La loi de Murphy

Quelques souvenirs qui remontent aux années 1966/1967

Ce jour-là, un Mirage IV était parti pour un vol de nuit, de la base de Saint-Dizier. Au moment du décollage, vers minuit, le pilote n’a pas bien pris conscience du fait que l’avion avait du mal à atteindre sa vitesse d’envol. Au point qu’il a été surpris par l’arrivée du bout de la piste, alors que les roues n’avaient pas encore quitté le sol. J’imagine combien, pendant une seconde ou deux, il avait hésité entre couper les gaz ou bien tenter de décoller quand même : la nuit, c’est plus difficile d’apprécier la situation. En tout cas, c’est ce deuxième choix qu’il fit.

Après la piste, il y avait de la terre molle et le train d’atterrissage avait donc continué à rouler, d’une manière légère tout de même, car la portance des ailes, effet de sol aidant, soulevait déjà l’appareil. Et le premier "miracle" se produisit : l’avion réussit à quitter le sol, au bout de quelques centaines de mètres, à 170 nœuds sur la terre molle.

Alors, probablement, le pilote a pu penser un court instant que c’était gagné. Pas longtemps, car lors de la tentative de rentrée du train d’atterrissage, les lampes sont restées au "rouge", train G et D non verrouillés en position haute. Peut-être a-t-il conclu que le fait de rouler dans la terre avait causé des dégâts sur les roues.

Naturellement, dans de telles circonstances, pas question de faire le vol de nuit comme prévu. Il fallait même réfléchir pour trouver une piste d’atterrissage suffisamment longue pour avoir le plus de chance possible en vue d’un atterrissage dans les meilleures conditions.

C’est ainsi qu’il fut dirigé vers le terrain d’Avord.

Entre temps, le pilote avait actionné les vide-vite pétrole, pour atterrir au plus tôt. Et c’est là qu’une nouvelle complication est arrivée.

Depuis quelques jours, le terrain d’Avord avait été équipé d’un nouveau groupe électrogène à démarrage automatique, spécial balisage de nuit en cas de panne secteur EDF. L’ancien groupe à démarrage manuel avait été mis au rebus, parce qu’il fallait une manivelle pour le démarrer.

Et justement, cette nuit-là, quelques minutes avant l’arrivée du Mirage IV pour un atterrissage en détresse, il y eut panne du secteur EDF. Et là, encore de la malchance, le nouveau groupe électrogène à démarrage automatique ne voulut rien savoir.

Pendant ce temps, le pilote du Mirage IV avait dû remettre les gaz pour gagner du temps. Après plusieurs présentations, aucune balise ne s’était allumée. Et impossible d’atterrir sans balises allumées pour situer la piste, ni d’attendre plus longtemps en l’air, car il ne restait plus que juste assez de pétrole pour s’éloigner et trouver un bois pour limiter les dégâts lors du crash inéluctable, après avoir quitté l’avion en actionnant les sièges éjectables.

Cela se passa vers les 3 heures du matin : éjection du pilote et du navigateur.

Naturellement, sur la base d’Avord, immédiatement, il y eut des équipes de secours envoyées pour tenter de secourir les rescapés. Mais ce ne fut qu’au petit jour, par avion, que les rescapés et le lieu du crash furent localisés.

En arrivant au travail ce matin là, vers 7 h 30, au hangar EB 1/94, tous les mécaniciens étaient déjà informés... la rumeur ... Peu de temps après, j’ai été sollicité par l’Officier Supérieur Adjoint Technique 94ème EB, pour faire l’expertise technique dans le bois où étaient étalés tous les débris.

En arrivant sur place, tout d’abord, j’ai été impressionné par le nombre important d’arbres sectionnés lors de l’impact. Les débris étaient étalés çà et là un peu partout parmi les morceaux de branches coupées sur plusieurs hectares. Curieusement les deux trains d’atterrissage, côtés droit et gauche étaient à peu près en entier. Immédiatement j’ai remarqué que les disques, aussi bien sur le gauche que le droit, avaient subi une déformation anormale. Une déformation tellement grande qu’on ne pouvait pas l’attribuer au choc lors du crash. En plus ils avaient visiblement chauffé très fort. Ayant pris conscience de cela, j’en avais fait part à l’Officier-enquêteur. Et lui aussi, comme moi, avait admis qu’une telle déformation, disques de frein de 3 cm d’épaisseur en arc de cercle après avoir été chauffés au rouge, avait pu être la cause des difficultés lors du décollage.

Mais cette information laissait supposer un fait très grave et nous avions décidé d’être discrets en dehors de l’enquête : « shut the mouth ». C’est ainsi que pour ma part, jamais je n’avais, par la suite, fait connaître ce que j’avais vu ce matin-là. Ce n’était pas mon affaire ...

En souvenir, cependant, j’ai gardé une petite plaque (petite porte de visite de 20 cm) marquée du n° de série du Mirage IV, que j’ai encore : peccadille me direz-vous ? Oui mais, c’est grâce à elle que je me souviens de tout et que je peux vous témoigner au sujet de la perte définitive de cet avion.

Par la suite, ayant eu connaissance du déroulement de tous ces évènements comme indiqué plus haut, je me suis souvent demandé si la panne du groupe électrogène qui avait empêché l’avion de se poser sur la piste d’Avord n’avait finalement pas été une chance pour l’équipage. Car avec toutes les roues bloquées telles qu’étaient les huit roues du train d’atterrissage principal, comment l’avion aurait-il pu rester droit sur la piste au moment de se poser ? À mon sens il y avait de grandes probabilités qu’au premier touché, l’avion aurait quitté la piste pour aller de travers et peut-être s’écraser et se désintégrer... avec l’équipage à bord.

Autre question technique : pourquoi n’y avait-il pas été prévu dès la construction, un système automatique interdisant la mise plein gaz avec le frein "parking" mal desserré ?


Pierre LE NY
 

NDLR : en complément à ce récit, un autre témoignage précise les circonstances de cet accident :

La question des disques fondus est certainement dû au fait du problème de la PC. Ce qui me revient, c'est que, lorsque le pilote a coupé la PC dans la cabine, la PC s'est arrêtée, il a sorti son parachute et freiné pour rentrer au parking ; c'est à ce moment que la PC s'est rallumée et pour ne pas entrer dans la barrière d'arrêt, la décision de décollage fut prise et après largage du parachute, ils ont décollé. Cela me revient un peu mieux, car c'était la première fois que je voyais cela. Donc pour les disques, cela devait sembler logique qu'il soient dans cet état suite à ce décollage peu ordinaire. Je crois même que la PC étant allumée, le fait de prendre la barrière, aurait eu un effet autre, car elle n'aurait certainement pas arrêté le Mirage IV qui se serait crashé en bout de piste avec des conséquences plus dramatiques pour nos deux camarades.

Claude BOIVIN

Date de dernière mise à jour : 05/04/2020

Ajouter un commentaire