur gauche à la place arrière-gauche. Cela ne fut pas toujours assuré avec suffisamment de rigueur puisqu'un jour un Tiger-Moth et un Nord-1000 entrèrent en collision. Quatre morts.

Nord 1001
Nord-1000 "Pingouin"

Nous étions quatre à avoir comme moniteur l'aspirant Naudin, plus tard Cdt de bord à Air France : Patron, Leclerc, Voogden et moi-même. Naudin était très exigeant, mais il a eu raison de ne rien nous passer.

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Patron, Houben, Naudin, Voogden, Leclerc (J. Houben)

Parmi nous, Jean-Pierre Rozier. Très bon pilote, il n'eut aucun mal à sortir major de notre stage. Nous avons continué ensemble au CIC de Cazaux où nous avons eu la chance (?) de voler sur des "reliques" telles que Curtiss P-36, Dewoitine 520 et Bell P-39 Airacobra. Ensuite, nos voies se sont séparées.

Pilote d'essais au CEV, il fit monter le Trident à une altitude de 28.000 m (92.000 ft) record non homologué.  

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Le "Trident" II (Coll. C. Goujon)

Pendant l'occupation, il avait fait partie de la Résistance dans le maquis de Savoie. Arrêté, puis torturé par la Gestapo, il n'a jamais parlé. 

Rozier
Jean-Pierre Rozier

Dans la même promotion, Jacques Pinier qui, victime d'une appendicite, ne sera breveté que trois promotions plus tard. Devenu pilote d'essais, mon ami Jacques se tuera malheureusement sur le "Balzac" le 10 janvier 1964 (3).

Pinier
Jacques Pinier, Hanoï 1950 (J. Houben)

Balzac 1
Le "Balzac" (MAE)

Également, Chappel et Linières, plus tard pilotes de ligne, l'un à Air France, l'autre à l'UTA, Claude Révil, pilote de bombardement puis de ravitaillement en vol, Roger Bretagnon, futur leader de la Patrouille de France sur Ouragan...

Le stage se termine normalement et le 24 janvier 1949 je suis "macaronné".

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Ça y est, je suis pilote ! (J. Houben)

Mon 1
Brevet n° 33.514

Jean HOUBEN


(1) Pour connaitre la période qui précède, cliquez ICI
(2) Pour lire "Mon baptême de l'air", cliquez ICI
(3) Pourquoi "Balzac" ?

Le nombre 001 devait figurer quelque part sur l'avion, sur la dérive peut être.

À cette époque, était présentée dans les cinémas au cours des entr'actes cette séquence de la Sté Jean Mineur, spécialisée dans la publicité et reliée au standard téléphonique Balzac :

Publicite jean mineur

L'animation était la suivante : avec sa pioche, le personnage frappait au centre de la cible et le chiffre 1000 tournait alors de 180° pour devenir 0001.
Ce sont certainement les mécaniciens qui ont ainsi baptisé "Balzac" le Mirage IIIV 001.

Date de dernière mise à jour : 06/05/2022

Commentaires

  • Catherine Girault
    • 1. Catherine Girault Le 07/08/2020
    Bonjour, je suis la filleule de Jacques Pinié que je n'ai pas trop connu malheureusement. Si vous vous souvenez d'anecdotes le concernant, je vous serai très reconnaissante de m'en faire part.
    Par avance un grand Merci.

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