Mes 1.000 heures
1.000 h de vol chez un pilote quel qu’il soit, représente un cap, une étape importante. Tout comme le baptême de l’air, le premier vol en solo : le "lâcher" sur tel type d’appareil ou tel autre. Aussi, cela donne lieu à une petite fête, ou plutôt, une petite manifestation pour marquer le coup et faire en sorte que l’intéressé s’en souvienne longtemps. Et effectivement, ceux qui sont passés par là s’en souviennent, c’est LA tradition.
Je suis donc à Étain, au 3ème Régiment d’Hélicoptères de Combat (RHC), au sein de la 5ème Escadrille Anti Chars (EHA). Régulièrement, au fil des évènements, la Force d’Action Rapide (dont fait partie le Grand Trois) met en Alerte, un RHC, si d’aventure une opération outre-mer se déclenchait et qu’il faille envoyer des unités en Afrique comme c’était le cas à l’époque.
D’autre part, mes camarades savent que dans pas longtemps, le "Coyote" ne devrait pas tarder à passer ses 1.000 h de vol (Coyote ? C'est mon p'tit nom à la 5. Chacun a un p'tit nom, tous les membres de la 5 en ont un). Et là en général, le pilote visé rase les murs, le but étant de passer au travers de la tradition en général particulièrement salissante.
Au sein du régiment, c’est la 5 qui est d’alerte. Son Cne a donc fait une liste d’équipages prêts à décoller au coup de sifflet pour se rendre n’importe où, en France ou ailleurs.
Ce jour-là, je suis le pilote d’alerte avec mon CdB, le MCH L.
Nous avons sur zone, une météo particulièrement pourrie. Et donc, la journée devrait être cool, réservée à différentes choses comme mettre à jour ceci, ranger cela, continuer ce truc commencé il y a quelque temps, préparer tel examen, telle mission prochaine…
Et là, vers 10 h :
- « Coyote ? Scramble, Alerte Rouge, Prépare tout, tu décolles »
L’ordre a fusé. Mais tout est prêt depuis l’aube. La machine est sortie. La visite avant vol a été effectuée. Elle est équipée. Le plein est fait. Les affaires de l’équipage y sont, tout baigne, mais cette météo pourrie est toujours là.
Aussi, je réponds :
- « Prêt à… En mesure de… Quelle est la mission ? »
- « Il faut ramener l’aumônier à Nancy »
Ah ? Et bin il est pas prêt d’y être vu la météo. Si on décolle vers Nancy, au vu de la situation météo, on fait demi-tour avant Metz, Il ferait mieux de demander à rentrer en bagnole. Bon, l’ordre est confirmé. La mission est effectivement déclenchée et confirmée.
Bon, allons-y.
L’aumônier arrive, il s’installe, la nav est prête, contact radio avec la tour, mise en route moteur, j’embraye le rotor, ça tourne, allez hop c’est parti.
Décollage autorisé, la météo est effectivement pourrie. Ce qui devait arriver arriva. Le demi-tour se produit non loin de Metz, situé à 50 km d’Étain à vol d’hélico... euh... d’oiseau.
Le CdB avait conservé la fréquence de la tour, et lui annonce que nous faisons demi-tour pour un retour terrain estimé dans une vingtaine de minutes et demande à ce que le Cdt de la 5 soit mis au courant.
Bizarre me dis-je, pourquoi faire transmettre ce demi-tour à l’Escadrille ?
Mon CdB me répond que l’aumônier doit être à Nancy pour telle cérémonie et que si cela ne passait pas, on lui préparerait la voiture du Chef de Corps.
Ah, bon, rien à dire.
La phase retour-atterrissage-retour parking escadrille se passe comme d’hab. Rien à signaler.
Moteur au ralenti. Rotor freiné. Pale arrêtée dans l’axe. Coupure moteur. Tout baigne.
Sauf que contrairement à ce qui se passe, la première personne que j’aperçois et qui arrive dans mes 4 h, c’est T... et non pas un pistard (le mécano qui a préparé la machine, fait le décollage réceptionne la machine au retour de la mission et la remet en ordre de vol après avoir pris en compte les remarques de l’équipage). Et il est habillé d’un ciré jaune vif dont on se sert pour des travaux salissants (nettoyage de véhicules au nettoyeur haute pression par exemple).
ARGH !!!
Mon visage sur cette photo se passe de commentaire
Je dois avoir 1.007 ou 1.012 h de vol. Et je m’étais dit : je suis passé au travers de la "tradition". Ouf !
Je change de tête en apercevant le chariot à roulettes qui sert à promener "l’heureux élu ayant franchi ses 1.000 h de vol" que l’on promène parfois partout sur le régiment, pour montrer comment à la 5, on fête ça. Et en général, dans chaque lieu où le "sali" passe, les gens en rajoutent une couche. Toujours dans un excellent esprit de Camaraderie, d’Esprit de Corps de ces soldats du même régiment, Officiers, Sous-Officiers, même Militaires du rang affectés dans les escadrilles.
Parfois, il est attendu sur une zone aménagée où se trouvent les "invités" pour assister à cet évènement pas si courant que ça. Et chaque Escadrille a à cœur de trouver quelque chose de nouveau, d’innovant pour marquer le coup dans cette mise en scène.
1.000 h de vol, ça n’arrive pas tous les jours. Qui plus est, avec comme 1er invité, notre aumônier militaire (qui a pas dû en voir beaucoup des cérémonies comme ça).
La première étape consiste à installer le pilote visé sur le chariot à roulettes. Certaines cibles quand c’est mal préparé, cherchent à fuir la tradition mais en général, toute retraite lui est coupée ! Et il vaut mieux qu’il ne tente pas d’action d’éclat visant à passer au travers de la tradition. Sinon, cela peut être pire (mais toujours dans un bon esprit).
Puis, est-il nécessaire de décrire la photo suivante ?
Au programme :
- Shampoing aux œufs.
- Saupoudrage "intense" de farine, chocolat, café…
Programme déclenchant parfois des dégâts collatéraux comme quelques éclaboussures de jaune d’œuf sur une tenue d’aumônier militaire (à droite sur la photo) Et ça, ca court pas les rues…
La pancarte jaune porte mon trigramme (RCD comme RoCharD et CREVARD (se dit d'un pilote qui cherche tout le temps à voler pour engranger des heures de vol).
Bon. Allez. La tradition ! Mouai. Si je la rencontre encore une fois celle-là, j’lui casse la figure. Aller, serre les dents, ça va pas durer longtemps. Et puis c’est pas grand-chose me dis-je. Que nenni.
Au travers des fracassements des coquille d’œufs j’entend un véhicule arriver, tandis qu’ils bougent le chariot à roulettes.
J’ai la surprise de constater que nos Soldats du Feu, sont aussi très "opérationnels". Un exercice incendie ayant été mis en place curieusement ce jour :
- Quoi ? Intervention Incendie à la mise en route d’un hélico.
- Quand ? Au coup de sifflet.
- Où ? Parking EHA 5
- Comment ? Avec le plus gros camion possible, qui envoie la sauce un max.
- Pourquoi ? Pour fêter les 1.000 h de vol du Coyote.
Oh la vache : je vais me faire arroser, ou plutôt, ils vont me rincer. Chic
T’as raison : je me prends une longue giclée de mousse anti-incendie.
Tiens : il neige même à cette époque à Étain ?
Pas franchement terrible le rinçage !
Vous imaginez bien que tout le monde rigole un max. Et ça mitraille sec (photos), sauf "l’aspergé" et d’un autre coté tout le monde est content de voir que nous avons des Pompiers OPS.
Allez. Ils vont y remettre une deuxième couche. Je répète : c’est pas tous les jours. Et il faut que "l’heureux élu" s’en souvienne longtemps.
Là, les œufs, c’est plus la peine, la farine va tenir toute seule ! Le café aussi.
Si, si : j’ai les preuves, et les noms des responsables
La farine ? Euh… Ah mince ! J’lui ferai rien à celui qui la déverse : il est ceinture noire de Karaté.
Le café ? Ah, un de nos pistards de la Royale Cambouis, le MDL C..., un artiste qui me fit un cadeau lorsque j’ai quitté le régiment que j’ai particulièrement apprécié et qui occupe une place première dans l’armoire à souvenirs que chaque militaire retraité possède (au grand dam de son épouse parfois, devant cette collection de nids à poussière).
- « Souviens-toi Soldat, ne commence jamais une action sans la terminer »
Tiens ? Il va se passer un autre truc ! Un indice ? Sur la photo ci-dessous, 3 organisateurs de la "tradition" s’enfuient à toutes jambes.
Si, si, la preuve est ci-dessus !
Bizarre, pourquoi donc battent-ils donc en retraite à Mach 2.08 ?
La réponse ne se fait pas attendre : nos Pompiers procèdent au rinçage.
- « Merci les gars ! C'est ma Femme qui va être contente »
- « Et ma machine à laver aussi »
Whhouaaaaaaa !
Le moteur de la R25-Turbo de chez Renault qui propulse les "jesaispascombiendelitresd’eau» à "j’saispasàquelledistance" entre en œuvre.
Et là, ça décoiffe.
Nos Pompiers, ils ne font pas les choses à moitié. Leur responsable a bien organisé un exercice complet d’utilisation du camion qui va bien. Tout le monde est ravi de voir qu’ils sont effectivement opérationnels. Sauf un bien sûr : le décoiffé-trempé-rincé et futur chauve.
Allez : une p’tite photo de groupe après pour immortaliser l’événement :
Le "décoiffé-trempé-rincé" se voit offrir un cigare par son Cne / Cdt
Ce genre d’évènement se termine par le verre de l’amitié. Ce jour-là, le champagne fut sabré.
Merci mon Capitaine d’avoir prévu et décroché votre sabre trônant dans votre bureau
Denis ROCHARD
Date de dernière mise à jour : 15/04/2020
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